28 février 2016

Temps de lecture : 3 min

Quand une agence de pub joue à l’agence de presse

Le 20 février dernier, BBC World News diffusait le premier film d’une série documentaire sur la révolution émancipatrice de la condition féminine. Un de plus ? Oui mais celui là est réalisé par une agence, pour le compte d’aucun client.

Le 20 février dernier, BBC World News diffusait le premier film d’une série documentaire sur la révolution émancipatrice de la condition féminine. Un de plus ? Oui mais celui là est réalisé par une agence, pour le compte d’aucun client.

« On ne naît pas femme, on le devient. » Presque 70 ans après la publication du Deuxième Sexe, la thèse défendue par Simone de Beauvoir sur la construction sociale du rapport entre les hommes et les femmes n’a pas pris une ride. L’idée nourrit d’ailleurs encore le débat sur la théorie du genre. Mais un peu parce que certaines autoproclamées féministes occidentales se trompent de combat, la réflexion publique sur la condition féminine et l’égalité des sexes continue de chercher l’unanimité dans un frustrant brouhaha de passions sectaires. Pour les médias et le cinéma cela engendre forcément du contenu à la chaîne. Qu’un nouveau documentaire sur la révolution émancipatrice de la femme passe sur BBC World News n’a donc rien de surprenant. Ce qui l’est c’est que la série TV est réalisée par une agence de pub, pour le compte d’aucun client.

Segmenté en quatre épisodes, le documentaire s’intitule « Her Story : The Female Revolution ». Le premier volet, « Leadership », a été diffusé sur la chaîne anglaise le 20 février, mettant en scène à travers une série d’entretiens les accomplissements historiques des dirigeantes pionnières. La liste des protagonistes est impressionnante : Michelle Bachelet, présidente du Chili, Dalia Grybauskaite, présidente de la Lituanie, Margot Wallstrom la ministre suédoise des affaires étrangères, Christine Lagarde, patronne du FMI, l’actrice du cultissime Thelma & Louise Geena Davis, et Laleh Seddigh, pilote automobile iranienne.

Conçue comme une plongée intimiste dans des parcours d’exception et inspirateurs, cette ode au leadership avant-gardiste de la femme d’action et de décision relève du déjà vu. Elle est pourtant peu banale, voire très marginale. La raison ? Elle a été entièrement réalisée et co-produite par une agence de pub, J.Walter Thompson, sans aucune intention publicitaire puisque qu’aucun client n’est derrière.

L’émergence du « capital féminin »

Division dédiée au contenu long format de l’agence propriété de WPP, JWT Entertainment avait déjà sorti de ses studios un film d’animation diffusé le jour de Noël sur CBS, et le documentaire No Small Parts. Mais derrière ces deux produits audiovisuels se cachait un client, Macy’s. Ce n’est pas le cas pour « Her Story : The Female Revolution » et c’est ce qui rend cette création particulière.

« Cela fait plusieurs années que nous travaillons et réfléchissons sur l’évolution du rôle des femmes dans nos sociétés. Pas seulement en tant que consommatrices mais aussi comme créatrices, leaders, influenceuses. C’est là que l’idée de « capital féminin », soit la valeur qu’une femme en tant que femme apporte sur la planète, a émergé chez nos équipes menées par Rachel Pashley à Londres », explique dans Co.Create le Chief Creative Officer de JWT Worldwide, Matt Eastwood.

Provoquer des tournants culturels, le nouveau levier marketing ?

En plus des quatre films co-produits par Films of Records, JWT a sorti un site web pour accompagner sa série documentaire. La plateforme contient une étude, des portraits et un échantillon de stratégies de communication que l’agence peut façonner. Si une mouche l’a peut-être piquée, la guêpe n’est pas folle non plus : en se positionnant comme un expert de la position de la femme dans la société actuelle, JWT sert un dessein commercial. C’est peut-être indirecte et à long terme, mais l’intention est là. Même si l’agence insiste sur le fait que ses films n’ont pas été pensés et conçue comme un levier marketing. Car, on ne peut ignorer le conflit d’intérêt entre l’univers de la publicité dont est issue JWT et son aventure journalistique. La frontière est bien délimitée entre les deux corporations et même si l’hybridation des compétences et le mélange des univers professionnels est un fait. L’action de l’agence met la clef dans une boite de Pandore. Attention à l’ouverture qui pourrait compromettre la lisibilité des modèles journalistiques et publicitaires.

« Nous avons la possibilité comme influenceurs de changer le paradigme de la diversité de notre industrie. En changeant la conversation nous pouvons provoquer des tournants culturels et forcément nous en serons récompensés. Car notre rôle est d’imaginer les chemins qui font avancer nos clients et leurs marques vers l’avant. Pas seulement dans la communication mais aussi en les guidant dans leur besoin fondamental de se féminiser. Cela pourrait même inclure à terme le développement de produits et de services » commente avec finesse Matt Eastwood.

Après « Leadership » diffusé donc le 20 février, « Histoire personnelle », « Religion » et « Femmes au travail » suivront et concluront la série. JWT est déjà en discussion avec des distributeurs – dont des plateformes de streaming (Netflix ? Hulu ?), pour prolonger la durée de vie de son docu une fois sa diffusion terminée sur BBC World News.

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