26 novembre 2025

Temps de lecture : 6 min

Le poil fait son retour (et pas seulement chez Kim K) : enquête sur une tendance qui pique

Le poil pubien fait une entrée tonitruante dans la sphère marketing. Charlotte Léouzon, consultante créative, curatrice et talent scout, décrypte pour nous cette tendance pas lisse.

INfluencia : Vous avez littéralement créé votre métier… Comment le décririez-vous?

Charlotte Léouzon : Je vais procéder par élimination en fait (rires), ce n’est ni de la TV prod, ni de l’achat d’art, ni du planning stratégique… Cela se rapproche du planning créatif via le conseil, très, très en amont.

Va Voom, combine l’inspiration créative, la curation artistique sur mesure et le talent sourcing, avec une compréhension intime des marques et une intuition prospective solide. Mon rôle est d’identifier les talents, de proposer un conseil créatif pertinent qui vient nourrir, renouveler et élever l’imaginaire des marques.

Le dégoût pour l’imperfection est révolu et a laissé une grande place au… désir d’imperfection.

INfluencia : Les poils se déclinent sur tous les tons. Chez Kim Kardashian, avec ses strings lancés le mois dernier, en t-shirts chez Jean-Paul Gaultier lors de son dernier défilé, ou en pub comme chez Khiels ou Veet… Mais que se passe-t-il donc ?

Charlotte Léouzon : Le dégoût pour l’imperfection est révolu et a laissé une grande place au désir d’imperfection. A titre d’exemple, si vous regardez autour de vous, la pub, la mode, le luxe se sont emparés en l’espace de quelques deux petites années, de cette tendance lourde.

Le phénomène cheveux hyper lisses, sourcils en barrette de chit, et pubis tondu à la manière d’un ticket de métro, cohabitent désormais avec la revendication de l’imperfection, du poil rebelle qui se montre, s’affiche, se revendique.  

Les strings Skims lancés par Kim Kardashian le mois dernier

La campagne Khiels interdite à New York, puis…

la riposte en typos toutes en poils de Marcel

La campagne Veet de BETC sur le harcèlement dont sont victimes les jeunes filles à l’école.

ce mouvement est l’une des conséquences de la révolution technologique qui est en cours, d’une réaction forte à la perfection promise par l’intelligence artificielle, les algorithmes, et la programmatique.

IN. : Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Ch.L. : Dans un premier temps je pense que ce mouvement est l’une des conséquences de la révolution technologique qui est en cours, d’une réaction forte à la perfection promise par l’intelligence artificielle, les algorithmes, et la programmatique.

Tous ces biais qui envahissent notre quotidien aujourd’hui, de manière sourde, -dans nos démarches administratives, commerciales, humaines-, mais aussi professionnelles, dans notre rapport au réel, au monde, lissent la pensée, lissent l’esthétique.

Nous nous défendons d’une certaine manière contre cette « machine » technologique, en embrassant chacun à notre niveau, notre goût du réel, de réalité, et pour aller dans le sens de votre questionnement, d’incarnation justement.

Les agences de pub, notamment, veulent améliorer leur rendement et font de l’IA l’incontournable outil.

IN. : Avez-vous des exemples ?

Ch.L. : Il y a d’un côté les agences de pub, notamment, qui veulent améliorer leur rendement et font de l’IA L’incontournable outil. Des communicants ou pas qui s’engouffrent dans cette technologie, ce qui est assez dramatique.

De l’autre, les gens de l’image qui se rendent bien compte que leurs métiers sont en train de disparaître et qui se mobilisent.

IN. : Vous évoquez un désir de geste, de matière et la peur de disparaître…

Ch.L. : Surtout ne pas perdre la main sur son art, je dirais. Globalement, c’est une forme de résistance qui s’opère aujourd’hui, et on le voit dans ce retour au polaroïd, aux découpages, aux recherches que font certains photographes avec leurs labos photo afin de retrouver de la matière, du volume, des transparences, des mystères à élucider, comme celles de Denis Félix, ou bien l’obsession de Reeve Schumacher pour Mireille Mathieu qui accumule depuis quelques années des exemplaires de ses vinyles avec la frénésie du collectionneur.

Revisitées sous forme de collage pixélisé, les pochettes de 33 tours jettent un pont anachronique entre une matière première de l’ère analogique – le disque vinyle – et un rendu numérique…

Les photographes ont peut-être les premiers touchés par ce sentiment de disparition de leur art. D’où leur besoin absolu de créer, d’inventer actuellement.

Lee Shulman, (The Anonymous Project), réalisateur anglais qui collectionne des ektas (ndlr : films inversibles) récupérés chez des particuliers depuis plus de dix ans en est légalement une preuve (exposition Golden Memories).

Les photographes ont peut-être été les premiers touchés par ce sentiment de disparition de leur art.

Il existe aussi de belles poches de résistance dans l’univers du septième art, comme ce studio de stop-motion révolutionnaire dont l’ambition est d’être à la fois d’incubateur de talents pour les conteurs, et de centre de recherche dédié à la création de nouvelles frontières dans cette forme d’art centenaire  cofinancé par Netflix, Gobelins Paris et le cinéaste Guillermo del Toro (Pinocchio, La Forme de l’eau)…

Nous avançons tous en marchant.

Le film d’animation du Bédéiste Ugo Bienvenu, Arco sorti en octobre est aussi un go betwen entre le passé et l’avenir. C’est intéressant. S’y rencontrent deux mondes graphiques et narratifs, fondus dans le dessin très fin et coloré de l’artiste.

Donc oui, cela fait peur, mais crée aussi des mouvements, des expériences.

On s’éloigne un peu de votre sujet (rires), mais il y a un désir de retour au geste qui émerge dans cet océan de lissage.

En octobre dernier, Hermès était à Marseille pour faire découvrir au public le métier d’artisan sellier-maroquinier à l’occasion de la 48e Compétition nationale des métiers – WorldSkills France, je crois que les métiers se rebellent.

IN. : Justement, revenons au phénomène poils. Comment expliquez-vous que le luxe et la beauté notamment soient aux premières loges dans cette « exposition de l’imperfection »?

Ch.L. : Vous voulez sans doute parler du défilé Jean-Paul Gaultier, (ndlr: le premier défilé de Duran Lantink, fils spirituel du couturier) qui donne à voir des corps vêtus de t-shirts et de collants entièrement poilus… Ou de celui de la maison Margiela l’an dernier qui remettait au goût du jour la perruque pubienne, dite «Merkin»…

Le Merkin, faux pubis, l’histoire de la perruque pour pubis à lire dans Urbania

Ces silhouettes masculines et féminines au teint de porcelaine, relevaient de la provocation et s’inspiraient de l’esthétique des courtisanes de Toulouse Lautrec. Les formes généreuses, le pubis étoffé… Et toujours ce besoin, -rassurant-, de revenir à l’histoire, de résister au lissage technologique, propre, sans défaut, en allant puiser dans des visions féminines d’époques révolues.

Le défilé Margiela spring summer 2025

Le défilé Jean-Paul Gaultier spring summer 2026

Et puis je crois aussi que le luxe, notamment veut bousculer les marchés asiatiques et américains très frileux sur la question de la pilosité. C’est un peu remuer le cocotier, provoquer, se montrer audacieux, mener le bal…

IN. : N’est-ce pas répulsif pour ces continents qui se montrent très lisses ?

Ch.L. : Je pense qu’il y a une forme d’hétérodoxie nécessaire en tout cas, une forme de résistance là aussi à ce lissage, la création d’un électrochoc, d’un besoin d’imposer le vivant.

Le mouvement Metoo a grandement contribué à cette renaissance de la pilosité, les filles arborent leurs poils aux jambes, sous les bras, sur les jambes…

Cela fait un moment que ce qui était quelque chose de gothique est devenu une affirmation de soi.

Le luxe, la beauté, l’hygiène-beauté répondent ainsi à la gen Z, vont dans le sens de cette jeune génération qui est beaucoup plus à l’aise avec son look, ses poils etc.

IN. : Pour autant « le lisse » est toujours très présent sur les réseaux sociaux…

Ch.L. : Évidemment, face à cette tendance lourde portée par les marques, il y a l’autre pendant complètement normé, des jeunes qui vont continuer à vouloir être lisses, qui vont souffrir de dysmorphie, vouloir à tous prix se refaire faire le nez, qui vont mettre des filtres sur leurs visages parce qu’elles ne peuvent pas supporter leur image telle quelle.

IN. : Que pensez-vous de la prophétie de Jensen Huang, PDG de Nvidia -entreprise experte en logiciels IA- qui affirme que les millionnaires de demain seront électriciens ou plombier pour entretenir les data centers ?

Ch.L. : Il s’agit d’une prophétie, est-ce de la provoc, je ne sais pas, mais on voit bien qu’il y a un retour en grâce des métiers d’art, le retour du craft, de la belle façon, des savoir-faire anciens.

Des jeunes veulent devenir maîtres verriers, veulent travailler les charpentes. Il y a eu une telle déréalisation, tellement d’interfaces au fond, une telle désintermédiation…

Tant de choses font filtre entre soi, son geste, et l’objet final que l’on veut du circuit court aujourd’hui. Et au fond, j’ai l’impression que le poil, c’est une forme de circuit court. L’acceptation de l’idée de soi en tout cas.

IN. : Vous allez jusqu’à dire que Lucky Love est aussi une affirmation de l’époque…

Ch.L. : Lorsqu’il chante lors des J.O. de Paris, Il s’affirme sans bras et il devient une icône, Il vient de faire la couve de Numéro magazine. Nous voilà plongés dans le réel là aussi, l’accident.

La maladie mentale est elle aussi dite, écrite, elle n’est plus tabou. Nous sommes imparfaits. Nous sommes bien réels c’est ce que disent tous ces mediums pour résister.

Lucky Love lors des J.O de Paris.

Lucky Love en couverture du magazine Numéro.

À retenir

 

Un temps journaliste indépendante, spécialisée dans la culture, les médias et la musique, Charlotte Léouzon, fondatrice de VA VOOM, collabore avec des titres de presse emblématiques tels que Libération, Jalouse, Dépêche Mode ou encore Beaux-Arts Magazine. 

En parallèle, elle anime plusieurs émissions culturelles sur Radio France Vaucluse, dont Tribus et La Bodega de Carlotta, où elle donne la parole aux voix émergentes de la scène culturelle.

Elle travaille également comme attachée de presse au sein de l’agence Catherine Miran, en charge de la rédaction et du contenu écrit, avant de se consacrer pleinement à la direction artistique et à la recherche d’images.

Très tôt, elle s’intéresse aux mutations artistiques et aux cultures numériques. Elle devient contributrice de longue date de l’émission Œil de Links sur Canal+, dédiée aux cultures web, aux nouvelles formes de narration visuelle et aux créateurs hybrides du numérique.

Cette sensibilité aux avant-gardes l’amène à développer une activité de curatrice indépendante : elle conçoit des expositions digitales et des programmes vidéo pour des institutions comme La Gaîté Lyrique ou la MAC de Créteil.

Elle collabore également avec le monde de l’art contemporain, notamment avec Kamel Mennour, à qui elle présente Camille Henrot, et avec Guy Peellaert, dont elle organise la première exposition Rock Dreams à la galerie Valérie Cueto.

En 2000, Charlotte commence à travailler comme talent scout pour plusieurs sociétés de production internationales (Première Heure, Moonwalk Film, Passion Pictures, La Pac).

Depuis 2016, elle collabore en exclusivité avec Division, où elle supervise la veille de réalisateurs, créatifs et photographes.

Charlotte fonde en 2009 VA VOOM, un bureau de conseil créatif à la croisée des mondes de l’art, de l’image et du luxe. Stratégique pour les marques, les esthétiques contemporaines, le planning visuel, la curation sur mesure et la découverte de talents émergents sont ses outils majeurs. Ses clients ? Hermès, Dyptique, Prada ou Miou-Miou…

 

 

 

 

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