Viewbotting : l’épidémie de faux spectateurs qui menace Twitch et les marques
La tentation de gonfler artificiellement son audience plane sur Twitch et consorts. Ce « viewbotting » prolifère malgré les garde-fous et se révèle difficile à détecter, faussant les compteurs de vues au grand dam des marques et des annonceurs.
Devant certains streams, c’est parfois silence radio dans le chat malgré une foule virtuelle au compteur, un signe qui trahit la présence de faux viewers.
Ce gonflage artificiel d’audience porte un nom : le viewbotting. La pratique consiste à doper le nombre de spectateurs d’un live à l’aide de bots ou de comptes factices, afin de paraître plus populaire qu’on ne l’est réellement.
Twitch interdit formellement ces manipulations de chiffres et traque les arnaqueurs. Mais cela n’empêche pas le phénomène de prospérer dans l’ombre.
Il faut dire que grimper artificiellement dans les classements ou impressionner des annonceurs potentiels avec un compteur flatteur peut se révéler tentant pour des streamers en quête de notoriété.
« Le viewbotting ne touche pas tant les grandes stars que des milliers de petits streamers : avec un millier de faux comptes, ils peuvent gonfler artificiellement leurs audiences et grimper dans les classements », a reconnu Dan Clancy, CEO de Twitch, en juillet 2025.
30 millions d’heures de visionnage factices
Chaque trimestre, la plateforme Streams Charts repère entre 40 000 et 50 000 chaînes Twitch (ayant une audience moyenne de 50+ spectateurs) présentant au moins une diffusion au comportement suspect.
Certes, la proportion de fraudeurs avérés reste limitée (3,8 % des streamers analysés en 2025), mais leur impact sur les audiences est colossal.
Au total, ces chaînes aux compteurs artificiellement gonflés ont cumulé plus de 30 millions d’heures de visionnage factice rien qu’au deuxième trimestre 2025 – un volume comparable à une semaine d’audience des séries phares de Netflix.
Chasse aux bots : mission impossible ?
La traque s’apparente à un jeu du chat et de la souris. Twitch a beau déployer algorithmes, modérateurs et même des actions en justice, les développeurs de bots redoublent d’ingéniosité (IP rotatives, faux comptes, chats automatisés) pour passer au travers.
À ce jour, aucune plateforme n’a trouvé la parade parfaite à cette escalade technologique.
Cette difficulté est d’autant plus accrue pour les contenus diffusés en direct sur Twitch, Kick (à qui nous avons dédié récemment un article) ou Youtube Live…
« Tant qu’un live n’est pas reposté sur une plateforme comme YouTube, qui sert aujourd’hui de plateforme de VOD a la majorité des streamers, on n’a du mal à le monitorer… c’est un vrai challenge technologique », nous confiait Mohamed Mansouri, directeur délégué de l’ARPP, au détour de la matinée dédiée à l’Observatoire de l’influence responsable.
Autrement dit, la mission est quasi-impossible pour l’ARPP : « On a fait des progrès, notamment avec les stories Instagram, mais pour le streaming en direct, on doit se perfectionner ».
Mohamed Mansouri souligne que les plateformes n’ont pas d’obligation de modération généralisée ; leur rôle se joue surtout « dans l’éducation des créateurs » afin de promouvoir les bonnes pratiques.
Marques flouées, confiance menacée
Pour les annonceurs, miser sur un influenceur aux audiences truquées riment avec budget gaspillé et confiance écornée.
Depuis 2019, certaines études estiment que la fraude au marketing d’influence coûterait plus de 1,3 milliard de dollars par an aux marques (CMO Intern, 2025).
Le problème reste d’actualité : en 2023, près de 60 % des annonceurs déclaraient avoir été confrontés à des cas de fraude, selon le rapport State of Influencer Misconduct 2024 de Firework.
« La propagation incontrôlée du viewbotting menace de saper la crédibilité de l’ensemble du marketing d’influence », alerte Sergii Rudenko, directeur de la stratégie de Streams Charts .
À l’été 2025, Twitch a déployé un nouveau code anti-bot qui a fait l’effet d’un électrochoc. Du jour au lendemain, les compteurs de vues de milliers de créateurs ont chuté de façon spectaculaire : certains ont perdu entre 5 et 22 % de leur audience selon l’heure de diffusion.
Une preuve tangible que des pans entiers de spectateurs n’étaient en réalité que des bots.
Twitch has cracked down on bots in the 2-3 days and viewbotters/victims of viewbotting have been exposed. Streamers that are part of groups/orgs are seemingly being botted much more heavily. I don’t want to start witch hunts but the data is interesting. Go see for yourself pic.twitter.com/qoAvMBIhOY
Face à ces dérives, les professionnels prônent le retour au réel… et un meilleur audit de leurs partenaires en amont pour éviter de se faire berner.
Surtout, il faut se rappeler qu’« avoir le plus grand nombre de vues ne sert à rien si l’engagement ne suit pas », rappelle Sima Spielmann, marketing manager chez Audiencly. À l’ère des compteurs gonflés, c’est la qualité des liens qui fait la différence.