10 mai 2023

Temps de lecture : 6 min

Sportif un jour, sportif toujours ?

Les sportifs sont les premiers à le dire : le sport ce n’est pas un vrai métier. On ne naît pas pro, on le devient… un temps. Auquel il y aura forcément un après. Nous avons rencontré deux champions français qui se sont lancés, après leurs succès, dans la vraie vie, pourrait-on dire. Un autre combat, où la fibre sportive n’est pas inutile…

 

Pierrick Bourgeat : « Ma carrière sportive était plus tranquille, je n’avais pas de salaire à payer en fin de mois. »

 

Aujourd’hui âgé de 46 ans, Pierrick Bourgeat est un ancien skieur alpin professionnel des Deux Alpes : quinze ans dans le top 15 mondial en slalom, trois victoires en slalom de Coupe du monde et trois participations aux Jeux olympiques. Il raccroche les skis en 2010 et se lance dans la restauration. La vie d’entrepreneur est-elle plus périlleuse qu’une piste de ski à 70° ?

INfluencia : durant votre carrière sportive, prépariez-vous déjà votre « vie d’après » ?

Pierrick Bourgeat:  aucunement. J’étais tellement focus dans mon sport que je ne pensais pas à la reconversion. Je ne me projetais pas. Je me disais que je verrai bien ce que je ferai après avoir raccroché les skis. Mes études étaient déjà très tournées vers la compétition, ayant intégré la section ski-études à Albertville. Je suis également entré très tôt en équipe de France et comme j’ai vite réalisé de bonnes performances, je me concentré sur le ski.

IN : « l’après » est-il un sujet qui revient souvent dans les discussions entre athlètes ?

PB :  pas vraiment. On ne parlait pas beaucoup de cela entre les courses, on jouait plutôt aux cartes ! On se laisse beaucoup guider quand on est sportif. Ceux qui ne réalisent pas de très grandes performances deviennent moniteur de ski ou reprennent le magasin de sport de leurs parents. Ceux qui ont une belle carrière font des piges de consultant à la télé ou à la radio. On fait souvent cela pendant trois ou quatre ans avant d’être remplacé par des plus jeunes. Ce n’est pas un vrai métier.

IN : quel a été votre parcours après votre carrière sportive ?

P.B: j’ai d’abord eu besoin de me reposer. Le ski vous casse physiquement mais aussi mentalement, car vous êtes constamment sous la pression des résultats. J’ai eu la chance d’avoir mis un peu d’argent de côté et investi dans l’immobilier, donc j’ai pu faire cette parenthèse sans travailler. Au bout de deux ans et demi de repos, l’adrénaline de la compétition me manquait et j’ai voulu relever un nouveau challenge. Un pote qui était rugbyman professionnel avait l’idée de lancer un concept de restaurant sain. Nous avons commencé à réfléchir ensemble en 2014 et, pendant deux ans, nous avons fait des études de marché. Nous voulions créer un réseau de franchise qui ne soit pas dépendant d’un chef en cuisine. Nous nous sommes donc inspirés des process de McDonald’s, j’ai fait une formation d’un mois à la CCI de Grenoble et nous avons ouvert en novembre 2017, à Saint-Égrève en Isère, la Salad’Rit. En juin 2021, nous avons inauguré un deuxième restaurant au pied du Groupama Stadium près de Lyon.

IN :  avez-vous reçu un soutien de la Fédération française de ski (FFS) ?

P.B : la FFS propose des bourses d’aide à la formation. Elle fait ce qu’elle peut pour ne pas nous jeter dans la nature après notre carrière sportive, mais nous sommes, en réalité, livrés à nous-mêmes quand on arrête la compétition. Si les fédérations françaises de judo et de natation proposent souvent des postes d’entraîneur aux anciens champions, la FFS l’a rarement fait, même si elle commence à évoluer dans ce domaine. La formation ne m’a, de toute façon, jamais attiré.

IN. : votre reconversion dans la restauration a-t-elle été couronnée du succès ?

P.B :  la restauration, c’est compliqué… Mes parents étaient dans la profession et je m’étais juré de ne pas suivre leur voie. En lançant un projet de franchise, je pensais ne pas avoir à gérer l’opérationnel, et c’est en fait tout le contraire qui s’est passé. Mon partenaire ne s’est pas impliqué comme je le pensais dans ce business et je me suis retiré du projet à Lyon. Avec la pandémie et les confinements, j’ai réduit mon personnel, qui comprend six salariés contre treize à l’ouverture. Depuis quatre ans, je suis constamment au resto. Cela m’a coûté énormément d’énergie. J’ai perdu huit kilos dans cette affaire.

IN.:  allez-vous continuer dans cette voie ?

P.B :  pour vous dire la vérité, je suis cuit. Je suis un peu déçu par cette expérience et je considère être entré dans une phase de transition. Tous les projets de franchise sont actuellement en stand-by. Ma carrière sportive était plus tranquille, je n’avais pas de salaire à payer en fin de mois..

 

Sarah Ourahmoune : « Participer à un sport amateur m’a obligée à penser très tôt à un projet professionnel. »

 

Vice-championne olympique aux JO d’été de Rio 2016, Sarah Ourahmoune est la boxeuse française la plus titrée. Dix fois championne de France, triple championne d’Europe et championne du monde en 2008, diplômée de Sciences Po, elle est aujourd’hui une femme d’affaires et une conférencière à succès.

INfluencia : vous avez toujours concilié les études et le sport de haut niveau. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?

Sarah Ourahmoune : étant issu d’un sport peu reconnu, j’ai toujours eu conscience que je ne pourrais pas en vivre. Je savais que mon avenir ne se trouvait pas sur un ring. La boxe a été pour moi une passion et pas une activité professionnelle. La question de ma reconversion après ma carrière sportive ne s’est donc jamais posée parce que j’ai toujours mené sport et études en parallèle.

IN. : comment avez-vous fait ?

S.O : au lycée, je m’entraînais le matin à 6 heures avant d’aller en cours et je retournais à la salle à 19 heures. Tout s’est compliqué à l’université. Malgré mon statut de sportive de haut niveau, mes horaires de cours n’étaient pas adaptés à mes entraînements. Lorsque j’ai intégré Sciences Po, j’étais logée à la même enseigne que les autres élèves en master. Si j’avais plus de trois absences sur une matière, je devais la repasser intégralement l’année suivante. Quand j’ai commencé à travailler, je prenais des congés sans solde pour participer aux compétitions, s’ils étaient acceptés… Tout a été plus simple lorsque je me suis mise à mon compte.

IN : comment vous êtes-vous lancée dans l’entrepreneuriat ?

S.O:  j’ai intégré l’incubateur de Sciences Po pour créer ma société. Au début, j’avais deux activités : je développais des gants de boxe connectés tout en faisant des formations et des conférences. Mon parcours est atypique, car j’ai arrêté ma carrière sportive en 2012 pour la reprendre deux ans plus tard, après la naissance de mon premier enfant, afin de participer aux JO de Rio de 2016. Ma médaille d’argent m’a ouvert beaucoup d’opportunités sur le plan des conférences et des formations, et convaincue de stopper le développement des gants connectés. J’ai malgré tout décidé de conserver les deux salles de boxe, qui ont un statut associatif, que j’ai ouvertes il y a dix ans. On s’y entraîne, bien sûr, mais ce sont aussi des endroits où la boxe est utilisée comme un outil de développement personnel. Mes programmes de formation se composent, quant à eux, d’une journée de cours hebdomadaire pendant six mois. J’anime aussi entre 30 et 40 conférences chaque année.

IN. : la Fédération française de boxe vous a-t-elle aidée pour ces projets ?

S.O. pas vraiment, mais mon profil de maman qui fait son retour à la compétition après sa retraite sportive est, il est vrai, plutôt singulier…

IN : concilier la compétition avec les études puis le travail est-il un atout ou un handicap ?

S.O :  avec le recul, je dirais que participer à un sport amateur m’a obligée à penser très tôt à un projet professionnel sans lien avec la boxe. Il est toutefois très compliqué de gérer une carrière de sportif de haut niveau tout en faisant des études, puis en travaillant. Être trop accompagné et rester dans une bulle, hors de la réalité – comme c’est le cas dans d’autres sports – n’est pas non plus une bonne chose pour « l’après ». Il faudrait trouver un équilibre entre les deux.

IN. : la boxe est-elle un sport dans lequel les athlètes parviennent à réussir leur reconversion après le haut niveau ?

S.O : pas réellement, et ce pour plusieurs raisons. Il n’est pas simple, tout d’abord, de caler des formations entre les deux ou trois séances quotidiennes d’entraînement qui sont nécessaires pour pouvoir gagner des médailles. Certains coachs, qui ne pensent qu’à vous faire monter sur des podiums, devraient, par ailleurs, être plus bienveillants et vous rappeler l’importance des études. Le contexte familial est, lui aussi, très important. La boxe est un sport de quartier très populaire. Chez moi, ma mère m’a toujours dit que l’école passait avant. Pour continuer de boxer, je devais bien étudier. Ce sport m’a toutefois permis de trouver un équilibre et de réussir ma reconversion, car il m’a fait comprendre l’importance de l’effort, du travail et de la rigueur.

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