2 décembre 2014

Temps de lecture : 8 min

La classe moyenne a-t-elle une consommation résignée ?

Marques et annonceurs : l’heure est grave. Face aux incertitudes socio-économiques et à son pouvoir d’achat rogné, le Français moyen est devenu un consommateur déflationiste… Peut-être pour toujours. FreeThinking, auteur d'une enquête sur le sujet donne des pistes pour sortir de l’ornière : redonner sa valeur au prix et ne pas gâcher l’atout du digital.

Marques et annonceurs : l’heure est grave. Face aux incertitudes socio-économiques et à son pouvoir d’achat rogné, le Français moyen est devenu un consommateur déflationiste… Peut-être pour toujours. FreeThinking, auteur d’une enquête sur le sujet donne des pistes pour sortir de l’ornière : redonner sa valeur au prix et ne pas gâcher l’atout du digital.

Face à son pouvoir d’achat largement écorné et la crise qui ne cesse d’enliser les perspectives d’avenir, le Français moyen n’a trouvé qu’un seul moyen pour résister : s’installer dans une guerre de position. Ce constat peu réjouissant est l’une des principales conclusions de « Rétention, Déflation, Réinvention. Quand les classes moyennes parlent de prix, de pouvoir d’achat et leur nouvelle société de consommation en 2014 », la troisième enquête qualitative et participative menée pour Publicis Groupe par Véronique Langlois et Xavier Charpentier, directeurs associés du Laboratoire d’Etude Communautaire et de Planning Stratégique, FreeThinking (*).

C’est d’autant plus alarmant que ce comportement amorcé en 2008 se cristallise depuis 2012. Toutefois, cette évolution en accéléré ne se traduit plus comme en 2012 par des notions comme effort, souffrance, insécurité ou souffrance, mais par action, pragmatisme, solution, expérience. Un vocabulaire certes plus combatif. Cependant, ne nous y trompons pas, il révèle surtout l’acceptation d’une phase de normalisation résignée où le consommateur est déflationiste voire défiant. Une posture qui pourrait jouer les prolongations, tant elle répond à un besoin de consommation moins économique et plus éthique. Mais qui ne sera pas sans conséquence pour les entreprises !

4 nouvelles habitudes pas vraiment utopiques

« Le consommateur s’est construit un système de valeurs lui permettant de développer un état d’esprit dominé par l’attente, la retenue et la limitation de son empreinte consommation. Après l’abattement en 2008 et le constat durement admis d’un certain « manque à gagner » inéluctable en 2012, il a désormais intégré de façon assez dédramatisée 4 nouvelles habitudes », explique Xavier Charpentier.

Tout d’abord, être plus alerte et acquérir de nouveaux réflexes pour saisir les opportunités non plus de temps en temps mais constamment, sans développer le sentiment d’effort et de coût qui accompagnait cette démarche, il y a encore deux ans.

Ensuite, remplacer le règne du moins cher par le primat de l’expérience. Un axe acquis grâce à la capacité d’apprentissage du consommateur et qui lui permet de passer de l’obsessionnelle et déprimante quête du « toujours moins cher » à celle plus valorisante et positive du « sûrement le prix le plus juste ». Dans ce nouveau paradigme, confirme Xavier Charpentier « ce n’est plus la nécessité absolue de faire des économies qui guide le comportement d’achat et éclaire la perception des prix du consommateur, mais la volonté de s’en sortir au mieux au regard de l’expérience accumulée. Ici le consommateur expérimenté, c’est celui qui a appris à moins s’indigner et à mieux s’informer ».

Puis abandonner des pratiques non rentables : le consommateur de 2008/12 malheureux et en panique face aux nouvelles donnes, et qui avait tant bien que mal sorti son kit de survie, a fait place à un consommateur au comportement optimisé qui intègre sa charge mentale dans le calcul coût-bénéfice qui est le sien pour s’en sortir au mieux. Ainsi, l’utilisation du drive ou des comparateurs de prix comme l’abandon de la machine à pain par beaucoup reflètent ce lâcher prise sur la vigilance absolue.

Enfin, privilégier la généralisation d’une consommation raisonnée. En pensant, justifiant et calculant au maximum pour répondre à une seule préoccupation : quand il est devenu impossible de se permettre ce que l’on veut, il faut identifier les catégories et les biens dans lesquels on est prêt à investir. Or ce comportement raisonnable, organisé et éprouvé avec lequel le Français moyen peut dire sans presque plus jamais souffrir « ça me suffit », est un vrai problème pour les marques car il contribue à pérenniser une situation économique en berne. De plus, en cas de retour à la croissance, les consommateurs pourraient ne pas renouer avec le comportement d’avant plus « cigale », tellement les « cliquets » qu’ils ont mis en place pourraient prolonger leur effet de garde fou. « Nous sommes passés de l’adaptation récriminante à une discipline banalisée de la rétention dans laquelle on trouve son compte », confirme Xavier Charpentier.

Rattraper le consommateur « déflationiste »

Consommer comme « avant » ne fait donc plus partie du jeu. Aujourd’hui et demain sont placés sous les signes du consommer moins et malin ainsi que de la dépense très mesurée et la plus transparente possible. Et l’inventivité en matière de nouvelles pratiques ne manque pas : le troc, l’échange, le prêt, la deuxième main, le recyclage (compost, emballages…), le collaboratif, l’économie circulaire avec le commerce sans emballage et le vrac, les bons plans… Tout cela est systématique, « mainstream » et perçu non plus comme une action militante mais comme une attitude pragmatique, donc parfaitement assimilée voire naturelle. Notamment grâce à Internet qui pousse dans ses retranchements l’expérience de la moindre économie et surtout qui permet de « gagner plus » en donnant une deuxième vie aux objets ou aux services.

Les consommateurs ont donc très vite appris à attendre ou à reporter leurs achats avec le satisfecit de se dire : tout cela est bien pour la société plus humaine et moins mercantile et pour la planète mieux protégée. « Ils ont aussi réappris à compter face à une monnaie forte, précieuse qui fait qu’à priori rien n’est bon marché et que tout doit être négocié », complète Xavier Charpentier « Et les verbatims des 104 Français autour de ces préoccupations socio/économico/environnementales révèlent qu’il y a bel et bien une crise du prix en France ». Une problématique liée à une réévaluation trop systématique et à résoudre impérativement si les marques veulent sortir leur épingle du jeu.

Confusion autour du prix… à résoudre impérativement

« Il y a une grande confusion organisée autour des prix créant un clivage bon/méchant », confirme le co-auteur de l’étude « et qui se traduit d’un côté par une défiance ordonnée vis-à-vis des puissants (grandes entreprises, distributeurs…) soupçonnés d’organiser la cherté. Et de l’autre, par de l’empathie pour les « petits » (producteurs, artisans, TPME…) aux côtés desquels le consommateur -également faible- se range ». Résultat, la notion d’un « prix moral, éthique et social » s’est introduite dans laquelle on est sensé retrouver un certain équilibre des valeurs. Mais ce dernier n’existe pas encore, car il y a peu de gens de bonne volonté au sein des entreprises et des circuits marchands pour répondre à cette demande pourtant légitime de plus de responsabilité économique. « Et ce n’est pas une bonne nouvelle car les consommateurs finissent d’une part, par faire la chasse aux intermédiaires pour reprendre en main le prix et gagner en transparence. Et d’autre part, par ne plus percevoir ce que les acteurs économiques réalisent concrètement en leur faveur, comme la baisse des prix de 2,5%, cet été en GMS ». Avec comme conséquence, encore et toujours l’absence de consommation.

L’autre élément qui joue en défaveur du prix tel qu’il est conçu aujourd’hui, est la multiplication -online ou off line- des offres gratuites et autres promotions ou soldes en tous genres proposées à tous moments, jugées comme des « faux amis ». Sans compter les événements spectaculaires comme l’arrivée d’acteurs sur le marché dont les offres déstabilisent l’édifice, à l’instar de Free. Révélant ainsi, la course aux marges folles des autres opérateurs. Or, tout en provoquant de l’intérêt ces pratiques distillent un vrai scepticisme. « Il est essentiel de renouer avec la notion de prix juste », insiste Xavier Charpentier « Et pour cela il faudrait procéder, en dépit de la concurrence, à une sorte de « reset » pour qu’il ne soit plus perçu comme arbitraire en redonnant à sa valeur des repères plus clairs sur ses principes et sa mesure-étalon». Et ce concept de « prix juste » ne pourra retrouver ses lettres de noblesse que s’il est associé à social, respect, travail, équitable, responsabilité, dignité, honnêteté, producteur, direct. Bref un bon prix respectant chaque acteur de la chaîne y compris le consommateur.

Le Web : la carte « Chance » à ne pas gâcher

Les déclarations des Français moyens à propos d’Internet montrent à quel point, l’outil a pu aider à dépoussiérer la relation client ou marchande en revitalisant l’accès à l’information pratique (forums, sites, comparateurs, blogs…). Avec comme conséquences extrêmement positives : le choix élargi et la réintroduction salutaire des notions de l’offre et de la demande sans rapport de force. Incarnant ainsi la possibilité de passer d’un discours conflictuel (petits/gros) à un discours réformiste (améliorer les choses à son profit de façon dépassionnée). Car en effet, avec lui, on peut à nouveau se renseigner, discuter, négocier et infléchir le cours des choses plutôt que de vouloir les renverser. « Il est indéniablement facteur de renaissance des principes économiques plus rationnels et pragmatiques et ses bénéfices évidents constituent absolument une piste qu’il ne faut absolument pas galvauder », note Xavier Charpentier « Et les entreprises qui ne peuvent pas se permettre de détruire la valeur de marque ni celle de la relation client doivent jouer cette carte chance avec finesse ». Avec un enjeu de taille : préserver la confiance retrouvée.

Car si le consommateur est bien attaché au contenu et à l’imaginaire de la marque, il est aussi très conscient qu’Internet peut multiplier artificiellement les offres, les possibilités, les prix pour lui redonner un pouvoir illusoire. « D’ailleurs, les contributions des participants révèlent que pour s’en prémunir, ils sont prêts à partager leurs avis ou expériences », souligne Xavier Charpentier « Et de même qu’on parle d’ « Infobosité », en ce qui concerne l’information disponible sur le consommateur, lui parle d’ « Offrobosité » à propos de ce à quoi il est exposé en matière de consommation et de diversité de prix ». Une situation que les marques doivent absolument éviter au risque d’être contre productives en ramenant le Web au rôle de renfort à la culture de déflation et du « moins-disant ». Car si tout le monde est d’accord pour payer moins en étant mieux informé, personne ne l’est pour se restreindre toujours davantage sans que cela n’ait d’autre sens que de créer une société de travailleurs et de consommateurs pauvres.

Le consommateur qui a su s’adapter à la dureté des temps est donc jusqu’au bout sans illusion et se prémunit. Mais il est prêt à accorder encore sa confiance pourvu que les marques fassent preuve de créativité et de sens pour l’aider à se retrouver dans le maquis des prix que ce soit sur la Toile ou dans les magasins. « Le discours sur le prix n’est plus la seule affaire du marketing, encore moins du commercial », conclut Xavier Charpentier « c’est un enjeu de communication qui remonte au plus haut niveau du management, parce qu’il engage toute l’entreprise et surtout il exprime une vision de la société et un langage d’actes auquel personne ne peut plus se dérober ». Et il est urgent de réagir, car le consommateur n’attend plus et trace déjà sa route tout seul notamment grâce à Internet, comme le Baromètre des Valeurs des Français 2014 de TNS Sofrès, le révélait en septembre dernier, dans INfluencia.

Florence Berthier

(*) 104 Français des classes moyennes rassemblés sur la plateforme collaborative de FreeThinking du 7 au 21 juillet 2014. 785 contributions postées sur 5 thèmes. Constitution de la communauté : hommes (48%), femmes (52%), 25 et 59 ans (avec 47% de 25-34 ans, et 533% de 35-59 ans), actifs (dont 24% issus du secteur public et 76% du secteur privé), revenu mensuel net du foyer de 2400 à 4999 euros, habitant Paris et la Province.

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