12 septembre 2018

Temps de lecture : 7 min

Facebook est-il un outil efficace de sensibilisation au patrimoine mondial en Afrique ?

L’Afrique abrite des richesses naturelles et culturelles d’une valeur universelle exceptionnelle auxquelles l’Unesco consacre une journée de célébration tous les 5 mai depuis 2015. Le continent compte ainsi, en 2018, 93 biens classés sur la liste du patrimoine mondial dont 51 culturels, 37 naturels et 5 mixtes. Ces biens sont souvent peu connus des nationaux. Cette méconnaissance du patrimoine africain explique en partie le classement en péril de bon nombre des biens africains classés par l’Unesco. En effet, plus du tiers des sites du patrimoine mondial en péril se situe en Afrique.

L’Afrique abrite des richesses naturelles et culturelles d’une valeur universelle exceptionnelle auxquelles l’Unesco consacre une journée de célébration tous les 5 mai depuis 2015. Le continent compte ainsi, en 2018, 93 biens classés sur la liste du patrimoine mondial dont 51 culturels, 37 naturels et 5 mixtes. Ces biens sont souvent peu connus des nationaux. Cette méconnaissance du patrimoine africain explique en partie le classement en péril de bon nombre des biens africains classés par l’Unesco. En effet, plus du tiers des sites du patrimoine mondial en péril se situe en Afrique.

Menaces sur le patrimoine culturel et naturel

Nombreux sont les pays africains et leurs citoyens qui n’ont pas conscience des enjeux sociaux, économiques et culturels que représente ce patrimoine en danger. Les menaces identifiées par l’Unesco pèsent aussi bien sur le patrimoine culturel que sur le patrimoine naturel. Certains biens figurent sur la liste en péril depuis des décennies. En témoigne la réserve naturelle intégrale du mont Nimba, située entre la Guinée et la Côte d’Ivoire, qui figure sur la Liste du patrimoine en péril depuis 1992, de même que les réserves naturelles de l’Aïr et du Ténéré au Niger, inscrites sur la Liste en péril la même année ou encore l’ensemble des parcs nationaux de la République démocratique du Congo (RDC). De même, le patrimoine culturel subit des menaces, souvent d’ordre conjoncturel, à l’instar de la crise malienne ou des guerres de Lybie. Ces dernières ont conduit au classement en péril des cinq sites libyens inscrits sur la liste du patrimoine mondial ou encore de Tombouctou, Gao et Djenné au Mali. Ce constat amène à repenser les politiques du patrimoine, notamment en encourageant l’intégration des communautés locales dans les systèmes de gestion comme c’est le cas à travers le « World Heritage, Sustainable Development and Community Involvement » initié par l’Unesco en 2014. L’intégration des populations constitue ainsi un des cinq objectifs stratégiques (5C) de la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial.

Connaître pour mieux protéger

L’engagement des communautés nécessite qu’elles aient connaissance des sites classés à l’échelle locale, nationale ou régionale. À l’ère du numérique, la valorisation des sites du patrimoine constitue un enjeu essentiel pour l’Unesco et les États parties invités à identifier et saisir « les opportunités offertes par le numérique afin d’accroître les capacités de création et de circulation des biens culturels et de marquer ainsi une présence renforcée de l’Afrique dans un champ culturel largement mondialisé ».

Aussi, pour favoriser l’accès rapide à l’information et mesurer le degré d’intérêt que les Africains portent à leur patrimoine et la mise en valeur de ce dernier, l’utilisation d’un réseau social comme Facebook constitue un moyen efficace dans la mesure où il s’agit du réseau social le plus utilisé en Afrique, selon un article publié par TicMag en 2015.

Dans cette perspective, une enquête a été réalisée dans le cadre de ma recherche doctorale intitulée « sites du patrimoine mondial africain en péril et tourisme : une approche multisituée ». L’échantillon étudié comprend 19054 individus résidant dans 23 pays africains ; il est représentatif de la population africaine âgée de 13 à 65 ans et plus. Les personnes interrogées ont été sélectionnées sur Facebook, à travers une campagne publicitaire que nous avons intitulée « Patrimoine Afrique », pour la protection et la sauvegarde du patrimoine africain. L’enquête s’est déroulée sur une durée d’une semaine : du 20 au 27 juin 2017.

Facebook : outil phare de sondage

Le volume de l’échantillon a été atteint par la méthode quantitative dite de « publicité ». Facebook permet ainsi d’obtenir rapidement des réponses auprès d’un public ciblé (genre, âge, intérêt, domicile, sexe). Le choix de Facebook s’explique par le fait que le nombre de ses utilisateurs a bondi en 2016 : 146,6 millions d’internautes africains possèdent un compte Facebook, selon une étude réalisée par Medianet. La page « Patrimoine Afrique » que nous avions créée dans l’année qui a précédé cette étude n’avait recueilli que 64 manifestations d’adhésion (« likes »), faute de promotion. À l’occasion de la campagne publicitaire initiée en ma qualité de chercheure, 3 346 personnes issues de l’échantillon ont manifesté leur intérêt, en « likant » la page. La représentativité de l’échantillon est assurée par la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge et pays de résidence. Le groupe de 3 346 individus qui a rejoint la page « Patrimoine Afrique » durant l’enquête comprend 2504 hommes et 841 femmes.

La prédominance masculine est due à la répartition inégale du genre par la cible : 21,7 % de femmes contre 78,2 % d’hommes. En croisant les données du ciblage et les résultats obtenus, on constate plutôt une adhésion plus forte des femmes à la thématique du patrimoine.

En termes de niveau d’adhésion à la thématique, Madagascar arrive en tête (18,3 %), suivi de la Guinée Conakry (17,1 %), de l’Algérie (13,5 %), du Mozambique (7,1 %) du Mali (6,6 %) et du Sénégal (6,6 %). Le reste des 17 pays cumule 30,9 % des individus ayant adhéré à la thématique, ce qui donne à percevoir un niveau d’intérêt moyen nettement en deçà du groupe des 6 pays cités ici (1,8 % versus 11,5 %).

Madagascar en tête

Madagascar, premier au classement, a inscrit trois sites au patrimoine mondial : la Réserve naturelle intégrale de Tsingy de Bemaraha, la Colline royale d’Ambohimanga et les forêts humides de l’Atsinanana respectivement classées en 1990, 2001 et 2007.
La Colline royale se situe à proximité de la capitale Antananarivo. Elle est par conséquent très accessible aux touristes et visiteurs locaux. De plus, l’importance de la biodiversité (les forêts humides comprennent six parcs nationaux) fait de Madagascar un lieu touristique privilégié. Le tourisme est par ailleurs une activité économique essentielle et une priorité gouvernementale.
Par ailleurs, l’office national du tourisme de Madagascar utilise principalement le réseau social Facebook pour promouvoir son patrimoine. Suivie par 106 695 personnes, elle « est chargée de la promotion de l’ Île de Madagascar dans le monde entier » à travers la Page Facebook Madagascar Tourisme créée en 2011.
L’importance que les Malgaches accordent à leur patrimoine s’exprime aussi à travers des groupes Facebook « Aimer Madagascar » (27 695 membres), ou la Page « Rêver Madagascar » (86 112 abonnés). Les abonnés à ces pages sont à la fois des nationaux et des étrangers que la destination fait rêver.
L’office national du tourisme de la Guinée Conakry, deuxième pays au classement, est également présente sur Facebook avec 7060 abonnés, de même que l’office national du tourisme algérien (10936 followers), l’agence gouvernementale Mozambique Tourism (47 871), le ministère de l’Artisanat et du Tourisme du Mali (1217) et le ministère du Tourisme du Sénégal (1040).
Le hiatus entre le nombre d’abonnés aux pages officielles des structures gouvernementales malgaches ou mozambicaines d’une part, maliennes et sénégalaises d’autre part, reflète les différences des politiques touristiques mises en place par les pays respectifs : une priorité nationale encadrée par une stratégie globale chez les premiers et une volonté de décentralisation de la gestion du patrimoine chez les autres. Ainsi, au Sénégal, 82 % des collectivités locales considèrent que « le patrimoine ne contribue pas suffisamment au développement loc) à cause des lacunes dans la sensibilisation des populations locales, la promotion et mise en valeur du patrimoine et les activités éducatives menées en lien au patrimoine culturel.

L’engouement des plus jeunes

Notre enquête a révélé l’engouement des adolescents pour le patrimoine (près de la moitié de l’échantillon) et la faible présence de femmes. Cependant, cette tendance est marquée des spécificités de l’outil qui a ciblé une très forte part d’individus de sexe masculin.
Les 13-17 ans (47,61 %) manifestent plus d’intérêt que les autres tranches d’âge. À elle seuls, cette catégorie représente près de la moitié du public cible, devant les 18-24 ans (20,57 %) et les 25-34 ans (19,40 %). dans notre étude, cet intérêt pour la thématique du patrimoine diminue nettement avec l’âge. Ainsi, les 55-64 ans (0,90 %) et les 45-54 ans (1,88 %), manifestent un intérêt moindre à la thématique, et occupent les dernières places du classement, derrière les 35-44 ans (6,49 %) et les séniors de plus de 65 ans (3,23 %).

Les catégories les plus présentes après celle des 13-17 ans sont les 18-24 ans puis les 25-34 ans qui, cumulées, représentent près de 40 % de l’échantillon. Ce constat met l’accent sur la nécessité pour l’Unesco et les États africains d’intégrer les jeunes dans les processus de gestion du patrimoine.

Cet engouement des plus jeunes pour le patrimoine s’explique en partie par l’outil de sondage utilisé (Gestionnaire de publicités pour Facebook) pour capter le phénomène d’adhésion à la thématique. En effet, en Afrique, les jeunes sont plus connectés que leurs aînés et maîtrisent mieux les réseaux sociaux.

De plus, la démographie africaine présente une majorité de jeunes (70 % de la population africaine a moins de 30 ans. Toujours d’après l’Unesco, les moins de 25 ans représentent la moitié de la population africaine (Unesco, Département Afrique, 2017). Les 13-17 ans, plus nombreux à manifester leur intérêt à la page « Patrimoine Afrique » correspondent à un public scolaire (collégiens, lycéens), très présent sur les réseaux sociaux qui est aussi une cible pour les publicitaires.

Inclure de nouveaux usages dans la gestion du patrimoine

Il résulte de notre étude que la prise en compte des réseaux sociaux comme vecteur de sensibilisation, d’attractivité des sites classés par les ministères et organismes en charge de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine permettrait en partie d’atteindre les objectifs fixés par l’Unesco dans le cadre d’inclusion des populations locales dans les systèmes de gestion du patrimoine. En utilisant Facebook et les réseaux sociaux en général, les acteurs du patrimoine pourraient mieux se rapprocher des publics et (re)placer la thématique du patrimoine au cœur de leurs préoccupations. Pour cela ils doivent s’appuyer sur les jeunes, cible de choix.

Cette approche communicationnelle du patrimoine s’accompagne de la production et la diffusion d’images afin d’atteindre le plus grand nombre et de susciter une meilleure prise de conscience du patrimoine chez les Africains. L’intérêt suscité par le visuel invite à sonder d’autres médias plus orientés tels qu’Instagram qui compte 35 millions d’utilisateurs en 2017. Consciente de l’effet grandissant des réseaux sociaux sur le continent, le centre du patrimoine mondial de l’Unesco, en partenariat avec le compte Instagram « Visiter l’Afrique », a ainsi récemment lancé l’application VUE d’Afrique en 2016 afin de permettre aux Africains, en particulier les jeunes, de se réapproprier leur patrimoine. Une étude plus aboutie devrait cependant être réalisée dans cette optique afin d’inclure ces nouveaux usages dans les politiques de gestion du patrimoine en Afrique et de mesurer sur la durée l’impact réel de ces usages sur les politiques de protection des sites en péril.

Cet article a d’abord été publié sur The Conversation.

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