5 avril 2021

Temps de lecture : 7 min

Facebook peut-il écrire son avenir au-delà de la publicité ?

Alors qu’Apple cherche à limiter la collecte de données personnelles sur ses terminaux, le modèle publicitaire de Facebook semble de plus en plus menacé… pourtant, la publicité représente encore plus de 98% des revenus du groupe qui réunit Facebook, Instagram et Whatsapp. Pour Guillaume Gombert et Laurent Blassin respectivement project Director Strategy & Insights et Head of Marketing Consulting chez Fabernovel, Mark Zuckerberg a tout intérêt à explorer de nouvelles pistes. Ils nous partagent leur éclairage.

IN. : à quel point le groupe de Mark Zuckerberg est-il dépendant de la publicité ?

Laurent Blassin : Aujourd’hui, la publicité représente plus de 98% des revenus de Facebook, donc quasiment la totalité. Pour donner un élément de comparaison, chez le concurrent chinois WeChat, ce chiffre n’était que de 18% en 2019. Cela traduit une vraie différence en termes de stratégie et de modèles économiques.

IN. : en quoi cette dépendance peut-elle devenir un souci ?

L. B. : elle commence à être dangereuse, car Facebook va avoir de plus en plus de mal à collecter et exploiter ses données, notamment avec IOS 14, qui est plus restrictif dans le recueil des consentements pour la collecte de données personnelles. En France, l’Autorité de la concurrence vient d’indiquer qu’elle ne prendrait pas de mesure contre Apple à ce sujet et la Cnil n’y est pas opposée. Mais cela ne veut pas dire que la bataille est perdue pour Facebook et pour les publicitaires au sens large : d’autres procédures sont en cours. Au-delà de la bataille judiciaire, il y a un vrai risque pour Facebook sur la collecte des données, qui est au cœur de son modèle, puisque s’ajoute à l’initiative d’Apple la question de la saturation des audiences vis-à-vis de la publicité. C’est une préoccupation qu’on observe également d’un point de vue législatif. Toutes ces raisons font qu’aujourd’hui Facebook a tout intérêt à développer de nouvelles sources de revenus.

IN. : en Asie, les réseaux sociaux concurrents de Facebook, Instagram et Whatsapp sont bien plus créatifs en termes de monétisation : peuvent-ils servir d’inspiration ?

Guillaume Gombert : Nous avons réalisé une étude sur WeChat en 2019. À l’époque, la plateforme venait de décider de passer de deux à trois posts sponsorisés par jour par utilisateur, tous annonceurs confondus. Au même moment, Facebook affichait un post sponsorisé tous les dix posts. Aujourd’hui, sur Instagram, on est plutôt autour d’une publicité toutes les quatre stories… Historiquement, WeChat a vraiment décollé quand il a commencé à prendre des commissions sur les transactions qui passaient par la plateforme, avec WeChat Pay. Dans la vision des fondateurs WeChat, la publicité n’est pas un modèle possible, car ce n’est pas ce que veulent les consommateurs, ce qui est assez précurseur, car WeChat est né en 2011. Ce n’est pas pour autant que l’application ne sert pas à faire de la publicité, mais c’est de façon détournée, avec des jeux ou des contenus viraux par exemple.

IN. : à quoi pourrait ressembler le futur de Facebook ?

G. G. : quand on regarde les chiffres, l’Europe représente 16% des revenus de Facebook, les États-Unis 42% et l’Asie Pacifique – principalement l’Inde – 23%. L’Europe est donc loin d’être le premier foyer de revenus, même si c’est peut-être le plus mature et le plus rentable en dehors des Etats-Unis, étant donné le pouvoir d’achat de ses habitants. Le futur de Facebook, ce n’est pas Facebook en tant que réseau social, mais Instagram ou Whatsapp, étant donné la traction de ces deux applications dans les pays émergents, avec un modèle plutôt transactionnel. Whatsapp Pay est testé en Inde, par exemple. Ce n’est pas anodin si Facebook lance également une monnaie virtuelle, Diem (ex-Libra).

L. B. : le paiement est aujourd’hui le talon d’Achille de l’expérience e-commerce et social commerce. C’est ce qui manque à Facebook pour boucler la boucle. Mais il peine à le maîtriser. Instagram Checkout, annoncé en mars 2019 n’est aujourd’hui toujours pas déployé, par exemple. Sur la vingtaine de marques qui le testaient en exclusivité au lancement, il y en a peu aujourd’hui qui l’utilisent toujours.

IN. : comment expliquer le retard de Facebook sur le sujet du paiement ?

L. B. : Les marques ont peur de confier à Facebook cette brique-là, car c’est un risque de perte de relation et de connaissance client. Même si Facebook leur dit aujourd’hui qu’elles ont toujours accès à la donnée, on ne sait pas si ce sera toujours le cas demain. Elles sont donc clairement craintives et veulent avancer très doucement, sous forme d’expérimentation, avec des lignes de produits limitées. Elles ne veulent pas mettre toutes leurs billes chez Facebook. C’est un point bloquant, mais pas le seul : il y a aussi des sujets de lobbying de la part des institutions de paiement.

IN. : pourtant, Facebook se développe bien dans l’e-commerce, avec Facebook Shops lancé l’an dernier…

L. B. : Oui, en tant que marque, vous avez aujourd’hui la possibilité d’ouvrir un Facebook Shop. C’est une vitrine, jusqu’à l’étape du paiement, qui se passe sur le site de la marque. De la même façon que Google a rendu Google Shopping gratuit l’an dernier, l’enjeu pour Facebook est d’attirer un maximum d’entreprises, et notamment les plus petites. Le but est de montrer que Facebook est au chevet des PME pour les aider à se digitaliser, donc l’enjeu est de recruter un maximum de marchands, quitte à le faire gratuitement. Dans un second temps, ces marchands achèteront de la publicité. Mais cette activité e-commerce ne génère pas de revenus en tant que telle : c’est une stratégie qui a vocation avant tout à générer des revenus publicitaires.

IN. : du côté de la publicité, dans quelle direction l’offre de Facebook et ses filiales évolue-t-elle ?

L. B. : Il y a un renouvellement des formats publicitaires, avec le concept de “Discovery Commerce” et l’ambition de faire de la publicité différemment, en proposant aux internautes de venir faire du lèche-vitrine sur les réseaux sociaux. C’est une vraie expérience publicitaire, avec des formats intégrés, immersifs, de vrais mini-sites, loin des simples bannières ou posts sponsorisés.

G. G. : Cette tendance rejoint ce qu’on voyait déjà sur WeChat depuis plusieurs années, avec le principe des mini-programmes, dans lesquels les marques peuvent proposer une expérience immersive, mais en restant dans l’application WeChat.

IN. : qu’est-ce que les modèles publicitaires venus de Chine peuvent nous apprendre ?

G. G. : Il faut aussi parler de TikTok (Douyin en Chine), qui fait aussi beaucoup de concurrence à WeChat. En Chine, Douyin va jusqu’au e-commerce et propose des petits spots publicitaires, presque au niveau des pubs TV, mais sur mobile et à moindres frais. Ces formats permettent à des petits commerçants de tirer leur épingle du jeu, avec un ciblage très fin. Le live-shopping, très populaire en Chine, est aussi une forme de publicité associée à du e-commerce, en temps réel. En vidéo, des stars arrivent à vendre des dizaines de millions de dollars de rouge à lèvres en quelques minutes.

L. B. : jusqu’à présent, on était dans un modèle publicitaire classique, le même que depuis 100 ans, simplement transposé sur le digital : capter l’attention des utilisateurs. Là on voit un vrai virage, avec une économie de la créativité, des expériences à valeur ajoutée, du live-streaming. Avec le live-stream shopping, on a de vrais shows au sein des réseaux sociaux, plus seulement des formats publicitaires classiques. Pour Facebook, il va manquer le paiement pour aller jusqu’au bout de l’expérience, mais le jour où cette brique aura été ajoutée, la boucle sera bouclée…

IN. : confier toutes les briques de l’expérience en ligne à un seul acteur n’est-il pas risqué, pour les marques comme on l’a vu, mais aussi pour les consommateurs ?

G. G. : en Chine, la simplicité est telle qu’en un clic, on peut payer au sein des mini-programmes de WeChat sans avoir à sortir sa carte bancaire ou créer un compte. Avec un compte unique de paiement entre Facebook, Instagram et Whatsapp, Facebook pourrait avoir une puissance qu’aucune banque n’aura jamais. Mais si d’un point de vue utilisateur tout est plus simple, quel sera le prix à payer pour cette simplicité ? Est-ce qu’il ne vaut pas mieux avoir un système plus fragmenté ? Il y a aussi des enjeux géopolitiques et de régulation à prendre en compte.
IN. : que penser des incursions de Facebook dans le domaine de la rencontre en ligne, avec Facebook Dating, lancé l’an dernier ?

L. B. : Facebook a deux façons de faire grossir ses revenus : augmenter le nombre d’utilisateurs et augmenter les liens au sein de son réseau. Au début, Facebook nous a connectés avec des amis, puis des marques, puis des collègues avec Workplace. Facebook est sans cesse à la recherche de nouvelles formes d’interactions. C’est aussi pour cela qu’il a lancé une marketplace, qui permet d’entrer en relation avec des gens qu’on ne connaît pas et lui apporte de la connaissance supplémentaire sur ses utilisateurs. Dans le dating, Facebook ne va pas chercher une ligne de revenu, mais un moyen de faire passer plus de temps à ses utilisateurs dans son écosystème. Plus on passe de temps sur Facebook, plus on est exposé à de la publicité.

IN. : et les diversifications dans les terminaux, avec Portal et Oculus ?

G. G. : ce sont des diversifications très mineures. Elles ne vont pas changer le visage de Facebook car elles ne font pas évoluer fondamentalement son modèle. Ce qui les motive est toujours de ramener des utilisateurs dans son écosystème.

Portal, par exemple, c’est un autre moyen de garder et renforcer le lien avec les utilisateurs. Cet appareil permet un accès presque implicite au réseau Facebook et connecte des gens qui ne téléchargeraient pas forcément l’application. C’est analogue à ce que peuvent faire Amazon et Google avec leurs enceintes connectées. Ces entreprises veulent développer toute une chaîne sur laquelle elles ont le contrôle, au plus près des utilisateurs. Les questions à se poser derrière, c’est comment sont choisis les partenaires présents sur ces plateformes, comment sont déterminées les réponses qui sont affichées à l’utilisateur ? Aujourd’hui, ce sont des boîtes noires.

Quant à Oculus, pour l’instant ça n’a pas décollé. Mais demain, il pourrait être une source de revenus, pas en tant que produit, mais grâce au monde virtuel auquel il permettra d’accéder, un metaverse comme le propose déjà Fortnite par exemple. C’est une vision à long terme qu’à Facebook avec Oculus, un véritable lab pour tester des innovations. La dernière en date, le Facebook Bracelet Bellowband, est d’ailleurs impressionnante : elle permet de lire l’activité neuronale propre à chacun pour créer une interaction homme-machine aux usages multiples.

IN. : pour conclure, est-ce qu’il y a des champs que Facebook n’a pas encore investigué, mais pourraient lui apporter des revenus à court terme ?

L. B. : un domaine n’a pas vraiment été exploité par Facebook : tout ce qu’il se passe dans l’économie de la création, avec les influenceurs et les créateurs. Certes, Facebook s’est positionné pour mieux encadrer les placements de produits et les posts des influenceurs, mais il ne perçoit pas de revenus dessus. Peut-être que demain, le réseau social pourrait développer des modèles autour de ça ?

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