6 novembre 2025

Temps de lecture : 3 min

Quand l’info monte sur scène : comment le journalisme live transforme l’attention en modèle économique

20h30. Les lumières tombent, la salle se fige. Sur la scène du Grand Rex, un décor nu, un groupe de jazz qui accorde ses instruments : on croirait à un ciné-concert.

Mais non, ce soir, c’est un journal qui prend vie.

Live Magazine, né en 2014 de l’intuition de la journaliste Florence Martin-Kessler, inspirée par le Pop-Up Magazine américain, transforme l’info en performance. En plus de dix ans, autour de 130 soirées dans 6 pays, pas loin des 100 000 spectateurs au compteur …

La formule ? Une dizaine de narrateurs, six à dix minutes chacun, une histoire vraie à la première personne, sans captation ni replay. Juste l’instant, appuyé par une mise en scène et un habillage sonore impeccables.

Ce soir-là, les récits oscillent entre gravité et légèreté.

Ariane Lavrilleux nous plonge dans son enquête sur les ventes d’armes françaises en Égypte et la garde à vue qui en a découlé. Phil Chetwynd, directeur de l’info de l’AFP, évoque les horreurs vécues par ses reporters au Proche-Orient. David Castello-Lopes détend ensuite la salle avec un récit à la fois drôle et émouvant : le vidage chaotique de la maison familiale de ses parents, grands collectionneurs… suite à leur décès.

99 % vrai, 1 % subjectif

Lorsque la crise sanitaire a stoppé leurs spectacles, l’équipe a choisi d’investir le papier en lançant avec Bayard un trimestriel imprimé. Le support change mais l’esprit reste le même pour prolonger l’ADN intimiste et incarné du Live Magazine dans une ère post covid.

Si la devise de Live Magazine revendique des récits « 99 % vrais », le 1 % restant correspond à la part assumée de subjectivité.

« C’est la part de subjectivité dans les histoires : l’auteur qui raconte, avec son propre point de vue. Même si tout est évidemment fact-checké et vrai », précisait en 2021 Ariane Papeians, co-rédactrice en chef de Live Magazine.

À rebours du dogme d’objectivité totale, Live Magazine fait donc le pari du « je »… comme d’autres acteurs médiatiques à ces côtés.

Médiavivant, le Marseillais qui met les témoins sur scène aussi

Mediavivant, comme Live Magazine met en scène des enquêtes journalistiques. Une manière aussi de lutter contre la défiance des médias explique sa co-fondatrice Alix Crécy, en donnant vie au travail journalistique. Le format mêle présentation de l’enquête journalistique et témoignages des sources.

Leur stratégie éditoriale : toucher des audiences plus traditionnelles sur le numérique (vidéos d’événements, newsletter) et des publics éloignés de l’information pendant les rencontres 

La proximité passe aussi par le local

Au plan local les conférences TEDx de villes attirent toujours un large public : l’édition parisienne de 2023 a rassemblé près de 2 400 personnes au Grand Rex, et certaines interventions dépassent le million de vues sur YouTube.

Dans un registre audio, les festivals Longueur d’ondes (Brest) et Phonurgia Nova (Arles) traduisent en direct les pratiques de podcast et de documentaire.

Le premier attire chaque année près de 10 000 participants, tandis que le second réunit environ 600 professionnels, entre journalistes, chercheurs et éditeurs…

Des références internationales

Ailleurs, le phénomène s’impose déjà depuis un moment.

Dans un registre plus intimiste, The Moth donne la parole à des anonymes comme à des personnalités. Ses soirées live totalisent déjà plus de 600 000 spectateurs, et le podcast associé dépasse les 70 millions de téléchargements annuels.

Dans la même veine, Story District, basé à Washington D.C., propose régulièrement des performances d’histoires personnelles dans des salles combles, contribuant à entretenir cette culture du récit en direct.

D’autres initiatives connexes témoignent de la vitalité du format. L’International Storytelling Center organise chaque année son cycle Storytelling Live! à Jonesborough (Tennessee), attirant des conteurs et un public fidèle de mai à octobre.

Au Royaume-Uni, Guardian Live organise plus de 200 événements par an, allant de débats politiques à des rencontres culturelles, souvent complets à Londres.

Une source de revenus bienvenue pour les médias

Pour les rédactions, ces formats représentent bien plus qu’un exercice créatif : c’est aussi une opportunité économique.

Aux États-Unis, Pop-Up Magazine (qui a donc inspiré le Live Magazine) avait trouvé la formule idéale pour remplir les salles — jusqu’à 3 000 spectateurs au Lincoln Center de New York, des billets vendus entre 40 et 70 dollars et de grands sponsors au rendez-vous.

En France, l’équipe à la base du Live Magazine a multiplié les déclinaisons sur mesure pour des entreprises, des institutions culturelles ou des collectivités locales. Ces prestations « corporate » offrent une source de revenus complémentaire à la billetterie.

Dans un contexte où la publicité traditionnelle recule et où la rentabilité des rédactions est fragile, ces formats semblent prometteurs.

À l’heure de l’explosion des contenus synthétiques produits par l’IA, cet ancrage physique pourrait bien redonner un nouveau souffle à la presse. À la manière des créateurs de contenus ou de certains médias qui revendiquent haut et fort l’absence de toute intelligence artificielle dans leur production éditoriale ou vidéo.

Mais attention, pas de martingale non plus. On se rappelle que l’aventure Pop-up s’était arrêtée brutalement en 2023. « We simply ran out of money », reconnaissait l’équipe dans un communiqué. Ces modèles, aussi populaires soient-ils, restent fragiles financièrement.

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