23 octobre 2025

Temps de lecture : 5 min

Sous-emploi des plus de 45 ans : d’où vient le problème en France ? Que faut-il faire ?

En France, les seniors restent les grands oubliés du marché du travail. Deux entrepreneuses, Valérie Gruau (Seniors à votre service) et Mathilde Thillaye du Boulay (Knowldy), racontent pourquoi la discrimination liée à l’âge persiste — et comment la combattre.

Tous jeunes ! Crée par Cyrille Frank avec Midjourney

Le taux d’activité des 55-64 ans en France était inférieur de près de 5 points à celui de l’Union européenne à 27 pays, d’après la dernière étude de la Direction de l’Animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) publiée en 2024. 

En 2024, 60,4 % de cette tranche d’âge ont un emploi, contre 65,2 % dans la moyenne européenne. Et l’écart est de plus de 20 points comparé aux 25 à 49 ans dont le taux d’emploi était de 82,8 % en 2024.

La bonne nouvelle ? Ça s’améliore : le taux d’emploi des seniors continue d’augmenter et se situe à son plus haut niveau depuis qu’il est mesuré (1975). 

Pour les femmes, c’est pire en France et mieux, si l’on compare à la moyenne européenne

Pour les femmes, le taux d’emploi des femmes seniors (58,7 %) est inférieur de 1,7 point à celui des hommes. Toutefois ce chiffre est proche de la moyenne de l’Union européenne (59,4 %), alors que celui des hommes y est inférieur d’environ 10 points (71,4%).

Comment expliquer cette triste spécificité française ?

1. Les réformes françaises du travail et des retraites

Hippolyte d’Albis, historien et économiste du travail au CNRS, met en lumière la dimension structurelle de cette situation.

Depuis les années 80, les politiques publiques de l’emploi (départs anticipés notamment) ont installé selon lui une habitude durable : les entreprises écartent les salariés âgés, tandis que d’autres pays, comme l’Allemagne ou les pays nordiques, investissent depuis longtemps dans leur formation et leur maintien en emploi.

C’est exactement l’avis de Valérie Gruau, créatrice du site Seniors à votre service, il y a 17 ans :

« On a fait sortir les vieux pour faire entrer les jeunes », rappelle-t-elle. Par ailleurs, les politiques de départs anticipés des années 1980-1990 ont ancré l’idée qu’après 50 ans, on doit “laisser sa place”.

2. Le poids des préjugés culturels

Jean-François Amadieu, sociologue et directeur de l’Observatoire des discriminations, ajoute le poids des préjugés qui pèsent sur les seniors, particulièrement forts en France sans doute accentués par les politiques publiques décrites précédemment.

On les accuse de « manque de dynamisme », « moindre adaptabilité », « difficultés avec le numérique » ou « coût élevé ». La culture du jeunisme dans le management et la faible valorisation des parcours longs aggravent l’exclusion, d’après lui.

Les préjugés restent tenaces : “Passé 45 ans, on ne comprend plus la tech”, “on coûte trop cher”, “on est difficiles à manager”.

Vidéo réalisée avec Midjourney et Veo (outils génératifs d’image/vidéo)

« Les DRH forment à la non-discrimination sur le genre ou l’origine, mais rarement sur l’âge. »

Mathilde Thillaye du Boulay, qui a créé le podcast Knowldy is trendy il y a un an, le problème est aussi culturel et symbolique :

« Le mot ‘senior’ n’a rien de valorisant. En France, il évoque la fin d’un cycle, pas une étape de vie. »

Elle dénonce une société “extrêmement jeuniste”, où la figure de “la mamie du web” à 50 ans illustre encore un rapport déformé au vieillissement.

« Le senior n’existe pas, c’est un mot valise. À 45 ans ou à 70 ans, on vit des réalités très différentes. »

Mais, selon Jean-François Amadieu, il y a d’autres raisons structurelles au sous-emploi des plus de 50 ans.

Niveau de formation insuffisant : leur formation initiale reste plus faible qu’ailleurs en Europe à cause d’une démocratisation scolaire tardive.

Réformes peu efficaces : le recul de l’âge légal de départ à la retraite a augmenté le nombre de seniors au chômage, en invalidité ou en arrêt maladie.

Fatigue et insatisfaction : à partir de 55 ans, la santé perçue et la satisfaction au travail chutent fortement.

Alors, que faudrait-il faire pour améliorer les choses ?

1. Sensibiliser et recruter autrement

Valérie Gruau souligne que ces clichés perdurent surtout chez les jeunes managers. Elle plaide pour une action systémique dans les entreprises. Elle salue l’arrivée récente du sujet dans les CSE et les politiques RH, mais estime qu’il faut aller plus loin.

« Le sujet n’est traité sérieusement que depuis deux ans et demi. Il faut former les managers à gérer toutes les générations. »

Elle cite la Charte 50+ du Club Landoy et de L’Oréal comme modèle, ainsi que le programme Atout Seniors (France Travail, IFOCOP, Apec) qui forme et remet à l’emploi 80 % des participants.
Les TPE, selon elle, restent les plus ouvertes :

« Le dirigeant recrute directement, sans filtres. Il valorise l’expérience et voit vite le retour sur investissement. »

2. Restaurer la confiance et l’image des seniors

Mathilde Thillaye du Boulay agit sur un autre terrain : la représentation. Son média et sa société Knowldy contribuent à redonner fierté et visibilité aux plus de 45 ans. Son crédo :

« L’expérience, c’est tendance, sans arrogance. »

Elle aide les seniors à reconstruire leur confiance, à mieux se présenter et à adapter leur discours. Ce, via son média mais aussi via des événements fédérateurs et de l’accompagnement individualisé.

« Beaucoup perdent leur impact parce qu’ils racontent trop. Il faut apprendre à pitcher, à se rendre désirable. »

Elle insiste sur l’importance des réseaux, des communautés et de la visibilité sur LinkedIn.

« Être présent, prendre la parole, partager son expertise, c’est ce qui recrée de la valeur et du respect. »

Son message s’adresse aussi aux entreprises : la diversité d’âge n’est pas un coût mais une source de performance.

 » Mettre un ROI en face d’un salaire senior, c’est logique : l’expérience crée de la valeur. »

3. Donner du travail aux senior

La plateforme de Valérie permet de mettre en relation les employeurs avec des plus de 45 ans en recherche d’emploi. Les entreprises, souvent des PME, peuvent s’offrir des salariés opérationnels et chevronnés sur des missions ponctuelles, voire plus durables.

Et naturellement du côté des « seniors », cette activité leur permet de trouver un complément de revenus, mais aussi une valorisation social et une estime de soi.

Une génération qui refuse d’être mise de côté

Les deux entrepreneuses partagent la même conviction : la clé passe par le dialogue intergénérationnel et la reconnaissance de la valeur des parcours longs.

« Chaque âge doit apporter quelque chose à l’équipe », résume Valérie Gruau.

Pour Mathilde Thillaye du Boulay, il s’agit aussi de faire évoluer les mentalités :

« Il faut arrêter de mettre les gens dans des cases. Tout le monde a de la valeur, quel que soit son âge. »

Les chiffres d’insertion des plus de 45 ans sur le marché du travail s’améliorent, mais on part de loin.
certains secteurs sont particulièrement mauvais sur ce point comme dans la communication où l'(âge moyen est de 35 ans !

Par ailleurs, Jean-François Amadieu souligne aussi les risque d’inégalités : la hausse récente de l’emploi des seniors profite surtout à ceux déjà bien insérés, creusant l’écart avec les plus fragiles.

À l’heure où les carrières s’allongent et où les retraites se repoussent, la bataille pour l’emploi des plus de 45 ans ne fait que commencer.

Lire les autres articles du dossier :

👉​ « J’ai constaté que les jeunes avaient souvent un regard prétentieux à l’encontre de leurs collègues de plus de 50 ans », les pros de la com’ fustigent le jeunisme du secteur« 

👉​ Médias et communication : jeunisme ou résistance des anciens ? Vos témoignages sont édifiants

En résumé

  • Taux d’emploi encore faible : 60,4 % des 55-64 ans travaillent en France, contre 65,2 % en Europe.
  • Poids de l’histoire : les politiques de départs anticipés des années 80 ont ancré l’idée qu’après 50 ans, il faut “laisser sa place”.
  • Préjugés âgistes : les seniors sont jugés trop chers, peu adaptables, dépassés par la tech.
  • Freins structurels : faible niveau de formation, recul de la retraite peu efficace, santé et motivation en baisse après 55 ans.
  • Des pistes concrètes : former les managers, valoriser les parcours, redonner confiance et visibilité aux seniors.
  • Un enjeu collectif : encourager le travail intergénérationnel et la reconnaissance de l’expérience, surtout dans les secteurs fermés aux plus de 45 ans.

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