15 juin 2020

Temps de lecture : 4 min

Aurélie Jean: « Le média spectacle fait perdre aux citoyens leur esprit critique et accroît leur anxiété »

Docteur en sciences et entrepreneur, Aurelie Jean est CEO de l’agence de développement analytique et numérique spécialisée en algorithmique In Silico Veritas et partner auprès du cabinet d'études et de conseil Altermind. Dans son manuel d’autodéfense sorti le 20 mai, intitulé l’apprentissage de la force, elle nous fournit les armes intellectuelles pour mieux appréhender le monde. Interview.

Docteur en sciences et entrepreneur, Aurelie Jean est CEO de l’agence de développement analytique et numérique spécialisée en algorithmique In Silico Veritas et partner auprès du cabinet d’études et de conseil Altermind. Dans son manuel d’autodéfense sorti le 20 mai, intitulé l’apprentissage de la force, elle nous fournit les armes intellectuelles pour mieux appréhender le monde. Interview.

IN : comment avez vous vécu cette pandémie ?

Aurélie Jean : j’ai relativement bien vécu cette pandémie étant dans des conditions privilé-giées tant d’un point de vue personnel que professionnel. J’ai surtout observé et expérimenté avec un oeil critique la gestion de cette crise que ce soit aux échelles individuelle, collective ou encore étatique et mondiale. C’est rare de vivre un tel moment dans une vie. Il y a tellement de choses que nous pouvons apprendre à toutes les échelles et dans tous les domaines.

IN : où avez vous été confinée et qu’avez vous fait pendant cette période sans précédent?

A.J. : je suis arrivée en France fin février et devais partir à Boston vers le 20 mars pour mon cours de printemps. Mon cours étant annulé, j’ai décidé de rester confinée à Paris. J’espère pouvoir repartir à Los Angeles en juillet, si la pandémie sera davantage controlée. J’ai profité de cette période confinée seule dans mon appartement pour travailler au calme. J’en ai profité pour écrire pendant les soirs et les weekends mon essai  L’apprentissage fait la force . J’ai pu avancer sur un article scientifique pour une revue de médecine, et aussi sur un projet de R&D avec des collaborateurs en Israel. Avec notre équipe chez Altermind, nous avons même commencé une mission de conseil et de développement avec un nouveau client dès les premiers jours de confi-nement. D’un point de vue personnel, j’ai pris le temps, comme je l’ai toujours fait, de parler avec mes proches des deux cotés de l’Atlantique. La différence est que nous parlions beaucoup des tenants et des aboutissants de cette pan-démie, comment nous vivions cette crise personnellement et professionnel-lement, et comment nous envisagions la suite.

IN : la communauté scientifique semble s’être divisée comme jamais durant cette crise. Des avis divergents ont été publiés, des conflits ont opposé les scientifiques les plus éminents. Comment analysez vous cette situation?

A.J. : la communauté scientifique est souvent divisée sur des sujets de recherche, c’est pourquoi les chercheurs publient dans des journaux professionnels leurs travaux qui ont été revus par leurs pairs afin de souligner (qu’on adhère ou pas à l’école de pensée ou à la méthode des chercheurs en question) les possibles faiblesses sur le raisonnement ou sur les conditions d’essais et de simulations. Ces divisions permettent de challenger les équipes pour qu’elles amènent (ou pas) les éléments convaincants qui feront tendre la communauté vers un consensus. La profonde différence dans cette pandémie est que le débat est devenu très vite public et parfois mal articulé par les gens et les médias.

IN : la surmédiatisation de certains experts comme le professeur Raoult est-elle une bonne ou une mauvaise chose?

A.J. : avoir des médecins qui s’expriment dans les médias sur un sujet comme la pandémie du covid19 est une bonne chose car cela apporte un éclairage scientifique fondamental à un sujet compliqué. Le rôle des médias est aussi d’écouter plusieurs médecins avec parfois des avis ou des analyses différents voire diamétralement opposés pour fournir au citoyen une information qui lui permettra de construire son avis, ou au moins de suivre le débat. Le média spectacle à la recherche du moindre scoopisme est dangereux, car il alimente une plus grande anxiété chez les citoyens et leurs fait perdre leur esprit cri-tique pourtant nécessaire dans ces moments de doutes.

IN : ne craignez vous pas que cette crise stigmatise les sciences et les scientifiques?

A.J. : absolument, et c’est pour cela que j’ai tout de suite accepté la proposition de ma maison d’édition d’écrire un petit essai pour parler de ma vision de l’Après. J’ai décidé d’écrire sur la place des sciences et en particulier de la méthode scientifique comme socle de construction de notre esprit critique pour apprendre encore et toujours.

IN : comment faire pour lutter contre cela?

A.J. : développer son esprit critique, en alimentant sa culture scientifique qui sert ”de petit manuel d’autodéfense intellectuelle, utile tant dans la quantité de connaissances qu’on accumule et qui nous permettent d’objectiver le monde, que dans la méthode suivie pour les acquérir” *

IN : quel peut ou doit être le rôle des sciences et des scientifiques dans notre société? Ce rôle doit il être différent de celui qu’il a été jusqu’à maintenant?

 A.J. : le rôle des scientifiques est, entre autre, de concevoir, chercher, comprendre et développer. Mais il est aussi d’éclairer le grand public sur leurs domaines. Nos dirigeants politiques devraient s’entourer davantage de scientifiques afin d’éclairer leurs réflexions. Comme je l’écris dans mon essai : « Alors qu’on ai-merait les voir toujours s’entourer de scientifiques, dans la majorité des cas ils ne les consultent que dans des situations de crise, comme la nôtre. » On prend alors le risque d’entrer dans un flou artistique qui tend à affaiblir les discus-sions et les décisions qui en découlent, voire à rompre la confiance avec les scientifiques mais aussi avec les citoyens.

IN : certains disent que cette pandémie va modifier la façon de penser et de vivre des gens. D’autres pensent le contraire. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

A.J. : sans parler de changements profonds à 180 degrés et massivement adoptés sur les temps longs, je crois en des changements d’habitudes mêmes légers mais impactants. Aujourd’hui nous savons qu’une pandémie peut arriver et nous enfermer plusieurs semaines chez nous, cela modifie forcément notre perception du monde, nos rapports avec nos proches, notre travail ou encore l’endroit même où nous souhaitons vivre. Comme je l’explique dans mon essai, nous avons appris sur nos relations d’interdépendance avec les autres, sur l’importance de vivre en harmonie avec son présent dans la difficulté ou l’impossibilité de se projeter dans un futur même proche, ou encore sur l’importance d’observer, d’expérimenter et de raisonner comme la méthode scientifique nous y invite. Dire qu’il n’y aura aucun changement est selon moi aussi illusoire que de dire que tout changera… la vie est toujours une question de nuances, d’expériences et de perceptions propres à chacun.

*L’apprentissage fait la force dans la collection Et Après? chez L’Observatoire, sorti en Mai 2020).

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