2 mars 2016

Temps de lecture : 9 min

Start-up et grandes entreprises : qui va influencer qui ?

Mieux vaut tard que jamais : les groupes du CAC 40 s’engagent, enfin, auprès des start-up. Preuve que la relation entre les jeunes pousses et les grosses entreprises se confirment et évoluent vers un nouveau modèle. Tant mieux, car selon « David avec Goliath », l’étude signée Bain & Company et Raise, la France a un sérieux retard à rattraper.

Mieux vaut tard que jamais : les groupes du CAC 40 s’engagent, enfin, auprès des start-up. Preuve que la relation entre les jeunes pousses et les grosses entreprises se confirment et évoluent vers un nouveau modèle. Tant mieux, car selon « David avec Goliath », l’étude signée Bain & Company et Raise, la France a un sérieux retard à rattraper.

La formule vertueuse, selon laquelle « chacun apprend de l’autre », semble enfin arriver jusqu’aux neurones des patrons qu’il s’agisse des groupes du Cac 40 ou des jeunes pousses, tel est le principal enseignement de l’étude « David avec Goliath » (*). Pour les premiers c’est le moyen de gagner en réactivité et en compétitivité pour les seconds c’est l’opportunité de garantir leur pérennité et de voir se développer « leur » idée. En effet, tout en contribuant à améliorer la connaissance par les grands groupes des transformations de l’écosystème, ces alliances constituent ainsi une parade au fameux « tunnel de la mort » qui voit disparaître près de 50% des entreprises françaises au cours de leurs 5 premières années, coûtant cher au pays en termes d’emplois, de croissance et de progrès.

Menée par Bain & Company, cabinet conseil en stratégie, Raise , fonds d’investissement dans l’économie des start-up avec la collaboration de la Chaire Entreprenariat de l’ESCP Europe, la 2ème édition de cette étude révèle une véritable effervescence depuis 2 à 3 ans autour de ces partenariats. De quels types sont ou doivent être ces derniers? Avec quels moyens? Pour quels objectifs poursuivis? Et quels impacts obtenus? sont les thèmes abordés par cette enquête. Mais aussi quels leviers à actionner pour les optimiser, pour accélérer le mouvement qui doit être plus homogène et aider la France à combler son retard et enfin investir pour de bon ce nouveau modèle économique.

Des forces en pleine effervescence…

Que ce soit en tant qu’ « incubateurs », « investisseurs », « parrains », « partenaires »… la moitié de ces rôles n’étaient pas tenus par les groupes du CAC 40, il y a 3 à 5 ans. Désormais, ils se sont tous engagés (hors relations classiques client/fournisseur ou prise de participation) auprès de start-up, alors que ce n’était le cas que pour moins d’un tiers d’entre eux en 2010. Et c’est encourageant dans la mesure où une relation avec une grande entreprise impacte positivement la croissance d’une jeune entreprise dans 93% des cas. « La rapidité et la passion avec lesquelles nos interlocuteurs nous ont répondu confirme notre intuition », commentent Clara Gaymard et Gonzague de Blignières, cofondateurs de RAISE et co-auteurs de l’étude « l’ignorance, voire la méfiance réciproque souvent évoquées entre les « David » et les « Goliath » de France se dissipent au profit d’une curiosité grandissante et d’un désir constructif d’apprendre l’un de l’autre ». Dans ce contexte, deux autres bonnes nouvelles s’ajoutent. D’abord, ce mouvement bénéficie d’un terreau favorable avec des Goliath surreprésentés et des David qui ne manquent pas, comme le souligne l’enquête. Avec 8% des entreprises leaders mondiaux qui sont françaises, alors que la France contribue à hauteur de 4% du PIB mondial. Et un nombre moyen de créations d’entreprises estimé à 320 000 par an sur les 5 dernières années. Rapporté au stock d’entreprises existantes, cela fait un taux de 9%, ce qui situe la France au niveau de la moyenne européenne ou des Etats-Unis. Ensuite, contrairement aux idées reçues, les jeunes entreprises impliquées ne viennent pas uniquement du monde numérique mais représentent un large éventail de secteurs d’activités.

De plus, de la prise de participation directe dans le capital à la mise en place d’incubateurs, du développement de politiques de mécénat au lancement de diverses initiatives RH, les différents types d’alliance instaurés servent des objectifs multiples. Pour la grande entreprise, il peut par exemple s’agir de business développement, de veille technologique, de transformation culturelle, de communication, d’investissement ou d’impact sociétal. Pour la jeune entreprise, ces partenariats peuvent faciliter un gain de notoriété ou l’accès au financement et à de nouveaux marchés. « Bien plus qu’une mode, ces pratiques illustrent l’émergence d’un nouveau modèle de gestion. Autrement dit, la problématique de l’entrepreneuriat n’est plus réservée aux start-up uniquement. Les grandes entreprises souhaitent rejoindre des communautés où managers et entrepreneurs travaillent ensemble. Cela passe par de nouvelles formations, de nouveaux espaces de travail où le dirigeant prend la posture de l’entrepreneur et où l’entrepreneur rentre dans le monde du cadre dirigeant», explique Sylvain Bureau, Directeur de la Chaire Entrepreneuriat d’ESCP Europe.

… des faiblesses mais un potentiel d’amélioration…

Pourtant -et c’est le premier point un peu mitigé relevé par l’étude- il y a une grande hétérogénéité dans les niveaux de motivation et d’engagement, ce qui fait perdre du temps et de l’efficacité au marché français. Ainsi avec 93% des grands  groupes qui se consacrent aux prix/événements, 70% aux fondations/mécénats et 59% au venture capital, le podium traduit d’abord une forte quête de notoriété. Et montre bien des degrés de maturité différents dans les initiatives des grandes entreprises ciblant les jeunes pousses. Classées en trois ordres « Attentiste », « Exploratrice », Experte », seule cette dernière catégorie -soit 15% des entreprises interrogées- adopte ainsi vis-à-vis de leurs partenariats avec les jeunes entreprises une approche structurée ou complète inscrite dans leur propre stratégie d’entreprise, avec des objectifs définis et des outils de suivi grâce auxquels elles les accompagnent dans l’ensemble des phases de leur développement. De ce fait, l’écosystème est encore loin de son plein potentiel, ce que confirme l’analyse du niveau de satisfaction des jeunes entreprises vis-à-vis de ces alliances : très hétérogène, lui aussi, et peu élevé en moyenne, ce dernier met ainsi souvent en cause le déséquilibre perçu dans le partenariat en faveur du grand groupe (38%), la lenteur (36%) ainis que le manque d’implication (8%) du « Goliath », l’importance de l’investissement requis pour « David » (32%) et la différence de culture (11%). Résultat, à la question : « Recommanderiez-vous à une autre jeune entreprise de faire alliance avec une grande entreprise ? », seulement 21% d’entre eux sont prescripteurs, 42% restent neutres et 31% sont plus ou moins détracteurs. Des chiffres qui démontrent qu’il y a un fort potentiel d’amélioration.

Deuxième point négatif : les grandes entreprises françaises sont largement dépassées par leurs homologues américains dans leurs démarches de coopération avec les jeunes entreprises. Ainsi, sur les 40 plus grandes capitalisations boursières des deux pays, le nombre d’entreprises qui ont des fonds de Corporate Ventures en propre est deux fois supérieur aux États-Unis qu’en France. En outre, les montants d’investissements des Corporate Ventures sont 24 fois plus élevés aux États-Unis qu’en France (6,9 milliards contre 290 millions d’euros en 2015) pour un PIB seulement 6 fois supérieur. De même, beaucoup de ces grands groupes américains accompagnent aussi leur « bébé » à l’internationalisation. Ce qui est loin d’être le cas en France. Le chemin est donc encore long mais il faut l’emprunter sans plus d’hésitation car le développement de partenariats mutuellement bénéfiques entre grandes et jeunes entreprises pourrait contribuer à rattraper le retard français en matière de croissance des jeunes entreprises : à l’heure actuelle, seulement 5% des entreprises françaises ont plus de 10 salariés, contre 21% aux États-Unis. « Cette coopération est la voie de l’avenir », confirme Olivier Marchal, président de BAIN & COMPANY « à l’heure où il devient urgent de rattraper le retard français. C’est le sens de notre étude David avec Goliath, qui a pour ambition d’aider jeunes et grandes entreprises à mieux se comprendre et de favoriser la multiplication de ces collaborations qui constituent un outil majeur de création d’emplois ».

… 4 leviers à actionner autour du maître mot : confiance

Néanmoins, les clés de la mise en œuvre d’alliances fructueuses sont nombreuses. De nombreux exemples démontrent des impacts business concrets pour les deux parties : accélération du développement pour la jeune entreprise, développement plus rapide de nouveaux produits et services à moindre coût pour la grande entreprise. Seuls outils pour bâtir ces partenariats sucessfull ? La confiance réciproque -on y revient toujours!- et le respect des intérêts économiques de chacun. Deux atouts très réalistes garants du gagnant/gagnant et des fondations équilibrées. Aux grandes entreprises d’adapter leur approche aux spécificités des jeunes entreprises, en les laissant par exemple bénéficier de procédures plus légères et en favorisant leur autonomie. Aux jeunes entreprises de comprendre les contraintes des grands groupes, tels qu’une moindre facilité à s’adapter en temps réel, des rythmes plus longs et l’importance du respect des procédures. « Il est fondamental que la grande entreprise ne profite pas d’un rapport de force qui est en sa faveur », insistent les 3 co-auteurs « De même, pour les jeunes entreprises, il est important de comprendre que la taille de la grande entreprise ne diminue pas les contraintes sur les investissements ou les ressources. Il ne faut pas être naïf : il n’y a pas de cadeaux à espérer. Certains aspects du partenariat, comme la propriété intellectuelle, méritent d’être considérés en profondeur (avec la nécessité pour les deux partenaires de protéger leurs actifs intellectuels), tout en gardant agilité et rapidité ».

Une réflexion qui s’appuie sur les 6 ateliers de réflexion qui ont également étayé l’étude. Organisés pendant 2 jours en février, ils ont réuni 20 cadres dirigeants de grandes entreprises et 40 représentants des jeunes entreprises autour de thématiques transversales et complémentaires des relations entre grandes et jeunes entreprises : financement et accompagnement, ressources humaines et culture d’entreprise, innovation et R&D, partenariats commerciaux, nouveaux modèles d’entreprises et opportunités et limites de la disruption. Fondés sur le bilan des expériences des participants, ces échanges ont permis de définir 81 recommandations destinées aux grandes entreprises, aux jeunes entreprises et aux pouvoirs publics. S’il n’existe pas de « recette magique » applicable à tous les modèles, quelques facteurs clés de succès se dégagent ainsi autour de 4 axes majeurs pour chacune des parties.

Pour les grandes entreprises il leur faut :

– l’adoption d’une approche stratégique à long terme (au moins 10 ans voire plus)

– la définition d’objectifs précis et la mise en place d’outils de suivi (c’est-à-dire entrer dans l’âge du faire avec des partenaires adaptés et des indicateurs de succès pertinents)

– une gouvernance lisible et efficace et la constitution d’une communauté de start-ups championnes (avec un leadership impliqué dans la durée, des équipes disposant d’un fort niveau d’indépendance, d’autorité ou même d’une responsabilité sur le compte de résultat et proche avec les opérationnels pour accompagner au mieux le parcours des jeunes entreprises via un bon calendrier et une « contagion » positive)

– la création de structures dédiées favorisant une approche adaptée de gestion du risque et de l’innovation (l’encouragement de la prise de risque par les équipes, la multiplication des expérimentations, une externalisation éventuelle des équipes internes, la prise en compte de son propre niveau de maturité).

Pour les start-up, il leur faut :

– la réflexion en amont : la clarification des objectifs poursuivis dans les alliances avec les grandes entreprises est souvent menée de façon imparfaite ou trop opportuniste. La jeune entreprise doit déterminer le type de partenaire recherché et le mode de partenariat à privilégier

– la bonne préparation : clarifier en amont un certain nombre de dimensions permet de maximiser les chances d’un premier contact et d’un partenariat réussis : utilisation de références, compréhension des aspects administratifs, juridiques et financiers, ciblage des bons interlocuteurs, compréhension de leurs besoins et de ceux de l’entreprise, adaptation du discours en conséquence

– des attentes réalistes: il est important de se fixer les limites à ne pas dépasser. Cela passe par l’estimation réaliste des ressources nécessaires pour mener à bien le partenariat d’un côté et des gains potentiels de l’autre. Il peut s’agir, par exemple, d’un investissement endémarchage commercial ou de l’adaptation de l’offre aux besoins spécifiques d’une grande entreprise. Si l’investissement devient trop coûteux, il est important de savoir s’arrêter

– une offre idéalement « must have » : les partenariats les plus réussis sont ceux où la jeune entreprise apporte une brique indispensable à la grande entreprise

… sans oublier l’implication nécessaire des pouvoirs publics

Enfin plusieurs conclusions de l’étude insistent sur le fait que pour développer ces alliances et garantir des règles du jeu simples et équitables, une implication des pouvoirs publics et des autres acteurs de l’écosystème est nécessaire. Ceux-ci sont principalement attendus sur la facilitation de la mise en relation des jeunes et grandes entreprises françaises et internationales ainsi que sur l’accès aux acteurs de l’enseignement, de la recherche et du financement. Ils sont aussi invités à se concentrer sur la stabilisation, voire la simplification du cadre fiscal, juridique et réglementaire englobant les engagements des grandes entreprises vis-à-vis de leurs partenaires. Surtout, la nature plus fragile des jeunes entreprises rendant indispensable la protection de leurs droits, les pouvoirs publics doivent garantir le respect de ce cadre. Une ambition qui se doit d’être partagée, donc.

(*) composée d’entretiens auprès de 40 grandes entreprises françaises et groupes internationaux implantés en France, d’un sondage mené par OpinionWay auprès d’un échantillon de 126 fondateurs ou dirigeants des jeunes entreprises qui ont eu ou qui ont des relations partenariales avec les grandes entreprises, et de 15 entretiens approfondis avec les représentants de l’écosystème : jeunes entreprises, fonds d’investissements, incubateurs et pouvoirs publics.

Photo de Une : Whiskas

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