Influence : pourquoi Havas Play refuse de marger sur les cachets des créateurs… et veut en finir avec l’opacité des budgets
Emilie Cabanié, Head of PR & Influence chez Havas Play, défend un modèle radical : zéro marge sur les cachets des créateurs en privilégiant une rémunération au temps passé. En ce deuxième jour de PCW, elle participera aujourd'hui à la keynote « Transparence de l’influence : combien ça coûte ? » aux côtés notamment de Margaux Chavanne (Unilever Europe), client d’Havas Play.
INfluencia : Vous prenez aujourd’hui la parole pour revenir sur votre modèle de rémunération des influenceurs et votre promesse de ne jamais marger sur leurs cachets. Qu’est-ce que cela signifie concrètement quand vous préparez une campagne, et pourquoi ce choix ?
Emilie Cabanié : Il faut déjà rappeler qu’Havas Play fait partie du groupe média d’Havas. Beaucoup de nos clients sont donc des clients média. Au-delà de la création, qui est forcément très importante, notre postulat est de mesurer l’influence comme n’importe quel levier média.
Et pour pouvoir la mesurer comme tel, en termes de performance… on doit être totalement transparents sur ce qu’elle coute, au même titre qu’un spot télé ou de l’affichage.
C’est l’engagement qu’on prend auprès de nos clients pour leur fournir des bilans et des analyses au niveau de leurs exigences sur les autres leviers médias.
INfluencia : Comment l’agence compense-t-elle ce manque à gagner ?
Emilie Cabanié : On se rémunère tout simplement au temps passé.
Et ce temps dépend de chaque campagne : gérer un profil sur la création d’une vidéo TikTok est moins chronophage que de piloter une campagne sur un an avec quinze influenceurs qui produisent du contenu chaque mois.
IN : Cette position n’impacte pas les négociations avec les clients ?
E.C. : Ça demande parfois un peu d’acculturation. On leur explique toute la chaîne de valeur et notre rôle dans cette chaîne sur les projets d’influence. Quand un influenceur nous coûte 20 000 euros, on intègre ces 20 000 euros tels quels.
C’est à partir de ce coût réel qu’on va aller chercher des KPI médias : coûts pour 1 000, coûts par impression, coûts par clic. Comme on ne marge pas, on travaille sur le coût de revient de l’influenceur, qui inclut la création et la diffusion de ses contenus.
Les agents, eux, prennent généralement entre 20 et 30 %. C’est leur rôle d’agent, ils représentent les talents. Nous, on est là comme conseil en stratégie et en activation pour les marques. Chaque agence a ses pratiques, mais notre positionnement est clair.
Et puis… l’influence, c’est un secteur où l’on travaille avec des artistes, des entrepreneurs, des créateurs… qu’importe comment on les appelle. Il y a toute une chaine d’intermédiaires. Nous, on leur apporte de la stratégie, du conseil, une exigence d’exécution. On est quinze à l’agence, avec une vraie expertise conseil et mise en place des campagnes.
On ne se contente pas de leur dire : « Votre vidéo a fait 2 millions de vues, voilà » (rire). On va se demander : « Est-ce que c’est bien par rapport à ce que ce talent fait habituellement ? Par rapport au benchmark ? Combien ça m’a coûté ? » etc.
Et même pour un même influenceur, le prix d’une vidéo va varier d’une campagne à l’autre, selon ce qu’on lui demande, la durée, le dispositif, la complexité de création… Il n’y a pas de grille tarifaire figée.
IN : Le marché se structure de plus en plus autour de rosters et d’exclusivités d’agences talents. Quel regard portez-vous sur ce modèle ?
E.C. : Avant toute chose, nous, on a besoin de ces agences-là. Elles sont très importantes, notamment pour des créateurs qui ont besoin de se professionnaliser.
Je pense qu’il y aura toujours des agences de talents qui représenteront des profils en exclusivité, mais c’est une affaire de cycles : beaucoup d’influenceurs, quand ils grandissent, finissent quand même par passer en indépendants ou même par rejoindre des modèles comme Bump, qui a été créé par des influenceurs. Et en parallèle, de nouveaux arrivent en permanence.
Comme dans toute relation professionnelle, le marché repose aussi beaucoup sur la confiance : avec un client, au bout d’un moment, la relation peut s’essouffler. Soit tu recalibres, soit tu vas voir si l’herbe est plus verte ailleurs.
De notre côté, comme on ne représente pas de talents, on n’a pas d’exclusivité avec des agences ou des influenceurs. Ça nous permet, selon la stratégie du client, d’aller chercher les meilleurs profils avec nos agences partenaires, sans vocation à travailler avec un profil plus qu’un autre.
IN : Un rapport de l’ARPP publié cette année estime que le marché pèse aujourd’hui plus d’un demi-milliard d’euros…
E.C. : Je pense que c’est beaucoup plus. Mais comme on n’a pas de vision globale et consolidée, on ne peut pas le chiffrer avec précision…
IN : Sans pouvoir disposer de toutes les données qui structurent le marché (et ses acteurs), est-ce qu’on avance, selon vous, dans la bonne direction en matière de transparence ?
E.C. :Je sais qu’il y a toute une réflexion actuellement autour d’une évolution de la loi Influence. C’est nécessaire pour mettre tout le monde d’accord et poser des bases à ceux qui n’en avaient pas.
Pour moi, le prochain grand chantier est la transparence… mais sur toute la chaîne de valeur : agents, agences, mais aussi sessions de droits. Beaucoup d’influenceurs se sentent un peu bernés par certaines agences ou certains annonceurs en direct qui vendent “des sessions de droits” et, au final, la campagne dure six mois au lieu d’un. J
Je ne sais pas si on ira jusqu’à une loi Sapin 3, mais des règles claires me paraissent essentielles.
IN : Si le secteur suit ce chemin-là, à quoi ressemblera, selon vous, une agence d’influence mature et régulée dans trois à cinq ans ?
E.C. : Bien sûr, il est totalement normal que les agences de talents, les agents artistiques prennent un pourcentage sur celles et ceux qu’ils représentent. Ce sont des apporteurs d’affaires, d’une certaine manière. Il faut juste mieux encadrer cette marge.
Attention, je ne suis absolument pas en train de dire qu’il faut que ce soit 10 % partout : le travail n’est pas le même selon qu’on accompagne un créateur qui se lance ou un très gros influenceur.
Je n’ai pas toutes les réponses, mais c’est ça, pour moi, une agence mature : un modèle où tout le monde sait qui gagne quoi, à quel moment, et pourquoi.
IN : Pour finir, et pour joindre le concret au théorique, pouvez-vous nous donner une de vos campagnes d’influence récentes qui vous a particulièrement marquée ?
E.C. : On a travaillé fin-octobre avec Nissan et le rappeur Gringe.
Nissan relançait la Micra, qui n’était plus sur le marché depuis longtemps. En préparant la campagne, on est retombés sur une vidéo de Bloqués (la série créée par Kyan Khojandi et dans laquelle Gringe jouait au côté d’Orelsan, NDLR), vieille d’une dizaine d’années, où Orelsan demande à Gringe : « Si tu ne devais avoir qu’une seule voiture ? » et il répond : « Une Nissan Micra automatique beige, parce que ce n’est pas salissant ».
Sauf que la nouvelle Micra sortait en bleu électrique. Donc on a décidé de lui faire livrer une Micra beigespécialement pour lui…
IN : Nous l’avions relayée à l’époque, en considérant justement que la prise de parole était très cohérente et sincère…
E.C. : Parce qu’on a fait l’effort de partir d’un vrai insight réseaux sociaux. Mais bien sûr, tout était cadré : on n’est pas allés livrer la voiture chez Gringe sans son autorisation (rire).
Ensuite, on a enchaîné avec d’autres campagnes, notamment pour Signal White Now sur la confiance en soi quand on a les dents bien blanches. Plus tôt dans l’année, on a aussi accompagné trois annonceurs, dont Cofidis et Basic-Fit, sur le Tour de France.
Mais parmi les plus récentes, celle avec Gringe est l’une de nos plus grosse fierté.