10 mars 2019

Temps de lecture : 6 min

« Nous sommes passés du storytelling au storyliving »

Rencontre avec Laetitia Faure, fondatrice du bureau de tendances marketing Urban Sublime, partie en quête des meilleures tendances détectées à New York.

Rencontre avec Laetitia Faure, fondatrice du bureau de tendances marketing Urban Sublime, partie en quête des meilleures tendances détectées à New York.

IN : à l’heure du digital comment toucher le consommateur en magasin et amplifier son expérience ?

Laetitia Faure : l’approche des marques envers les consommateurs a beaucoup changé depuis deux ans. Nous sommes passés de l’ère de la possession à l’ère de l’émotion. Les enseignes se concentrent donc sur l’expérience à faire vivre autour du produit. Les magasins doivent sortir de leur logique unique de transaction. Nous sommes également passés du storytelling -la mise en scène du contenu par les marques- au storyliving, la marque vécue par le prisme de ses clients.

IN : pouvez-vous nous décrire ce concept de storyliving ?

L.F. : ce sont les consommateurs qui écrivent désormais l’histoire de la marque. Aujourd’hui les meilleurs concepts de magasins dans le monde proposent une histoire à leurs clients comme Gentle Monster le lunetier coréen qui se raconte à travers l’art ou Eataly à New York qui ne désemplit pas en proposant une vision immersive, ludique et interactive de l’Italie. « Chaque magasin doit être un théâtre », soulignait Martin Urrutia Islas, Global Retail XP de Lego lors de la NRF à New York en janvier dernier, « je ne me souviendrai peut-être plus de la couleur du sol, ni des rideaux, mais je me souviendrai de l ’histoire »

Cela implique une nouvelle organisation pour les marques: proposer des expériences renouvelées (tous les 3 mois dans le cas de Gentle Monster) et différentes en fonction du type de client qui entre dans la boutique et de sa personnalité. On change de monde à chaque magasin. Enfin l’histoire racontée doit tourner autour du consommateur; c’est lui l’acteur du lieu notamment avec la personnalisation des produits. C’est également avec lui qu’il faut créer des émotions qui sont le ciment de la mémoire, la base de la relation de confiance.

Ce sont également les consommateurs qui digitalisent l’expérience des marques. Par exemple au tout récent concept store Kellogg’s à New York sur Times Square, un véritable studio photo est mis à disposition des clients. Ces derniers l’utilisent de façon très naturelle pour faire des clichés de leurs bols de céréales qu’ils relaient ensuite sur les réseaux sociaux. Un immense mur -dont les couleurs vives sont soigneusement choisies par rapport aux tendances sur Instagram- sert de fond aux consommateurs qui se prennent en photo. A l’heure des réseaux sociaux, non seulement les clients digitalisent automatiquement les magasins aujourd’hui mais en plus ils orchestrent les campagnes de communication ! Et cela a beaucoup plus d’im- pact car le message provient des consommateurs directement. Les gens aiment vivre des expériences physiques ayant un contenu ludique, unique et interactif pour alimenter leur vie digitale.

IN : dans l’étude que vous avez publié sur « Les 50 nouvelles tendances à intégrer à votre stratégie », vous parlez des magasins-vérité.

L.F. : oui je les appelle les « places of truth ». Quand on me demande à quoi servent les magasins aujourd’hui vu l’essor du e-commerce, je réponds que le lieu physique est une fabuleuse occasion de prouver que les valeurs que l’on affiche sont vraies. Dans un monde où les consommateurs se méfient des marques comme des institutions, des banques ou des politiques, l’affirmation « Show me, don’t tell me » est devenue reine. Nous voulons voir, constater, vérifier par nos propres yeux que ce que l’on nous dit est vrai. Le magasin est donc le lieu de vérité par excellence, l’endroit où nous allons pouvoir examiner par exemple les processus de fabrication des produits ou juger de l’incarnation véritable des valeurs de la marque. La chaîne de fabrication est ‘vivante’, les employés la font vivre en travaillant devant les clients. Ce ne sont pas les vendeurs qui font les démonstrations produits, les clients sont invités à tester eux-mêmes. La transparence est devenue un must have.

IN : quel autre type de magasin avez-vous rencontré ?

L.F. : le magasin évènement est une des grandes tendances aujourd’hui. La teneur évènementielle est devenue un élément phare grâce aux nouvelles communautés créées autour des marques. Du coup, l’agencement des magasins prévoit une configuration évènementielle à la base même de leur création. Des estrades et des forums permanents constituent le centre du magasin comme chez Ray-Ban. Chez Supreme ou Prada c’est un bowl grandeur nature qui a été intégré au magasin pour que les clients puissent skater. Ce sont des lieux évènementiels qui vendent également des produits (et non l’inverse). Parfois comme chez Coach, Nike ou Converse, les clients qui participent aux ateliers de customisation deviennent l’animation centrale du magasin. La personnalisation des produits est mise en scène jusqu’à devenir l’événement incontournable.

IN :  existe-t-il une composante de réussite commune à tous ces magasins ?

L.F. : tous partagent un aspect immersif très fort. À chaque entrée d’une boutique, on « plonge » littéralement dans l’univers d’une marque. L’ultra immersion, l’attention immédiate pour le consommateur, le rôle des employés très formés appelés ici « conseillers », couplés à l’intelligence du digital sont des facteurs incontestables de succès. Ici, le digital est vraiment intelligent -c’est-à-dire facilitateur de temps et d’énergie pour le client. Cela passe par la dématérialisation des caisses ou l’ultra personnalisation rendue possible grâce à de nouvelles technologies. Et puis l’une des clés du succès réside dans les partenariats faits entre marques, ainsi que les partenariats avec de nouvelles start-up. L’avenir est dans la fusion des forces et des talents.

IN : pourquoi et comment les pure players utilisent-ils aujourd’hui le point de vente comme média de proximité ?

L.F. : le point de vente a la grande force de s’inscrire dans une dimension locale : je peux toucher le consommateur directement dans son quotidien. Amazon a enfin ouvert des magasins physiques ainsi que tout récemment certains pure players comme la marque de prêt à porter Everlane à New York ou le média américain Refinery29 qui a ouvert 29 chambres immersives et instagramables pour ses lecteurs en quête de sensations fortes et de contenu à relayer sur les réseaux sociaux. La présence physique rassure, permet de faire connaître le produit directement (60% des personnes préfèrent toucher un produit avant de l’acheter) et a le grand avantage de créer du lien et d’obtenir un feedback des consommateurs.

IN : comment fidéliser les consommateurs ?

L.F. : il faut arriver à montrer le bénéfice des programmes de fidélité avant de vouloir sou- tirer des informations au client! Shopkick aux USA est une application ultra téléchargée qui permet de donner des points de fidélité dès que l’on passe la porte d’un magasin et non pas au moment de la transaction. On remercie son client aujourd’hui pour la simple action d’avoir fait l’effort de venir en magasin. Et les points cumulés grâce à Shopkick sont trans- formables immédiatement chez des marques que la majorité des gens apprécient: Apple, Sephora, Starbucks, etc. De même Amazon montre constamment en magasin le bénéfice de faire partie de son programme : deux prix sont affichés et on vous fait comprendre que vous pouvez payer ce livre 18$ au tarif normal ou 12$ si vous êtes membre de Prime. Cela incite naturellement le consommateur vers le programme de fidélité.

IN : comment le retail essaie-t-il de séduire le consommateur 3.0 ?

L.F. : le consommateur 3.0 est un consommateur pressé. Quel que soit le parcours, l’acte d’achat doit être sans douleur, sans contrainte et sans friction et le paiement rapide et efficace. Réduire le temps d’attente en caisse est devenu primordial, on ne veut plus faire la queue. Panera Bread permet de commander son repas depuis sa table, American Eagle fait payer ses clients directement en cabine d’essayage. L’enseigne de restauration Shake & Shack annonce la couleur dès l’entrée de son tout dernier spot new-yorkais « This shop is cashless ». Certaines marques, comme Rebecca Minkoff, vont encore plus loin pour proposer un paiement autonome avec le système QueueHop. On paie avec son smartphone ou les tablettes à disposition et aussitôt le paiement réalisé… l’antivol se déverrouille et on peut repartir avec son vêtement ou son accessoire. Chez Wholefoods, des caisses mobiles sont amenées dans le magasin dès que la queue est trop longue aux caisses principales. Amazon vient d’ouvrir à Seattle son premier supermarché connecté sans caisse, où les clients, après avoir téléchargé leur application Amazon sur leur smartphone, peuvent se servir dans les rayons et ressortir sans passer par les caisses physiques… Ces pratiques vont s’uniformiser car elles sont un levier de chiffre d’affaires considérable. 

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