15 septembre 2022

Temps de lecture : 7 min

Valérie Touchon (EcoVadis) : “On veut montrer que l’impact de notre réseau de clients est aussi important que notre croissance financière”

2022 c’est l’année d’EcoVadis ! Entre l’obtention du statut de licorne avec une levée de fonds de 500 millions de dollars et de celui de société à mission, l’entreprise grandit et son impact avec. Nous revenons avec Valérie Touchon, Chief Impact Officer sur les succès du spécialiste de l'évaluation des performances RSE des entreprises.
The Good : Pouvez-vous nous présenter EcoVadis ?

Valérie Touchon : Depuis 15 ans, EcoVadis évalue les performances RSE des entreprises à destination principalement de leurs directions achats. Avant, ces dernières n’avaient pas de visibilité sur ce que faisaient leurs fournisseurs en matière de pratique environnementale et sociale. Logiquement, quand une entreprise s’est préoccupée de son impact, elle regarde ensuite du côté de ses fournisseurs. Les directions achats n’ont pas forcément beaucoup de temps à consacrer au sujet. Notre boulot est donc de leur faire comprendre de quoi il s’agit et de leur donner des fiches de notation qu’elles peuvent mettre en œuvre pour prendre des décisions avec leurs fournisseurs. On est aujourd’hui une entreprise de taille moyenne composée de 1300 personnes dans le monde qui travaillent avec 750 entreprises pour leur donner de la transparence sur les performances RSE de leurs fournisseurs au nombre total de 95 000. On évalue toutes les entreprises qu’elles soient petites, moyennes ou grandes dans des pays développés ou en voie de développement et dans tous les secteurs d’activités.

TG : Quelques mots sur votre levée de fonds ?

V.T : Hasard du calendrier, nous avons réalisé notre levée de fonds et sommes passés en société à mission à peu près en même temps. On est très contents des partenaires financiers que nous avons. Ce sont tous des fonds d’investissement convaincus de la lutte contre le changement climatique et dédiés à la recherche d’innovations pour participer à cette dernière. On a deux fonds leader qui sont entrés dans notre capital : General Atlantic avec un fonds qui s’appelle BeyondNetZero et Astorg. On a un autre fonds qui est parmi les 5 premiers fonds souverains au monde, du nom de GIC. Princeville Capital à travers son fonds climatique nous a aussi rejoint. On est d’autant plus contents que le contexte n’était pas favorable avec l’instabilité des marchés boursiers, la polarisation politique globale, la guerre en Ukraine…On se demandait : est-ce que les belles avancées faites pour prendre enfin en compte la RSE vont vraiment pouvoir être développées par les entreprises et les fonds d’investissement ? Cette levée de fonds nous rassure sur le fait que la RSE soit un mouvement qui commence à être compris.

TG : Comment allez-vous répartir les 500 millions de dollars levés ?

V.T : Plus on grandit, plus on a d’impact. Autrement dit, la croissance financière et l’impact vont de pair. Sur ces 500 millions, il y a une partie de cet argent qui va servir à rémunérer les fonds d’investissements qui nous ont accompagnés au début et qui sont là depuis 6 ans. On va aussi effectivement financer de la croissance en termes d’expansion géographique, de produits et de services pour pouvoir toucher plus d’entreprises. On commence à regarder davantage du côté des acquisitions externes. On a fait notre première acquisition avec une entreprise allemande du nom d’ecotrek qui analyse les données publiques RSE sur les entreprises et structure ces dernières selon le cadre de la GRI (Global Reporting Initiative), un standard de reporting RSE. Cela renforce notre offre « IQ » et va nous permettre de donner à nos clients une idée entre plus complète et précise du niveau de risque RSE théorique de leurs fournisseurs avant d’aller vérifier en pratique avec l’évaluation EcoVadis.

TG : Et sur votre passage en société à mission ?

V.T : Devenir entreprise à mission nous permet d’être plus courageux et transparent sur nos actions avec pour objectif de limiter l’impact de nos opérations mais surtout d’accélérer l’impact de nos clients, à travers l’utilisation de nos produits et services. On veut devenir totalement exemplaires sur le sujet. On veut montrer que l’impact de notre réseau de clients est aussi important que notre croissance financière. En tout, cela nous a pris neuf mois pour devenir entreprise à mission, un temps relativement court. On a consulté plus de 400 employés à travers des questionnaires, des groupes de travail et des réunions. On a aussi interviewé des parties prenantes externes comme notre comité scientifique, comité clientèle ou nos actionnaires par exemple. On a bénéficié d’un très fort soutien et engagement de la part de nos CEO et de notre comité exécutif en général. Le résultat est basé sur l’intelligence collective de nos employés et de nos parties prenantes externes. La leçon la plus importante de ces neuf mois est la beauté de l’intelligence collective et l’importance de l’engagement des dirigeants de l’entreprise pour arriver à un résultat qui soit conforme à ce qu’on est. C’était impressionnant d’observer la motivation des collaborateurs. De toute manière, les personnes qui rentrent chez EcoVadis sont des personnes passionnées par les sujets de RSE.

TG : Quelles évolutions dans votre modèle ce passage a-t-il suscité ?

V.T : Les changements sont beaucoup liés à la formalisation et à la structuration de notre démarche d’impact. Notre activité possède intrinsèquement un impact positif. On veut échapper au syndrome du cordonnier mal chaussé. On veut pouvoir produire de la valeur responsable pour nos actionnaires, fidéliser et motiver nos collaborateurs et d’attirer tous les talents dont on va avoir besoin. Ce passage nous a permis tout d’abord de formaliser notre raison d’être qui est de guider toutes les entreprises vers un monde durable. On guide parce qu’on fournit de l’information et de la formation. On le fait pour que les entreprises soient plus matures sur le sujet. Ce passage nous permet ensuite de mettre en place un comité de mission. On est en recherche active de candidats pour que notre comité soit constitué de collaborateurs et de personnes externes. L’idée est que nos actions soient guidées par des parties prenantes externes telles que le comité de mission.

TG : Comment améliorez-vous vos outils pour être toujours en accord avec les enjeux actuels ?

V.T : Notre offre est innovante. On est les seuls à proposer ces outils auprès de cette population à cette échelle. L’amélioration se fait en fonction de l’évolution de la maturité du marché. Il y a un an, on a estimé au vu des retours que l’on avait de nos clients, qu’il était temps de développer un système d’évaluation spécifique à la notation carbone. C’est le sujet critique du monde actuel. On a développé le “Carbon Action Module” qui est un petit EcoVadis dédié au carbone. On s’est rendu compte que la maturité sur le sujet était assez faible en particulier auprès des petites et moyennes entreprises. On a donc ajouté à ce module un calculateur carbone pour qu’elles puissent évaluer leur empreinte.

TG : Quelles autres actions avez-vous entrepris pour avoir encore plus d’impact ?

V.T : On est en cours de validation de nos objectifs Science Based Targets pour tenir dans une augmentation maximale de la température globale de la planète de 1,5 degré à l’horizon 2050. On a entrepris des actions pour fournir un cadre de travail sûr et épanouissant à nos employés. On a aussi monté cette année un programme de philanthropie. On s’est engagé à reverser 1% de notre résultat à des associations qui travaillent dans notre direction et à financer pour chaque fiche de notation publiée la plantation d’un arbre avec l’association One Tree Planted.

 TG : Quelles évolutions constatez-vous sur les performances RSE des chaînes d’approvisionnement de vos clients ?

V.T : On publie tous les ans un index qui fait le point sur la performance RSE des fournisseurs de nos clients. L’index 2001 par exemple qui concerne la période 2016-2020 est basé sur l’analyse de 72 000 fiches d’évaluation concernant 46 000 entreprises. Ce document permet de déterminer l’évolution des performances sur une période donnée que ce soit en fonction de la notation globale ou par thèmes. On suit 4 thèmes : environnement, social, éthique et achats responsables. On regarde ensuite l’évolution par taille, zone géographique, industrie. Cet index montre que les entreprises continuent d’améliorer leurs performances RSE, et ce, malgré un environnement mondial assez compliqué. La moyenne des notes globales en 2020 est supérieure de 0,8 point à celle de 2019. On a constaté aussi que les petites et moyennes entreprises continuent à surperformer par rapport aux grandes entreprises. L’ensemble des entreprises sont particulièrement matures sur les sujets sociaux. D’un point de vue géographique, les entreprises européennes restent les leaders mondiaux en matière de développement durable. L’Amérique du Nord progresse cependant très rapidement. C’est d’autant plus positif qu’aujourd’hui la société attend beaucoup des entreprises sur les sujets climatiques, sociétaux et sociaux.

TG : Comment mesurez-vous votre impact ?

V.T : Chez EcoVadis, on s’intéresse à l’impact que l’on peut avoir mais aussi à celui de nos clients. Pour la première fois cette année, nous avons fixé des indicateurs pour mesurer l’impact de nos clients. Une fois qu’on aura établi notre comité de mission, il nous aidera à établir des indicateurs plus développés et plus en corrélation avec les objectifs de notre raison d’être. Pour 2021, on a pris 2 indicateurs. Le premier est relatif à la transparence des entreprises sur le sujet des émissions de gaz à effet de serre. On a pour objectif d’avoir 15 000 entreprises qui auront d’ici la fin de l’année communiqué sur leurs GES. Le deuxième concerne la formation des entreprises à la RSE. On souhaite que 5 000 entreprises suivent activement les formations en ligne qu’on a développées pour leur donner une vision holistique de ce qu’est la RSE.

TG : Quels sont vos objectifs pour le reste de l’année ?

V.T : On a pour objectif de réduire de moitié l’empreinte carbone de chaque fiche d’évaluation que nous produisons d’ici 2026 par rapport à 2020. On souhaite aussi former tous les managers aux enjeux climatiques via la Fresque du Climat avant fin 2022. On est en train de mettre en place un programme d’achats responsables. Notre cœur d’activité est d’aider les entreprises à avoir des achats plus responsables, il est donc important que nous soyons aussi exemplaires sur le sujet. Un des objectifs de notre raison d’être est lié à la mise en place de partenariats et de collaborations au sein de notre écosystème avec des entités gouvernementales et non gouvernementales comme B Corp. Nous souhaitons participer à la mise en place d’un standard de reporting, un élément qui manque encore à la RSE. On a lancé cette année une plateforme avec l’association Vendredi pour regrouper des actions philanthropiques sélectionnées pour les employés. Notre objectif est d’engager d’ici la fin de l’année 30% des employés à travers cette plateforme.

TG : Comment arrivez-vous à garder une longueur d’avance ?

V.T : C’est avant tout un travail de tous les jours. Nous avons une culture d’entreprise entrepreneuriale qui pousse à l’autonomie des collaborateurs et à la proposition de nouvelles idées. Parmi nos 1 300 employés, tous sans exception sont passionnés de RSE, ce qui permet de faire bouger les lignes plus rapidement. On a la chance d’avoir des clients qui sont eux aussi intéressés par la RSE. Notre métier est de pousser à l’amélioration des autres, ce qui implique de nous améliorer constamment pour être exemplaires.

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