20 septembre 2020

Temps de lecture : 6 min

Yves Colin, dircom de la Fondation Abbé Pierre : « pour nous, la créativité est un processus vital »

Il est temps de faire résonner la voix des sans voix avec des créations impactantes. C’est le but de la première édition des Mlle Pitch Awards qui mettent à l’honneur la Fondation Abbé Pierre. Entretien avec Yves Colin, directeur de la communication de la Fondation.

Quel regard et quel message porterait l’abbé Pierre aujourd’hui face au sort qui est fait aux « parias » de notre époque, ces personnes que l’on qualifie parfois (à juste titre) d’ « invisibles » : les sans-domicile (150 000 SDF recensés en France), les migrants et réfugiés, les habitants des bidonvilles qui fleurissent aux abords de nos grandes métropoles urbaines, les Roms ou les Gens du voyage ? Tel est le thème du brief proposé aux créatifs par la première édition du « concours créatif citoyen Mlle Pitch awards & Co », dont INfluencia est partenaire, pour « faire résonner la voix des sans-voix » avec la Fondation Abbé Pierre. La cible : le grand public et les nouveaux donateurs sensibles au sujet des plus exclus de notre société.

Mettre en lumière l’indignation de l’abbé Pierre face aux injustices

Le but de la campagne (affiche/vidéo/film/digital/réseaux sociaux ) qui sera soumise aux votes du jury présidé par Olivier Lefebvre président partner de Fred et Farid Paris sera de « mettre en lumière l’indignation de l’abbé Pierre face aux injustices d’aujourd’hui. De traduire l’emportement et les mots qu’il trouverait, à la fois pour dénoncer cet ostracisme, mais également pour rassurer ces populations que l’on chasse des centres-villes, des villes et des regards…. Un brief ambitieux pour défendre un très beau combat et une belle cause, explique Magali Faget, fondatrice de l’agence MllePitch. Le concours offrira une campagne publicitaire à la Fondation Abbé Pierre et une part de voix publicitaire exceptionnelle aux campagnes primées d’un an en affichage renforcé d’un plan média tv soutenu par le SNPTV et en social media pour la promotion du film notamment sur Facebook et instagram ». Pour participer aux Mlle Pitch Awards, il suffit de poster ses créations dans la bonne catégorie en se rendant sur la page « Participer » sur le site www.mllepitchawards.com. Date limite d’inscription : le 28 février prochain.

Le Directeur de la Communication de la Fondation Abbé Pierre, Yves Colin nous explique ce qu’il attend de cette campagne et en profite pour réagir sur la situation des organisations humanitaires en France et le rôle des entreprises

INfluencia : qu’attendez-vous d’une campagne de communication pour La Fondation sur le plan créatif ?

Yves Colin : pour un acteur du monde humanitaire comme la Fondation Abbé Pierre, la créativité n’est pas un « simple » levier publicitaire, mais un processus vital. Lorsque nous prenons la parole (et que notre avenir financier en dépend, comme chaque début d’hiver par exemple ; il faut savoir à cet égard que la Fondation agit presque exclusivement grâce aux dons de particuliers ou d’entreprises), nos concurrents en termes de « part d’espace médiatique », ce sont les grandes entreprises du secteur marchand. On ne boxe pas dans la même catégorie et nos moyens financiers ne suffisent pas, et de loin, à être assez visibles pour répondre à nos besoins. En conséquence, nos prises de parole se doivent d’être infiniment créatives pour émerger dans l’espace public. Être bénéficiaire de ce premier concours Mlle Pitch Awards, dont la créativité est l’objet même et qui est une initiative formidable portée par Magali Faget, est à la fois signifiant et d’une rare utilité.

IN. : à quoi doit-elle servir ?

Y.C. : au-delà de notre communication institutionnelle, il y a un sujet qui nous préoccupe beaucoup, depuis de nombreuses années : le devoir de mémoire à l’égard de notre fondateur. Aujourd’hui, l’abbé Pierre reste un personnage très ancré dans l’inconscient collectif de notre pays, mais les moins de vingt ans, pour beaucoup, ne le connaissent pas « ne serait-ce que de nom » comme la question des instituts de sondages l’indique. Pour nous, ce n’est hélas pas nouveau et nous nous attendions à cet effet mécanique (nous avons d’ailleurs pris des dispositions pour réinstaller son souvenir dans le pays ; des projets importants sont en cours de développement). C’est la raison pour laquelle nous avons choisi un brief dont l’objet est de le mettre en avant, de le projeter dans notre époque et de demander aux créatifs comment il réagirait à la situation sociale, notamment des plus défavorisés, s’il revenait parmi nous.

IN. : quelles sont vos principales batailles  aujourd’hui ?

Y.C. : nos batailles sont innombrables car la pauvreté est un mal endémique. Néanmoins, notre préoccupation actuelle va aux conséquences de la crise sanitaire et – surtout – du confinement qu’elle a entraîné. Les conséquences de ce confinement ont été sauvages notamment pour les personnes à la rue. Nous sommes redevenus un pays où des gens ont eu faim. Mais au-delà, ce que l’on voit déjà arriver, ce sont toutes ces personnes qui arrivaient à joindre les deux bouts avant la crise et qui n’y parviennent plus depuis. Et c’est un processus qui n’est encore qu’embryonnaire à ce jour. Nous savons que des milliers de ménages vont basculer vers la grande précarité à cause de la crise économique et sociale qui s’installe. Et si nous ne nous occupons pas de ces familles-là, qui le fera ? Il y a donc une urgence sociale à gérer et elle est notre priorité absolue.

IN. : avec la crise, les organisations humanitaires souffrent ; quelle est la situation de la Fondation ?

Y.C. : oui, environ un tiers des organisations du secteur ont subi la crise de plein fouet, abandonnées de leurs donateurs habituels. En ce qui nous concerne, c’est très différent car nous avons été identifiés immédiatement comme l’un des acteurs utiles à la gestion des conséquences de la crise elle-même. Dès le premier jour du confinement, où l’on nous demandait de rester à la maison, nous avons communiqué autour de la question suivante : « Rester chez soi, d’accord. Mais si l’on n’a pas de chez-soi ? » Et cette question kafkaïenne a été très bien comprise par nos concitoyens. Ils ont fait bloc autour de la Fondation et ont été extrêmement généreux. Hélas, la collecte exceptionnelle s’épuise très vite avec l’urgence et nous allons devoir être convaincants cet hiver pour avoir à nouveau les moyens d’être là, auprès des plus fragiles, dans cette nouvelle et dramatique phase de la crise.

IN. : les entreprises jouent-elles un rôle suffisant dans la lutte contre l’exclusion et la pauvreté ? Doivent-elles se substituer aux pouvoirs publics ?

Y.C. : c’est une double question, en réalité : les pouvoirs publics jouent-ils leur rôle et, dans le cas contraire surtout, est-ce aux entreprises privées de jouer tout ou partie de cette mission de régulateur social ? La réponse est complexe, mais ce qu’on peut en dire en substance, c’est que les pouvoirs publics délaissent souvent – pour cause d’arbitrages dans la plupart des cas, et non de cynisme comme on l’entend trop souvent – les problématiques sociales difficiles comme la grande pauvreté car la tâche est immense et nécessite une volonté politique et des investissements considérables, sans voir que ces investissements sont socialement et, sans doute financièrement, rentables à terme. Néanmoins, au regard du trésor public, elles investissent de fait en accordant un crédit d’impôt aux donateurs, elles n’en sont pas totalement absentes et font, par ailleurs, des choix réglementaires ou législatifs qui, parfois, comptent et changent la donne. Mais elles délaissent le traitement social au profit d’associations qui sont, de fait, délégataires de missions de service public. Faute de volonté mais également faute de moyens. Les moyens, le monde économique les possède. Doit-il consacrer une part plus importante qu’aujourd’hui à la régulation sociale ? Il y a probablement intérêt, en ce sens que c’est dans une atmosphère apaisée et sereine, où chacun a les moyens de consommer et de générer un cercle vertueux, que le développement économique est le plus fertile. Certains l’ont compris car certaines entreprises, de toutes tailles, s’engagent avec vigueur dans des opérations visant à donner davantage de moyens au secteur associatif de faire son travail. Faut-il les y contraindre toutes ? Ce n’est pas notre job que d’en décider, mais une incitation est toujours une bien meilleure dynamique qu’une contrainte…

IN. : on parle beaucoup du monde d’après. Pensez-vous que dans ce monde, s’il existe, les sujets de l’exclusion, du mal logement, etc. seront mieux traités ?

Y.C. : le monde d’après ? Il semble tout de même ressembler furieusement au monde d’avant. On ne voit guère de mouvement tectonique s’opérer, dans de nouvelles directions, vers une nouvelle lecture de l’époque et de ses priorités. Maintenant, il y a le structurel et l’individuel. Concernant l’individuel, nous venons de vivre une expérience de générosité hors du commun pendant le confinement. Amorcera-t-elle un changement ? Les premiers indicateurs nous confirment que non. Ou plutôt, que l’attention portée à l’autre peut être massive et sincère, mais qu’elle ne l’est que dans un contexte de grande émotion. Et dans cette émotion, l’on voit de nouvelles pratiques vertueuses survenir, comme l’acte de donner pour le jeune public. C’est infiniment satisfaisant de faire cette constatation. Les derniers mouvements massifs de générosité l’avaient déjà montré et cette tendance a été confirmée. Cela relève du comportement individuel, de la logique du colibri. Mais si cela perdure, ce ne sera déjà pas si mal. Il ne faut pas attendre un grand soir pour changer le monde, juste s’y mettre, chacun à sa place.

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