2 décembre 2025

Temps de lecture : 2 min

Indépendance des médias en France : une liberté de la presse plus menacée que jamais

Concentration des groupes privés, pressions sur les rédactions, recul dans le classement RSF : pourquoi la liberté d’informer s’érode dangereusement en France.

Les salariés de L’Equipe ont voté, le 13 novembre, une motion de défiance à 92,8% contre leur directeur des rédactions, Matthias Gurtler. Ils demandent notamment « le retrait du plan de réorganisation tel qu’il a été présenté »« la préservation de l’emploi » et l’ouverture de discussions « sur le positionnement de la ligne éditoriale des titres de L’Equipe »

Ce « rejet massif » traduit « un immense mal-être lié au projet de réorganisation mais aussi aux dérives éditoriales constatées ».

Quelques jours plus tôt, des journalistes et des producteurs de France Inter avaient envoyé une lettre à leur directrice, Adèle Van Reeth, et à celle du groupe public Radio France, Sibyle Veil, dans laquelle ils pointaient du doigt « des choix opaques » de la direction, un « manque de clarté » de son projet ou encore une « brutalité managériale » qui ont abouti selon eux à des « événements graves »

Les salariés du groupe Éditions Croque Futur ont, eux aussi, récemment tenu à exprimer leur inquiétude pour l’avenir de leurs titres. Ils s’alarment notamment de la « brutalisation » et de l’absence de « garantie » de leur futur propriétaire, le géant du luxe LVMH. Certaines de ces revendications ne restent pas lettre morte.

Un immense mal-être lié aux dérives éditoriales constatées

De son côté, la direction de BFMTV, RMC et BFM Business vient de signer avec les rédactions une nouvelle charte de déontologie qui vise à renforcer l’indépendance des journalistes.

De telles mesures restent toutefois trop rares. Dans le dernier classement annuel de Reporters sans frontières (RSF), la France a encore glissé de 4 places pour chuter à la 25ème position« Si le cadre légal et réglementaire est favorable à la liberté de la presse, les outils visant à lutter contre les conflits d’intérêts et à protéger la confidentialité des sources sont insuffisants, inadaptés et dépassés, déplore l’organisation. L’absence de financement pérenne après la suppression de la redevance fragilise l’audiovisuel public. En dépit de l’adoption d’un nouveau schéma du maintien de l’ordre, plus respectueux des droits des journalistes lors des manifestations, les reporters continuent de faire l’objet de violences policières en plus des agressions de la part de manifestants. » 

RSF s’interroge également sur « l’indépendance réelle des rédactions » dans une période où une « part significative de la presse nationale est contrôlée par quelques grandes fortunes ».

90 % des quotidiens nationaux et 100 % des chaînes TV entre les mains de quelques grands patrons

« La révolution intervenue ces quinze dernières années est bien la prise de contrôle de l’essentiel du système médiatique privé par des hommes d’affaires, s’inquiète la fondation Heinrich BöllSouvent dépendants de la commande publique, ces « capitaines d’industrie » structurent aujourd’hui le paysage de l’information. La France a en effet cette particularité d’avoir aujourd’hui 90% (ce chiffre renvoi à l’audience globale) des quotidiens nationaux et la totalité des chaînes de télévision privée détenus par sept grands industriels et financiers, dont les intérêts ne sont pas dans les métiers de l’information. »

La carte publiée chaque année par Le Monde Diplomatique et l’Acrimed le montre clairement.

  • La famille Bouygues contrôle TF1 et plusieurs autres chaînes télévisées dont TMC et LCI.
  • Bernard Arnault, qui possède déjà notamment Paris MatchLes EchosLe Parisien Aujourd’huiInvestirHistoriaMieux Vivre Votre Argent et La Lettre de l’Expansion, va prendre le contrôle des Éditions Croque Futur qui détient ChallengesSciences et Avenir et La Recherche.
  • Vincent Bolloré a racheté ces dernières années Europe 1, le Journal du DimancheCNewsCanal Plus, et Prisma Media qui chapeaute, entre autres, CapitalVoiciFemmes ActuellesTélé Loisirs et Geo.
  • Daniel Kretinsky a des parts dans ElleMarianne et Télé 7 jours. François Pinault contrôle Le Point et Point de Vue.
  • La famille Dassault tient les rênes du Figaro, du Figaro Magazine et de Gala.
  • Le dernier arrivé est Rodolphe Saadé, le propriétaire de CMA-CGM, le troisième transporteur maritime mondial, qui s’est offert le Groupe La Provence, mais aussi La Tribune, ainsi que les chaînes et les radios de BFM et RMC

Cette liste n’est pas exhaustive.

Les journalistes s’inquiètent de cet état de fait dont ils n’ont pas le contrôle. 

La tendance actuelle n’appelle pas à l’optimisme. L’indépendance des médias en France semble plus menacée que jamais. Dans un discours prononcé devant l’Assemblée nationale pour encourager l’adoption du premier statut professionnel des journalistes, le député Emile Brachard déclarait il y a quelques années : « La clef des libertés civiques d’un peuple est dans la liberté de la presse ».

Le rédacteur en chef du Petit Troyen s’opposait à « ces groupes qui contrôlent les journaux, c’est-à-dire à ce capitalisme de la presse » qui méprise le journalisme indépendant. Ces phrases, prononcées il y a tout juste 90 ans pour être précis, n’ont jamais été autant d’actualité…

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