28 mai 2021

Temps de lecture : 4 min

Stéphanie Goujon, French Impact : “La réussite individuelle n’existe pas, il n’y a que des réussites collectives”

Initiative gouvernementale qui œuvre pour une économie sociale et solidaire à impact positif, le French Impact favorise l’accompagnement de structures d’innovation sociale dans l’intégration de solutions durables et renouvelables. A sa tête, Stéphanie Goujon, entrepreneuse passionnée qui prône la stratégie d’alliance et multiplie les actions pour faire rimer Good et Innovation. Rencontre inspirante avec cette dernière pour parler management, économie solidaire et innovations durables.
The Good : Après une carrière dans la publicité, vous avez pris le virage vert de l’impact, d’abord chez l’Agence Don en Nature, puis au CESE et désormais à la tête de French Impact. Quel a été pour vous le point de bascule qui a permis cette transition ?

Stéphanie Goujon : Deux facteurs majeurs ont impulsé ce virage. D’une part une prise de conscience de l’urgence environnementale liée à la naissance de ma fille, avec cette volonté de transmettre, de léguer un monde en meilleur état. D’autre part, l’envie, avec la trentaine, de prendre davantage les rênes de mon destin professionnel et de me sentir plus utile.

The Good : En tant que manager, vous prônez la stratégie d’alliance dans une logique d’adhésion : racontez-nous !

S.G. : Il y a forcément de la hiérarchie, c’est-à-dire du cadre, des règles, et de l’organisation dans une entreprise, quel que soit son statut juridique. Sinon comment peut-on passer à l’action tout en respectant chacun ? S’il est clair qu’il y a eu, notamment dans les grands groupes, une tendance à favoriser un management de contrôle au risque d’entraver la créativité et la qualité de vie au travail, je ne crois pas à la grande vague des entreprises « libérées » ni aux portraits irréalistes de leaders qu’on voit parfois dans les magazines. Le leader idéalisé d’aujourd’hui doit être à la fois empathique, prévoyant, stratège, exemplaire, gros bosseur, rassurant, gestionnaire mais aussi développeur, encadrant mais en laissant de l’autonomie, constructif 24h/24 … Bref c’est un saint, ou plus exactement ça n’existe pas car c’est surhumain, c’est autant un leurre que les mannequins taille 32 d’1m80.

Nous avons tous des vulnérabilités et des doutes : le tout est de l’assumer, et nous avons aussi tous des talents.  Le rôle du leader, c’est de donner un cap et construire une équipe en fonction de ces différences, en jouant sur les complémentarités de compétences, de caractères, d’expériences. Pour diriger un groupe, je crois à l’adhésion par rapport à des valeurs, une mission. Je pratique la co-construction de plans d’action et de feuilles de route, ça se joue à deux et plus. La réussite individuelle n’existe pas, il n’y a que des réussites collectives. Et au-delà de l’interne il y a aussi toutes les alliances avec les parties prenantes, partenaires, financeurs, pouvoirs publics, influenceurs,sympathisants etc…

The Good : Pourrions-nous dire que le French Impact est un incubateur de projets à impact ? Comment s’organise concrètement l’accompagnement des projets et en quoi votre offre diffère-t-elle des différents hubs du good que le marché propose ?

S.G. : French Impact s’est lancé comme accélérateur national de l’innovation sociale et environnementale, pas en tant qu’incubateur, avec la mission d’inspirer les politiques publiques. Notre rôle est beaucoup plus « macro » qu’un incubateur tout en ayant un ancrage territorial, clé pour le domaine dans lequel nous officions qui est l’économie de proximité. Concrètement, nous faisons 3 choses :

-Identifier des projets « pépites » sur les territoires, aujourd’hui environ 500 projets à impact, vivier d’emplois non délocalisables, grâce à nos partenaires locaux.Faciliter leurs accès aux financements publics et privés, et nous contribuons d’ailleurs à la structuration de l’impact investing.

– Les faire connaître des administrations. Ce dernier point est très novateur et s’inscrit dans la politique de transformation de la fonction publique. Il nous permet de créer une passerelle de l’innovation sociale à l’innovation publique. En effet les secteurs de l’innovation sociale – économie circulaire, mobilité, autonomie et grand âge, réussite éducative… –  sont du ressort de l’intérêt général. Les innovateurs sociaux ont inventé des solutions efficaces qui peuvent inspirer les services publics de demain, ils ont un savoir-faire et il faut le faire savoir !

The Good : Quels sont les enjeux de l’économie sociale et solidaire en 2021 ? Comment accompagner la levée de freins réglementaires et encourager les politiques publiques à réorienter les curseurs de leurs budgets ?

S.G. : Le premier enjeu est de percer le plafond de verre ! L’ESS et plus largement l’innovation sociale ne sont pas assez visibles, lisibles, financées. Des solutions performantes existent, pour les faire changer d’échelle il faut créer ces alliances avec le secteur privé conventionnel et le secteur public. Sur ce dernier point, French Impact a développé un programme de parrainages entre hauts fonctionnaires et dirigeants de l’ESS. Ce sont de véritables binômes gagnants. Pour le fonctionnaire, il accompagne le passage d’une culture de la norme à une culture de l’action, et inspire les services publics de demain, à l’exemple de la politique mentorat « 1 jeune, 1 mentor ». Pour l’innovateur social, il forme aux rouages de l’administration, et aide à faire sauter verrous et freins réglementaires, à l’exemple du réseau Envie Autonomie qui rénove des aides techniques pour personnes handicapées grâce à un chantier d’insertion. L’initiative était pénalisée dans son déploiement par le non remboursement par la sécurité sociale. Ce frein a été levé ce qui permet la structuration de toute une filière d’économie circulaire.

The Good : Parmi les projets que vous avez jusqu’à présent accompagnés, lesquels font particulièrement votre fierté ?

S.G. : Trop d’initiatives me viennent en tête, je ne saurai pas choisir ! Je ne peux donner que quelques exemples comme en matière de mobilité la jeune entreprise Ecov qui veut faire de la voiture un moyen de transport collectif, et qui a créé une trentaine de lignes de co-voiturage entre zones peu denses / rurales et agglomération. En effet, tout le monde ne pourra pas prendre son vélo ! Quand vous avez 50 kilomètres à parcourir, ce n’est pas pareil que de l’inter-urbain.

Ou encore Siel Bleu qui propose des parcours d’activité physique adaptée pour les seniors, ce qui, outre le bien être pour les bénéficiaires, évite les chutes et coûts d’hospitalisation. C’est donc gagnant pour les individus ET pour la collectivité. Ou enfin la coopérative Grap qui mutualise tous les services nécessaires (logistique, comptable et financier, commercial…) pour les producteurs qui souhaitent se lancer dans les circuits courts alimentaires. Cela permet de structurer toute une filière avec des emplois locaux.

The Good : Vous êtes également co-présidente du Forum de Giverny, 1er rendez-vous annuel de la RSE : quels objectifs pour l’édition de septembre 2021 ?

S.G. : Faire valoir le potentiel des écosystèmes territoriaux et accélérer le financement de la transition sur les territoires. En France, nous avons une culture et un historique des grands champions nationaux, et c’est bien d’avoir des locomotives. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de tout un tissu local qui crée des emplois non délocalisables
et s’avère soucieux de l’environnement car il en est partie prenante. La crise a révélé la nécessité de transformer le modèle vers une conception beaucoup plus durable de la performance, à la fois économique, sociale et environnementale, ce qui correspond à notre définition de l’impact. Et ça passera aussi par les territoires.

Ce papier a d’abord été publié sur The Good

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