10 décembre 2025

Temps de lecture : 4 min

Avec « Le Bon Moment », Kyan Khojandi et Donatien Bozon veulent remettre les créateurs de contenu au centre, « pour faire kiffer les gens »

Les créateurs ne veulent plus seulement performer pour les plateformes, ni prêter leur image aux marques : ils veulent devenir propriétaires de leurs univers, de leurs histoires. Avec "Le Bon Moment", Donatien Bozon et Kyan Khojandi entendent accompagner cette aspiration.

INfluencia : Qu’est-ce que vous avez vu changer dans la place des créateurs dans la société… Quel a été le point de bascule ?

Donatien Bozon : Depuis des années, on évoque l’autonomie financière et l’indépendance des créateurs. Pourtant, pendant les deux premières décennies, ils n’ont jamais vraiment maîtrisé leurs revenus.

Dans la première (2005 – 2015), leur principale source provenait du revshare des plateformes, surtout YouTube. Un modèle dont ils ne contrôlaient ni les règles, ni l’algorithme, ni les vues, ni la publicité… D’où une forte instabilité.

La deuxième décennie (~2015 – 2024) a vu l’explosion de l’influence marketing, qui représente aujourd’hui près des deux tiers de leurs revenus. Mais là encore, tout n’est pas entre leurs mains : attractivité auprès des marques, saisonnalité des budgets, cycles des annonceurs… Difficile, dans ces conditions, de planifier, d’investir ou simplement de se projeter. 

En observant les États-Unis, on a vu émerger depuis cinq à sept ans les creator-led brands : MrBeast/Feastables, Alani, Poppy, Chamberlain Coffee… Certaines ont même été revendues plus d’1,5 Md$ à des groupes comme Celsius ou PepsiCo.

En France, les premiers signaux ont suivi : une pizza lancée par un créateur et une agence, l’arrivée de Ciao Kombucha, Inshape Nutrition… Il est devenu normal pour un créateur de lancer sa propre marque grand public. Et, en parallèle, l’entrepreneuriat est devenu une valeur en soi. Les créateurs remplissent des Zéniths, génèrent du trafic en magasin. Le moment était venu.**

INfluencia : On assiste à une bascule : les créateurs ne veulent plus être simplement des influenceurs, ils veulent être propriétaires de leurs marques. Pourquoi maintenant ?

Donatien Bozon :
Je n’utilise jamais le mot “influenceur”. Pour moi, ce sont des créateurs de contenu, des personnes qui racontent des histoires à travers un podcast, une chaîne YouTube ou une page Instagram. Lorsqu’ils fédèrent une audience, ils construisent en réalité un mini-média.

Ils ont pris conscience qu’ils passaient leur temps à louer cette influence à des marques tierces, dans une logique proche de l’achat d’espace. Ils se sont dit qu’ils pourraient mobiliser cette influence pour eux-mêmes, afin de bâtir leur propre IP, leur propre actif.

Créer une marque est un autre métier

Mais créer une marque reste complexe : sourcing, fabricants, chaîne logistique, distribution, négociations en GMS… C’est un autre métier, et autant de temps qu’ils ne consacrent plus à la création.

Le « Bon Moment » est là pour lever ces obstacles: compétences, temps, moyens financiers. Nous apportons l’expertise, l’exécution et le financement nécessaires.

INfluencia : Il n’y a donc aucune prise de risque financière pour le créateur ?

Donatien Bozon : Non.
Nous sécurisons la partie financière en amont, mais nous sélectionnons soigneusement les projets pour dé-risquer. L’objectif est de permettre aux créateurs d’être authentiques et de sortir des marques cohérentes avec leur ADN, et pas simplement de mettre leur tête sur un produit existant.

INfluencia : Aujourd’hui, lancer une marque est-ce devenu un geste artistique autant qu’un geste entrepreneurial ?

Donatien Bozon : Oui, totalement. On veut s’amuser. On vient tous, chez « Le Bon Moment » et FKLG (la boîte de prod de Kyan Kojandi), de milieux où on cherche à « faire kiffer les gens » (d’où l’acronyme). Lancer une marque doit être fun, créatif, racontable.

Notre approche n’est pas de lancer un concurrent d’une barre chocolatée connue, mais de se demander comment ajouter du storytelling et comment faire kiffer l’audience.

INfluencia : Avec votre promesse “Fais kiffer les gens on s’occupe du reste”, que dit-elle de notre époque et des attentes du public envers les créateurs ?

Donatien Bozon :
Cela renvoie à la relation parasociale, cette proximité unique que les créateurs entretiennent avec leur audience. On a l’impression qu’ils font partie de notre cercle proche.

Les gens veulent enrichir cette relation : aller les voir en tournée, participer à des watch parties, acheter les produits de leur marque. Acheter un produit, c’est une extension de cette relation. Mais cela doit être un bon produit, pas seulement un objet de fan. Nous voulons créer des produits suffisamment qualitatifs pour remplacer un équivalent industriel classique.

Aider certains créateurs à passer l’étape supérieure, pas de remplacer leur autonomie

INfluencia : Vous apportez financement, expertise, exécution à des talents qui jusque-là avançaient seuls. Est-ce la fin du créateur autosuffisant ?

Donatien Bozon : Pas du tout.
L’écosystème s’est construit sur la débrouille. La majorité des créateurs doivent continuer à tester, expérimenter, lancer des projets seuls. Nous ne pourrons accompagner que trois à quatre marques par an. Notre rôle est d’aider certains créateurs à passer à l’étape supérieure, pas de remplacer l’autonomie.

INfluencia : À quel moment un créateur est-il légitime pour lancer sa marque plutôt que de se limiter au sponsoring ?

Donatien Bozon : C’est une question d’envie et d’état d’esprit entrepreneurial. Certains créateurs n’ont pas la patience ou le désir de s’engager sur un projet de plusieurs années. Créer une marque, c’est neuf mois minimum entre l’idéation et le lancement, puis plusieurs années de construction. L’objectif n’est pas de lancer pour arrêter trois mois plus tard. Il faut que la marque touche l’audience du créateur, puis un public plus large.

« Peut-être que demain un créateur sera le 4e opérateur télécom français. On ne peut rien anticiper. Mais ce sera massif. »

INfluencia : Qu’est-ce qui fait échouer une marque de créateur, et au contraire, qu’est-ce qui lui permet de trouver son public ?

Donatien Bozon : L’authenticité est la clé du succès.
Un échec survient quand la marque n’a aucun lien avec l’ADN du créateur, quand le projet apparaît opportuniste, ou lorsqu’il n’y a pas de storytelling ni de contenu autour du processus.
Une réussite repose sur la cohérence créateur-produit, un récit fort, la mise en avant des coulisses, et un vrai bon produit.

INfluencia : Les creator-led brands concurrencent-elles les DNVB ou en sont-elles une évolution ?

Donatien Bozon : C’est une évolution.
Les DNVB sont nées online. Nous, notre conviction, c’est que la vraie opportunité est dans le physique : grande distribution, food service, cinémas, parcs, wagons restaurants.
C’est là que le public est. Acheter en ligne de l’alimentaire ou de la boisson du quotidien reste marginal. Ce modèle s’éloigne donc des DNVB 100 % digitales.

INfluencia : Dans cinq ans, tous les créateurs importants auront-ils leur marque ou est-ce un modèle réservé à une élite ?

Donatien Bozon : Il y aura beaucoup plus de marques. Ce sera normalisé. Mais impossible de dire si tous en auront une. Le marché bouge trop vite. Regardez : Mister Beast vient de déposer Beast Mobile et Beast Bank. Peut-être que demain un créateur sera le quatrième opérateur télécom français. On ne peut rien anticiper. Mais ce sera massif.

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