Répondre à des questions dans un sauna, dans un bac de glace, en mangeant des piments… la course à l’originalité de l’interview 2.0
Bains glacés, saunas brûlants, fast-foods ou confession post-mortem : l’interview explose ses codes. À l’heure où l’attention se joue en une minute à peine, les créateurs transforment la parole en performance... et les marques s’en emparent.
Longtemps cantonnée aux studios feutrés, l’interview se réinvente aujourd’hui dans des conditions plus insolites.
Le comédien Kevin Hart, par exemple, mène ses entretiens dans un bain glacé avec Cold as Balls – une web-série lancée en 2018 où invité et interviewer discutent plongés dans des bacs de glace.
Le résultat est un succès viral : plus de 1,4 milliard de vues engrangées en quelques années. La recette ? Une situation incongrue qui fait tomber les barrières habituelles de l’interview classique, poussant les invités à la sincérité sous l’effet du froid… et du rire.
De l’interview-plateau à l’interview-expérience
Surfant sur cette vague de l’interview-expérience, la marque de boissons électrolytes Liquid I.V. a retourné le concept.
Avec son propre talk-show, The Hot Seat, l’entretien se déroule cette fois dans un sauna – spécialement construit pour une diffusion sur TikTok et Instagram – mais garde l’idée d’une mise à l’épreuve ludique pour des échanges plus authentiques.
L’identité de l’interview se confond souvent avec son décor ou son ton.
L’exemple le plus emblématique est peut-être Chicken Shop Date, l’émission YouTube où la journaliste Amelia Dimoldenberg donne rendez-vous à des célébrités dans un fast-food de poulet frit. Entre malaise calculé et humour pince-sans-rire, ce faux rencard à la lumière blafarde rend les stars plus accessibles.
« L’embarras fait partie de la vie mais il est généralement coupé de ce qu’on consomme », constate la jeune animatrice britannique, qui revendique de montrer « la personne réelle, pas le personnage construit » de ses invités.
Même logique avec le format Hot Ones, que l’on ne présente plus, où les invités doivent manger des ailes de poulet de plus en plus épicées en répondant aux questions. Ce concept, fondateur du « format à contrainte », a définitivement ouvert la voie à toute une génération de interviews scénarisées.
La sincérité scénarisée
Dernier exemple en date, le format Famous Last Words lancé début octobre par Netflix et adapté d’un programme Danois.
Les invités enregistrent une interview testament juste avant de mourir, en sachant que leurs paroles ne seront diffusées qu’après leur disparition. C’est ainsi que la célèbre primatologue Jane Goodall, décédée en octobre 2025, a pu délivrer un dernier message empreint d’espoir et d’humour dans le premier épisode diffusé par Netflix.
Un dispositif inédit qui offre aux figures publiques l’ultime contrôle de leur image posthume et questionne notre rapport à la mort.
Le retour de l’attention courte
Autre révolution : sur TikTok ou Instagram Reels, la durée même de l’interview fond comme neige au soleil face à la culture du scroll.
Prenons Subway Takes, par exemple, qui utilise le métro new-yorkais comme plateaupour ses interviews. Le comédien Kareem Rahma s’assied aux côtés de passagers anonymes ou d’invités prestigieux et leur demande en une minute chrono une opinion insolite (« les gens ne devraient pas porter de shorts » ou « il faut normaliser les bidets ») afin d’offrir un aperçu non filtré de l’interviewé.
Les versions longues des interviews sont ensuite publiées sur Youtube pour compléter le dispositif.
Quand les marques s’en mêlent
Face à ces nouveaux formats qui attirent des millions de clics, les annonceurs ne sont pas restés spectateurs.
Liquid I.V. en est un bon exemple : « En 18 mois à peine depuis notre lancement au UK, nous sommes devenus leader de notre catégorie et avons fait passer le contenu sur les électrolytes d’une avalanche de stats à quelque chose de divertissant », explique Olivia Otesanya, responsable marketing bien-être chez Unilever Europe, à propos de The Hot Seat.
« Comprendre les plateformes, leurs algorithmes et leur culture est la clé du brand building moderne », souligne Gaetan Uytterhaegen, directeur de création chez VaynerMedia EMEA, qui produit le format.
Même les formats nés organiquement sur les réseaux s’y mettent : Subway Takes intègre des « takes » commandités par Google, Microsoft ou H&M, où des invités défendent en toute ironie le point de vue d’une marque (par exemple « les utilisateurs d’Android sont de meilleurs amants »).
En bref, pour retrouver sa part de vérité, la parole doit désormais transpirer, geler, rougir… et rire de soi.