18 janvier 2018

Temps de lecture : 5 min

 » L’IDCard nous éviterait à terme d’être vassalisés par les GAFA »

Jean-Michel Billaut est un véritable pionnier de l’internet français. Ses multiples interventions pour accélérer l’adoption de l’internet lui ont valu sa nomination en tant que Chevalier de la Légion d’honneur. Il est notamment à l’origine de l’Atelier BNP Paribas et des Billautshows, dans lesquels il interviewait des personnalités de l’internet français. Fidèle speaker des Sommets du Digital, dont INfluencia est partenaire, il nous offre une vision crue du numérique français.

Jean-Michel Billaut est un véritable pionnier de l’internet français. Ses multiples interventions pour accélérer l’adoption de l’internet lui ont valu sa nomination en tant que Chevalier de la Légion d’honneur. Il est notamment à l’origine de l’Atelier BNP Paribas et des Billautshows, dans lesquels il interviewait des personnalités de l’internet français. Fidèle speaker des Sommets du Digital, dont INfluencia est partenaire, il nous offre une vision crue du numérique français.

Vous êtes connu pour votre quasi obsession à vouloir réveiller les Français dans de nombreux domaines comme la santé, l’innovation, la bureaucratie, la politique, notre état d’esprit et nos formations… L’herbe est-elle toujours plus verte ailleurs comme en Estonie (pays le plus digital du monde) que vous citez régulièrement en exemple ? Quels sont les principaux points faibles de la France à vos yeux ?

Jean-Michel Billaut : le problème est simple. D’un côté, la Chine qui, avec ses BATX, est très bien « e-réveillée », de l’autre les USA avec les GAFA. Au milieu, le e-ventre mou de l’Europe. Au train où vont les choses numériques, la France et l’Europe vont être gérées par ces GAFAM (Gafa+Micosoft) et autres BATX… Cela a d’ailleurs bien commencé en France (Microsoft notamment gère nos Ministères de la Défense et de l’Education), pour un pays qui se veut souverain.

Mais nous avons une e-pépite européenne… l’Estonie. Qui est le pays le plus « full digital » au monde… J’ai pu m’en rendre compte : j’y suis allé fin mai 2017 -à la suite de la visite de l’ambassadeur d’Estonie à Paris lors du Sommets du Digital 2017. Tous les pays européens devraient adopter la mécanique du x-road estonien. Notamment l’IDCard… Car cela nous éviterait à terme d’être complètement vassalisés par les GAFA/BATX. Car si tous nos services européens -publics et privés- nécessitaient l’utilisation de cette carte, cela endiguerait d’une certaine façon l’e-envahissement. C’est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Il nous faudra faire nous-mêmes les e-services que proposent -et proposeront- la Chine et les USA. Ce qui ne sera pas une mince affaire…

Car nous avons de nombreux points faibles :
1/ Une élite (énarques, X-mines, politiques et élus …) qui ne comprend pas très bien le monde qui arrive, et qui n’a guère d’appétence pour les choses numériques.
2/ Une aversion aux risques due à nos « old regulations » et notre principe de précaution -une ligne Maginot en quelque sorte qui sera facile à contourner par nos millennials.
3/ Une bureaucratie dévorante, et une organisation territoriale de type mille-feuilles avec diverses déperditions en ligne.
4/ Un management inefficace dans les projets numériques avec les « copains des copains » et notre vieux système des appels d’offres -qui facilite de plus la corruption.
5/ etc..

Cerise sur le gâteau, les Estoniens innovent avec des services uniques actuellement dans le monde. Ils ont mis sur pied un concept de début de transnationalité avec leur e-résidence. Un millier de Français, à date, sont e-résidents et un peu plus de 100 ont créé leur start-up en Estonie, sans bouger de France ! L’Estonie attend ainsi 10 millions d’e-résidents en 2025. En addition, elle vient d’annoncer la création de sa crypto-monnaie : le estcoin. Et de son ICO (Initial Coin Offerings) pour financer les start-up des e-résidents. Il est probable que d’autres états dans le monde vont suivre cet exemple.

Le digital et l’innovation bouleversent de nombreux secteurs et notre vie en générale. Pour encore beaucoup, ces bouleversements sont négatifs voire destructeurs, ce qui est sans doute en partie vrai. Pouvez-vous nous donner en quelques mots les principales opportunités comme les principales menaces selon vous ?

J-M.B. : l’humanité est en train de changer de civilisation. Nous l’avons fait déjà 2 fois depuis notre apparition sur Terre… Révolution agricole, il y a 10 000 ans, révolution industrielle, il y a 300 ans, et ce que j’appelle la « Grande Disruption », maintenant. Tous les domaines des activités humaines vont être ainsi disruptés : langues, médecine, génétique, transports autonomes, éducation, justice, finances, assurances, immobilier, intermédiaires divers, démocratie, énergies renouvelables, l’agriculture, la nourriture, etc. conduisant à plus de transparence, et moins d’opacité.

Tout cela avec les robots et surtout l’IA notamment -mais pas que. Il nous faudra changer notre vision des choses. Notre conception du travail notamment, tel que nous l’avons mis sur pied avec la Révolution Industrielle est à revoir (on n’avait pas la même notion avec la Révolution Agricole). Cela ne va pas se passer du jour au lendemain. Ce que l’on appelle chômage aujourd’hui va certainement augmenter sur un trend de longue période (50 ans ?). Le revenu de base va devoir s’imposer. Sinon…

Vous êtes une personne inspirante que nous apprécions chaque année… Pouvez-vous donner un conseil aux participants des Sommets du Digital pour être prêt à affronter l’avenir ?

J-M.B. : content d’apprendre que je suis une personne inspirante. Un seul conseil : vous informer au jour le jour de ce qui se passe dans le village mondial, dans le domaine du numérique, et cela tous azimuts… et en tirer des enseignements pour vos propres activités. C’est un grand défaut des Français et de leurs élites… Ils n’ont guère d’appétence pour sortir de leur village gaulois… Mais je peux vous aider : je publie toute ma veille technologique sur mon flux Twitter et j’en commente certaines sur mon wall Facebook… Histoire de voir ce qu’en pensent mes concitoyens. Et cela chaque jour.

Question cash/réponse cash : vous vous étiez présenté aux présidentielles sur la primaire citoyenne… si vous aviez été élu qu’auriez-vous changé en priorité qu’un président n’aurait pas osé ?

J-M.B. :  c’est vrai : j’ai fait mon programme électoral (que vous pouvez consulter). Si j’avais été élu, j’aurais en premier lieu passé un deal avec l’Estonie pour adapter, si possible en douceur, notre lourdingue administration basée jusqu’à aujourd’hui sur 4000 « documents papier Cerfa » (en Estonie avec le x-road, il n’y a plus de papier). Ensuite d’arrêter la gabegie des grands programmes numériques des Gaulois. Du plan calcul au dossier médical : nos élites ont tout raté. Même le Minitel… Des milliards d’euros d’argent public ont été mis à la poubelle.

Il faut arrêter le système d’appels d’offres traditionnels dans le numérique, qui est un système de type « les copains des copains ». Il faut avoir un vrai management à la hauteur. Puis recalibrer le comité Théodule « France Stratégies » qui devrait être une vigie mondiale sur tous les aspects du numérique dans le monde. Avec publication de tous les travaux, et présentation à l’Elysée devant toutes les élites 1.0 gauloise (avec stream pour tout le monde). Avec une seule question de ma part (si j’étais Président) : « Alors les mecs : on fait quoi ? » -c’était le concept de l’Atelier de la Compagnie Bancaire qu’il faudrait adapter à l’entreprise France. En fait, j’aurais mis en place une dictature éclairée. Mais rassurez-vous, j’aurais refusé la Présidence de la République. Je vous dirais pourquoi aux prochains Sommets du Digital…

Pourquoi venir aux Sommets du Digital ?

J-M.B. : ben pour bousculer les participants des Sommets. Avec tout ce que je vais leur faire avaler, il vont pouvoir prendre un sacré recul sur leurs activités. Aussi parce que Xavier Wargnier m’a invité, et parce qu’on y rencontre des gens intéressants… C’est un plaisir d’échanger en direct avec d’autres passionnés.

Pour consulter les interviews d’autres intervenants des Sommets du Digital, c’est par ici :

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