24 avril 2018

Temps de lecture : 6 min

« On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes »

Le besoin d’authenticité est le thème du quatrième opus de la collection de livres « Françaises, Français, etc... », co-produit par 366 et Kantar Public. Quatre grandes tendances et plusieurs sous-tendances y sont analysées et seront publiées en exclusivité chaque semaine par INfluencia. Cette semaine : le besoin d'ancrage dans le temps et l'histoire.

Le besoin d’authenticité est le thème du quatrième opus de la collection de livres « Françaises, Français, etc… », co-produit par 366 et Kantar Public. Quatre grandes tendances et plusieurs sous-tendances y sont analysées et seront publiées en exclusivité chaque semaine par INfluencia. Cette semaine : le besoin d’ancrage dans le temps et l’histoire.

Les paysages de la Côte d’Opale avec ses grandes plages, ses dunes et son vent marin… les villes avec leur patrimoine et leurs beffrois… l’Histoire, avec les cimetières militaires et les lieux de batailles des dernières guerres… le patrimoine industriel et la mémoire ouvrière avec ses mines et terrils… la convivialité, la tradition et la richesse de grands événements comme le Carnaval de Dunkerque et la Grande Braderie de Lille… la gastronomie, enfin, de ses grands classiques aux produits du terroir… Une étude riche et passionnante de La Voix du Nord nous révèle comment les habitants du Nord-Pas-de-Calais montrent ce qui fait leur fierté et la façon dont ils voudraient que l’on regarde  » leur  » région. Très loin des stéréotypes parfois véhiculés d’une région gangrenée par les problèmes sociaux, la misère et l’ascension du FN12.

Paysages, histoire, mémoire, origine, traditions, vivre ensemble, cette étude dit tout de la manière dont un territoire aujourd’hui projette une identité appropriée par les individus, les ancre dans le temps d’une histoire collective et crée de la différenciation dans la mondialisation. Dans toutes ces dimensions, le territoire offre aux Français une identité, une authenticité, une forme de vérité. Et c’est bien précisément parce qu’elles en sont le reflet que  » Des Racines et des Ailes  » et  » Thalassa  » sont, et de loin, dans notre enquête, les deux émissions télévisées jugées les plus authentiques. Impossible d’ailleurs de savoir d’où vient réellement cette phrase reprise partout et par tous : “ On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes ”, tantôt proverbe juif, maxime chinoise ou citation hindoue… mais toujours issue d’une culture ancestrale !

Traditions ? Dites plutôt « patrimoine culturel immatériel »

On trouve de l’authenticité dans le territoire. Dans ce qu’il est, mais aussi dans la manière dont les hommes l’ont façonné au cours du temps. On se rattache à une histoire et à des traditions. Le revival des traditions locales est une autre facette de l’expression du besoin d’authenticité. Ce qui était il y a quelques années folklore un peu désuet et parfois moqué est devenu aujourd’hui marque de dynamisme et de vitalité. La presse quotidienne régionale regorge d’articles sur le renouveau et la réappropriation des traditions locales. Feria de Nîmes, joutes nautiques de Sète, fêtes de Bayonne, concours de force basque, marchés de Noël en Alsace… la liste est innombrable de ces traditions renouvelées et réinventées. Des luminions posés sur les fenêtres pour remercier la Vierge Marie d’avoir protégé la ville de la peste, la fête des Lumières est devenue à Lyon, un rendez-vous prisé d’art contemporain, de performances artistiques et d’illuminations en tous genres. Une fête catholique traditionnelle revisitée à la mode Nuit Blanche ! Ces traditions locales font à la fois la fierté des habitants et attirent chaque année davantage de visiteurs et de touristes, au plus grand profit du territoire. Elles ne sont pas un repli figé sur le passé, mais bien plus un moyen de s’emparer du passé pour exister, se montrer et se développer au présent. Elles sont vivantes pour se constituer en éléments de différenciation, et donc de rayonnement et d’attractivité du territoire. Elles deviennent ainsi le levier d’un marketing territorial revendiqué et assumé. “ Quatre mille restaurants dont quinze étoilés au Michelin ”, “ deuxième ville artistique et culturelle de France ”, le site OnlyLyon, pionnier en matière de marketing électoral, proclame son ambition de faire de la ville, la première cité européenne pour un city break.

Ce que l’on nomme aujourd’hui “ patrimoine culturel immatériel ” n’a jamais eu autant de valeur. Les Français en ont d’ailleurs parfaitement conscience : interrogés dans notre enquête sur les “ marqueurs ” qui font le dynamisme d’un territoire, ils citent en premier “ les traditions et initiatives locales ”, devant les infrastructures, le patrimoine et les paysages. Une fois encore, les marques ont parfaitement bien saisi l’air du temps. Et le besoin des individus de se raccrocher à une origine, à une identité et une histoire. Désireuses d’apparaître “ proches ” et “ authentiques ”, elles utilisent alors la nostalgie comme véritable outil marketing. Images d’Épinal des terroirs et de la “ France éternelle ” sur les produits Reflets de France, carreaux rouges et blancs rappelant les nappes de notre enfance sur les produits Bonne Maman, qui ont “ le doux parfum d’antan ”, Danone 1919, “ délicieux yaourt nature au bon lait entier inspiré de la recette originale de 1919 et sublimé par cent ans de savoir-faire ” qui invite à “ redécouvrir le bon ”, slogan de Citroën appelant à “ se souvenir du futur ” pour la réinvention de la DS, interpellation de Comptoir de Famille nous rappelant, pour valoriser “ le charme et la nostalgie ” de ses collections que “ l’on a tous en nous des émotions oubliées et qu’il suffit d’un objet pour les retrouver ”… nombre de marques jouent auprès des consommateurs la madeleine de Proust d’un passé idéalisé.

À la recherche de son temps perdu…

Cette quête du passé pour mieux connaître son présent vaut pour l’histoire collective, mais également pour sa propre histoire. Un tiers des Français indiquent que leur quête d’authenticité est une manière de “ retrouver leurs racines ”. Dans une époque anxiogène où les repères sont brouillés, où plus rien ne semble acquis, le besoin de s’ancrer dans son histoire familiale est plus vivace que jamais. Savoir d’où l’on vient aide à savoir qui l’on est et où l’on va. Le succès croissant de la généalogie, le développement même d’un tourisme généalogique témoignent de ce besoin d’un retour aux sources. 87 % des Français sont “ intéressés ” par la généalogie et plus d’un sur deux a déjà effectué des recherches sur sa famille. De nouvelles “ sciences ”, ou plus exactement de nouvelles pratiques, encore balbutiantes, émergent. La  » psychogénéalogie  » cherche dans l’enquête familiale et l’analyse transgénérationnelle, dans les secrets et les non-dits, les raisons de nos troubles et de nos échecs. La kinésiologie permet d’avoir accès à l’histoire enregistrée par notre corps, l’histoire de nos émotions et les traces laissées.

La quête d’authenticité est une manière de renouer les fils entre passé et présent. Et l’histoire individuelle croise parfois l’histoire collective : sur 581 livres, la rentrée littéraire 2017 comportait une dizaine de romans sur l’Algérie, tous traitant plus ou moins des non-dits de la guerre et de leurs conséquences. Comme « L’Art de perdre » d’Alice Zeniter, qui remporte le prix Renaudot des Lycéens, le prix Landerneau et le prix littéraire du Monde. L’auteure, jeune Française d’origine algérienne, nous emmène dans la quête de ses origines en racontant la guerre du côté “ des perdants ”, la culpabilité des siens, prisonniers d’un passé qu’ils préfèrent oublier et qu’elle sublime pour mieux le retrouver et se retrouver elle-même.

Jusqu’au repli : le passé comme un mythe

Un retour aux origines, un territoire “ qui ne ment pas ”… Le terrain peut cependant vite devenir glissant et on entrevoit aisément les effets politiques pervers d’une quête d’authenticité jusqu’au-boutiste ou radicale. Car si le mouvement vers plus d’authenticité est essentiellement positif en ce qu’il promeut le simple, le vrai, le naturel et l’humain, il a aussi un côté obscur : celui de la fermeture et du repli sur soi. En revivifiant les traditions, les cultures, les langues locales, les mouvements indépendantistes peuvent aussi contribuer à nourrir des fractures qui, à terme, pourraient menacer l’Europe de balkanisation. “ Le nationalisme, c’est la guerre ”, disait Jaurès. Et le régionalisme ? “ Take back control ” (reprenons le contrôle comme quand nous allions mieux), assénaient les “ pro-Brexit ”; “ Make America great again ” (revenons au bon vieux temps où l’Amérique était forte et incontestée), lançait Trump : chercher dans le passé pour construire le présent peut être une fantasmagorie dangereuse et déboucher sur des expériences politiques pour le moins hasardeuses.

Du côté des individus, ce besoin peut aussi se matérialiser en crispation, en repli sur soi, en enfermement communautariste dans des croyances, des convictions ou des modes de pensée considérés comme “ authentiques ”. Notre société fait face à ces crispations et replis communautaires qui fragilisent la cohésion nationale et l’avenir collectif. C’est précisément contre ce risque de “ communautarisation ” et de “ confessionnalisation ” de la société que mettent en garde Delphine Horvilleur, rabbin français du Mouvement juif libéral de France, et Rachid Benzine, islamologue et politologue, figure de proue du dialogue interreligieux dans un livre commun, nous appelant à nous méfier de la nostalgie d’un retour en arrière et de la mythification d’un passé “ authentique ” contre un présent “ corrompu ”. Et à préférer au “ pur ” repli sur soi et à une confessionnalisation de la société qui enferment les individus dans une identité et une seule, des manières de vivre ses croyances pluralistes, ouvertes et en dialogue avec celles des autres.

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