Les cyberviolences conjugales restent un phénomène encore largement sous-estimé, bien qu’elles concernent une grande majorité des femmes victimes de violences. Pour sensibiliser et agir contre cette forme d’emprise invisible, la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) a lancé, le 8 mars 2024, la campagne Vous assistez à une scène de (cyber)violences conjugales, en collaboration avec l’agence Léo Burnett Paris (groupe Publicis). À travers un dispositif innovant et des outils concrets, cette campagne a permis de mettre en lumière un problème insidieux qui touche toutes les générations et qui, souvent, ne laisse aucune trace physique. Un an après son lancement, elle vient d’être récompensée par le trophée C.L.E.F de l’Engagement citoyen pour son impact en matière de sensibilisation.
Si les violences conjugales physiques sont aujourd’hui mieux identifiées par le grand public, les cyberviolences sont encore méconnues. Pourtant, 9 femmes sur 10 victimes de violences au sein du couple déclarent avoir également subi des (cyber)violences de la part de leur partenaire ou ex-partenaire, selon une étude du Centre Hubertine Auclert. Derrière les écrans, les agresseurs disposent d’un arsenal numérique leur permettant d’exercer une pression constante sur leurs victimes : espionnage via la géolocalisation, contrôle des réseaux sociaux, piratage de comptes personnels, harcèlement en ligne, menaces de diffusion de contenus intimes…
Un défi transgénérationnel
Pour Camille Lextray, responsable de la communication de la FNSF et cheffe de projet de la campagne, il était urgent d’agir sur ce terrain encore trop peu exploré : « On a souvent tendance à penser que ces violences touchent surtout les jeunes générations, mais en réalité, toutes les femmes sont concernées, quel que soit leur âge. » Elle souligne que les mécanismes de contrôle peuvent prendre différentes formes selon les générations : « Les plus jeunes peuvent être traquées via la géolocalisation sur Snapchat, tandis que d’autres se retrouvent surveillées par leur conjoint via le relevé du kilométrage de leur voiture. »
L’objectif de la campagne était donc double : rendre ces violences visibles et fournir des outils concrets pour les prévenir et les combattre. Le dispositif imaginé par la Fédération repose sur une série de trois spots télévisés, chacun mettant en scène des situations du quotidien en apparence anodines. Un père regardant un dessin animé avec sa fille, un homme romantique en balade, un conjoint préparant un dîner. Derrière cette apparente normalité, la cyberviolence est bien présente, dissimulée derrière des gestes et des habitudes qui, sans contexte, semblent insignifiants. « On voulait montrer que ces violences sont difficiles à percevoir de l’extérieur, qu’elles se déroulent sur un écran, dans un espace qui, même public, reste privé », poursuit Camille Lextray.
Ce mode opératoire, où l’agresseur agit dans l’ombre, est précisément ce qui rend ces violences complexes à identifier et à dénoncer. « Contrairement aux violences physiques, ici, tout est invisible, tout est numérique. Il n’y a pas de traces visibles, mais l’impact psychologique est tout aussi destructeur. » À travers ces vidéos, la FNSF a voulu interpeller autant les victimes que leur entourage, car souvent, les proches ne réalisent pas l’ampleur du contrôle exercé.
Un repère pédagogique
En parallèle des spots de sensibilisation, la Fédération a développé un outil pédagogique inédit : le cyberviolentoscope. Inspiré du violentomètre, cet outil interactif permet aux victimes et à leur entourage d’identifier les comportements abusifs au sein d’une relation. L’objectif est d’aider les femmes à mettre des mots sur ce qu’elles subissent et de leur permettre de prendre conscience de la gravité de ces actes : « Beaucoup de femmes ne réalisent pas immédiatement qu’elles sont victimes. Le cyberviolentoscope leur donne des repères clairs et concrets pour comprendre à quel moment une relation devient toxique et dangereuse. » Il ne s’agit pas simplement d’informer, mais aussi d’aider les victimes à trouver des solutions et à se tourner vers des structures d’accompagnement.
Depuis le lancement de la campagne, les spots ont été largement relayés sur les réseaux sociaux et à la télévision, totalisant plus de 50 000 vues sur Instagram et YouTube. Le cyberviolentoscope a, quant à lui, été téléchargé plus de 800 fois, tandis que 5 000 exemplaires ont été imprimés et distribués aux associations. En parallèle, les mentions de cyberviolences dans les appels au 3919 ont connu une augmentation, témoignant d’une prise de conscience progressive du problème. « On ne veut pas que cette campagne soit un coup d’éclat ponctuel. L’enjeu, c’est qu’elle laisse une trace et qu’elle continue à sensibiliser sur le long terme », souligne Camille Lextray.
Elle voit même dans ce trophée C.L.E.F de l’Engagement citoyen un encouragement à poursuivre le combat : « On espère surtout que cela va ouvrir la voie à d’autres actions du même type. » Post-campagne, le message reste plus actuel que jamais. Pour la FNSF, il est essentiel de continuer à alerter et à donner aux victimes les moyens de se protéger. L’ambition est claire : faire en sorte que les cyberviolences conjugales ne soient plus jamais perçues comme un phénomène secondaire, mais comme une réalité à part entière dans la lutte contre les violences faites aux femmes.