7 novembre 2019

Temps de lecture : 7 min

Titres et Couvertures de livres : Le monde de l’édition française est frileux..

Tandis que les éditeurs sabrent le champagne aux côtés de leurs auteurs primés, songeant à l’argent qui va remplir leurs coffres forts, Motamorphoz rend sa première étude sur les figures incontournables que sont les titres, les couvertures et les quatrièmes (de couverture) des 107 romans qui concouraient à la traditionnelle rentrée littéraire.

Tandis que les éditeurs sabrent le champagne aux côtés de leurs auteurs primés, songeant à l’argent qui va remplir leurs coffres forts, Motamorphoz rend sa première étude sur les figures incontournables que sont les titres, les couvertures et les quatrièmes (de couverture) des 107 romans qui concouraient à la traditionnelle rentrée littéraire.

Quelle est la particularité du prix Goncourt 2019, décerné cette semaine à l’ouvrage de Jean-Paul Dubois,  Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon ? Ne cherchez pas. Il s’agit en fait du roman au titre le plus long (12 mots) parmi les 107 ouvrages en compétition pour les 10 prix les plus représentatifs qui viennent, pour certains, d’être décernés soit Le Grand prix du roman de l’Académie française, le Renaudot, le Goncourt, le Femina, le Médicis, le Décembre, l’ Interallié, le Prix de Flore, le Prix Wepler/ Fondation La Poste et le Prix Hors-Concours. Catherine Malaval sémiologue et dirigeante de Motamorphoz, observatoire de l’évolution des mots qui s’inscrivent (ou pas) dans le temps s’est attaquée à cette enquête qui étudie les titres, les couvertures et les quatrièmes de couverture de ces ouvrages. Un état des lieux sur l’esprit du temps à travers la crème de la littérature ( 524 livres ont été publiés en cette rentrée). Une première dont les enseignements laissent rêveurs quant au conservatisme du milieu de l’édition, ses us et coutumes de la langue, ses auto-censures et son absence d’audace créative.

L’auto-promotion des auteurs s’étale sans pudeur en 4e de couverture

Et pour cause, ces ouvrages représenteront entre 40 000 et 400 000 ventes pour les lauréats selon les prix et leur médiatisation, on trouve pèle mêle, plus de premiers romans, de femmes, ou d’éditeurs indépendants, mais la majorité reviendra à une élite de la littérature d’auteurs masculins déjà récompensés et à des romans des grandes maisons d’édition, parfois nommés pour plusieurs prix. Un business de taille en somme pour un tout petit monde dont sont bien entendu exclus les piliers financiers que sont Marc Levy, Guillaume Musso et Katherine Pancol. Sachez donc que les prénoms les plus utilisés dans ces romans de l’année sont Jeanne, Blanche , Louise ,François , Gabriel , Léo , Paul , Vincent. Que les éditeurs préfèrent la photographie à la peinture ou à l’illustration pour faire leurs couvertures. Que sur ces dernières prédominent le noir, le blanc ou le rouge. Que l’auto-promotion des auteurs s’étale sans pudeur en 4e de couverture, que les éditeurs auto-célèbrent chaque fois plus les romans 
qu’ils éditent. Ce qui tendrait à nous confirmer s’il en était besoin que l’on n’est jamais mieux servis que par soi-même.

Seul le prix de Flore propose une parité, 50% d’auteurs pour 50% d’autrices.

Rien de bien nouveau sur les titres, formels, courts relativement classiques, tant par leur structure que par le choix des mots. « À tel point que l’on pourrait tout à fait imaginer modéliser la recherche de titre », note Catherine Malaval auteur de l’étude. Les mots « homme » et « monde » dominent en termes de fréquence et les articles définis sont toujours aussi présents. Les champs lexicaux (temporalité, lieux, personnes, nature ou sentiments), demeurent inchangés, avec pour seule anomalie un pic du champ lexical de la royauté en 2017. Chaque année, des mots apparaissent plusieurs fois, c’est le cas pour « voyageur » ou « Freud », présents deux fois chacun dans le corpus de 2014, « amour » utilisé 3 fois dans celui de 2015, ou encore « mort » présent à deux reprises dans le corpus de 2016. 60% des romans sont écrits par des hommes et 40% par des femmes. Un roman sort du lot avec deux auteurs, un homme et une femme, en couple dans la vie (Nino dans la nuit de Simon & Capucine Johannin).
 Seul le prix de Flore propose une parité, 50% d’auteurs pour 50% d’autrices si l’on en croit Le Robert, ou auteures si l’on est pro-Larousse…

On vend le livre comme un produit

Autant la structure des titres demeure très classique, autant l’innovation marketing fait son nid. Sur la forme, le mélange des genres s’affirme. On ne résume plus : on vend le livre comme un produit. « La quatrième de couverture devient un espace de promotion », souligne Catherine Malaval. 35,5% des quatrièmes se composent d’un résumé de l’intrigue, 3,7% d’un édito promotionnel, et 7,5% d’un extrait ou citation tirée du roman, mais 54% présentent une forme hybride : un résumé + un édito promotionnel, un extrait + un résumé, un extrait + un édito promotionnel et parfois même les trois ensemble! A cela peut s’ajouter une courte biographie (bibliographie, prix, profession ou lieu de naissance), ou parfois, une courte phrase de l’éditeur vantant les qualités du livre.

Autocélébration des auteurs

Quelques résumés, souvent mis entre guillemets sont écrits par les auteurs eux-mêmes. « Estiment-ils qu’ils sont les mieux placés pour décrire leur récit ou reprennent-ils en main cette tâche alors assignée à l’éditeur ? », ironise la fondatrice de Motamorphoz. Ainsi Olivier Rolin signe lui-même la quatrième de son roman Extérieur monde. Autre nouveauté à souligner, c’est désormais l’éditeur qui fait lui-même l’éloge du livre qu’il compte bien vendre aux lecteurs. Et c’est ainsi que les adjectifs « Brillant », « surprenant » (La vraie vie de Vinteuil), « inventif », « inattendu » (François Rissin), « subtil » (Je m’enneige), « exaltant » (Loin), les syntagmes tout aussi admiratifs, comme « à couper le souffle » (Cent millions d’années et un jour), « très remarqué » (Le coeur battant du monde), « sur les chapeaux de roue » (Les minets) se confrontent à de plus sobres « bon roman » (Chroniques des années d’amour et d’imposture) ou « vrai roman » (L’île introuvable). Avec le mot « livre », on trouve l’adverbe « magistralement » (Les jungles rouges), le syntagme prépositionnel « d’une richesse inépuisable » (Un monde sans rivage). Deux livres sont qualifiés de « grand » (Une partie de badminton, La part du fils). Les récits, eux, sont « intimes » (Amer noir), « vertigineux » (Francis Rissin), des récits « des silences » (L’île des sables) ou « de l’émancipation » (Les échappées). On s’aime, non?

Des résumés qui n’en sont pas

« Autre technique émergente : les résumés, n’en sont plus, ils participent en fait à la construction du suspense », explique Catherine Malaval. et posent la question à laquelle l’ouvrage doit répondre ». Du coup,on peut lire « L’amour sera-t-il toujours une issue, un ancrage ? » (Awa), « À quelles conditions ce qui a été aurait-il pu ne pas être ? » (Civilizations), « Comment grandir avec cette laideur ? » (Je suis né laid). À croire qu’un bon résumé ne sert plus à vendre une bonne histoire. Parmi les thématiques, le secret familial est toujours en bonne place. Les traumatismes liés à l’enfance et à la famille aussi. 12% abordent ce topic et plus généralement la question de la filiation et de la quête profonde des origines. Avant que j’oublie d’Anne Pauly raconte l’effort d’une fille pour se ressaisir de la personnalité de son père après sa mort. Père qui dès l’enfance fait savoir à son fils qu’il est laid dans Je suis né laid d’Isabelle Minière. Père que l’on exhume dans L’ombre de son nom de Jean-Baptiste Labrune. Père qui ressurgit du passé, dans Loin d’Alexis Michalik.

La migration est un sujet

Les écrivains voyagent. 23% des romans se déroulent hors de France et se partagent le reste du monde. Le thème de la migration est abordé à de nombreuses reprises, preuve s’il en fallait une que les bouleversements géopolitiques trouvent un écho en littérature. Ainsi, dans Fondre, Marianne Brun raconte l’histoire de l’athlète somalienne Samia Yusuf Omar, morte en Méditerranée alors qu’elle traversait clandestinement pour participer aux Jeux olympiques. Dans Mur Méditerranée, Louis-Philippe Dalembert peint le destin croisé de 3 femmes bien décidées à gagner l’Europe. Dans un monde où les flux humains s’accentuent, les romans prennent à bras le corps cette problématique et bousculent les lieux communs. Laurent Binet, dans Civilizations, réécrit l’histoire du monde en inversant les perspectives : et si c’était l’Europe qui avait été colonisée par les Incas et non l’inverse ? Ce renversement semble dire une civilisation qui, à mesure qu’elle est ébranlée, prend peu à peu conscience du caractère circonstanciel de sa domination. Renversement présent également dans Rouge Impératrice de Léonora Miano, situé dans un future dystopique où les européens sont venus chercher refuge dans une Afrique qui ne sait pas bien quoi faire d’eux.

Les grands absents

« Presque nulle part il n’est (encore) question d’écologie ou de sauvegarde de planète, une absence dont on s’étonne au vu de la place que cette problématique occupe dans le débat public et de l’anxiété qu’elle génère », soulève encore Catherine Malaval. On citera, à titre d’exception, Eden de Monica Sabolo où une forêt magnifique est menacée, ou encore Les Grands cerfs de Claudie Hunzinger, qui met face à face l’homme et l’animal. Si la sphère politique est présente dans les romans, elle l’est plus à travers des figures de politiciens qu’à travers un propos réel sur le contexte politique actuel. On retrouve par exemple le Général de Gaulle, dans Le Général a disparu de Georges-Marc Benamou, Ariel Sharon (Je suis Ariel Sharon, de Yara El-Ghadban), Staline dans Amer Noir d’Eric Tchijakoff, ou encore Karl Marx, père du héros de Le coeur battant du monde de Sébastien Spitzer. A l’exception du roman que Catherine Gucher consacre à Raúl Castro (Et qu’importe la révolution ?) ces récits sont tous situés dans un passé plus ou moins proche, la distance temporelle neutralisant ainsi leur portée politique.

Quid de l’écologie et du réchauffement clmatique?

Et si les séries, le cinéma s’attaquent à des sujets d’actualité qu’ils soient politiques, écologiques, féministes, la littérature ne s’y intéresse guère. Les sujets qui dominent l’actualité depuis quelques années (le Brexit, l’élection de Donald Trump, etc.) n’apparaissent nulle part. Peut-être est-ce une question de distance, ou de protection, à moins que l’âme littéraire française soit résolument tournée vers son passé, son enfance, ses douleurs, ses deuils intimes? Que cela ne vous empêche pas de lire l’excellent Le coeur de l’Angleterre de Jonathan Coe, ou L’arbre Monde de Richard Powers… Question Brexit, écologie, survivalisme, vous serez alors magnifiquement servis…

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