24 juillet 2017

Temps de lecture : 3 min

Anthologie de la solitude

« Nous ne sommes allés nulle part, dit Joe. Nous sommes là où nous avons toujours été. Mais pour une certaine raison – une parmi plusieurs possibles – la réalité a reculé. » Ubik, Philip K. Dick.

« Nous ne sommes allés nulle part, dit Joe. Nous sommes là où nous avons toujours été. Mais pour une certaine raison – une parmi plusieurs possibles – la réalité a reculé. » Ubik, Philip K. Dick.

Il y avait peu de chance qu’un message d’une autre planète nous parvienne. Nous sommes bien trop perdus dans l’univers. Mais le hasard en a décidé autrement. Bien sûr, nous savons depuis des millénaires qu’une autre forme de vie s’est développée sur une lointaine planète située à 642,5 années-lumière. Toutes les données étaient inscrites dans un cube numérique. Il fut découvert à bord d’une sonde errante. C’était une vraie anthologie. Un florilège de cris, de sons étranges, de guerres, de gens qui s’embrassent, font des sourires et autres comportements propres à l’homme. L’objet contenait des photos d’embouteillages en Inde, d’animaux, des planches sur l’anatomie humaine, un dîner familial chinois, et aussi le lancement d’une fusée. Des voix venues du fin fond de l’univers nous parvenaient. Toute l’histoire d’un peuple était archivée dans ces données binaires. Une technologie peu avancée, mais qui semblait fonctionner. Ce ne fut pas très difficile pour nos jeunes étudiants de déchiffrer les informations.

Parmi les explorateurs envoyés sur Terre afin de l’étudier, il y eut un personnage marquant. Jésus. Du moins c’est ainsi qu’ils l’avaient surnommé. Son vrai nom était SI. Et avec des SI on refait le monde. Il n’a pas survécu. Certains de ses pouvoirs pouvaient sembler étranges, vu de loin. Mais était-ce une raison pour lui faire subir de telles atrocités ? À la première occasion, il a embarqué dans son vaisseau, laissant derrière lui une longue chevelure lumineuse. Après son départ, les hommes se sont mis à écrire des histoires rocambolesques. Toutes plus incroyables les unes que les autres. Comme celle où l’on marche sur l’eau ou celle où l’on multiplie des petits pains. Nous avons conservé ces livres d’aventures. Nous les lisons aux enfants le soir afin de les endormir. Nous avons également tous les autres volumes avec Moïse qui écarte les eaux pour se frayer un chemin. C’est universel, les enfants aiment les superhéros. Il y eut aussi Léonard de Vinci et Serge Gainsbourg. Ce dernier n’a jamais voulu revenir. Nos quelques tentatives ont été infructueuses. Einstein a échoué. L’orgueil l’a poussé à créer une arme destructrice. Il ne s’en est jamais remis. Lorsque nous lui avons proposé de revenir sur Betelgeuse, il a refusé, dévasté par les regrets.

Alors, à la découverte du cube, nous avons fait silence radio. Nous sommes si tranquilles ici. Loin de vous. Les conflits n’existent plus, nous savons depuis longtemps qu’ils ne règlent rien. Nous n’avons ni dieux ni croyances, rien qu’une technologie fondée sur la connaissance. L’homme a fait l’erreur de tout exposer, sans pudeur aucune. Il a participé à toutes les expériences possibles. Il a massacré, créé des doctrines, il a construit, puis détruit. Il a inventé la convoitise. Mais surtout, il a créé la misère sous toutes ses formes. Alors on s’est dit qu’on n’allait pas vous rappeler. On n’est pas dingues.

Pourtant, nous sommes inquiets. L’un des nôtres s’est échappé sans autorisation pour se rendre sur Terre. Depuis, nous n’avons aucune nouvelle. Par crainte, nous ne souhaitons pas envoyer un autre membre de notre planète à sa recherche. Il peut être n’importe qui d’entre vous. Un chef d’État, un savant, un chanteur. Que sais-je ? Pourvu qu’il ne parle pas et se contente de vous observer. S’il venait à révéler quelques informations et si les habitants de votre planète découvraient une vie ailleurs, nous serions perdus. Ce sont des êtres entêtés. Ils trouveraient le moyen d’arriver jusqu’à nous. Pourquoi les hommes ont-ils jeté cette bouteille interstellaire ? Il faut se sentir bien seul et craindre quelque chose pour espérer une réponse. Ils redoutent peut-être leur perte en même temps qu’ils espèrent qu’on leur vienne en aide. Syphloc, si tu m’entends, je t’en supplie rentre chez nous. Ne dis rien à personne. Si les terriens nous trouvent, ils ne cesseront de nous emmerder. Ce sont des dingues. Tire-toi avant qu’il ne soit trop tard. Si tu as besoin de prendre des vacances, réfugie-toi sur Mars quelque temps, j’y ai une maison. Rentre vite.

Illustration : Pablo Grand Mourcel

Article tiré de la revue n°17, Anthologie de l’innovation

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