Snoop Dogg est-il le plus grand influenceur vivant ?
Cette semaine, dans « Sous INfluence », on s'attaque à l'un des rebranding les plus étonnants opéré par une personnalité publique ces dernières années : celui du légendaire Snoop Dogg, également figure de proue des JO de Paris cet été, au cas – peu probable – où cela vous aurait échappé. L'occasion de rencontrer Christophe Caurret, directeur général en charge du son chez Prodigious, qui nous livre quelques clés de compréhension pour expliquer cette mue sans précédent. Yessir...
À l’âge de 52 ans, soit 364 ans en âge de chien, Snoop Dogg se porte à merveille. Embauché cet été en tant que commentateur sportif par la chaîne de télévision NBC pour couvrir les Jeux de Paris 2024, le légendaire rappeur étasunien s’est même imposé comme l’un des temps forts de l’évènement – et il y avait de la concurrence –. Impossible que vous soyez passés à côté de ses danses depuis les tribunes et encore moins de ses commentaires décalés sur les épreuves, tant chacune de ses apparitions a cumulé des millions de vues sur les réseaux sociaux. Si l’image prêtait à sourire dans les premiers jours de la compétition, la présence de Snoop Dogg pour le compte de la NBC a rapidement fait l’objet d’une tout autre conversation, beaucoup moins innocente celle-ci : son prix.
Il a rapidement été reporté que Calvin Cordozar Broadus Jr., de son vrai nom, était rémunéré à hauteur de 500.000 dollars par jour dans le cadre de cette opération de visibilité. Un montant exorbitant – qui n’est pas forcément déraisonné quand on considère l’exposition sans précédent dont a profité la NBC – qui nous amène à nous poser cette question simple : comment l’un des rappeurs les plus sulfureux des années 90 a su dépasser les polémiques et le « simple » cadre de sa musique pour devenir aujourd’hui l’une des icônes les plus reconnaissables de la pop culture, doublé d’un véritable phénomène marketing, que toutes les marques, commerciales ou médiatiques, s’arrachent à prix fort ? On vous spoil, il n’y a pas de secret : par la force de son travail, une savante connaissance de son image… et un sens aiguisé des affaires.
Né en 1971 à Long Beach, en Californie, Snoop Dogg s’intéresse très tôt au piano et au chant. À l’âge de 6 ans, il découvre le rap et se met à créer des mixtapes avec son cousin Nate Dogg et son ami Warren G. Après que l’un de ses projets ait suscité l’intérêt de Dr. Dre, sûrement la personnalité la plus influente de toute l’histoire du rap et qui lancera véritablement sa carrière, Snoop signe avec le sulfureux label Death Row Records en 1991 – que beaucoup désignait à l’époque comme une organisation criminelle à part entière –. Il sort alors son premier album, « Doggystyle », en 1992 qui devient rapidement un succès critique et commercial, avec des tubes comme “Gin and Juice” et “What’s My Name” qui propulsent Snoop Dogg vers la célébrité. Pourtant, durant la décennie 90, le rappeur est encore loin de la rédemption et voit sa vie partagée entre la musique, les gangs et les affaires judiciaires, dont la plus médiatisée à l’époque concerne un procès pour meurtre (de 1993 à 1996) dont il sera finalement acquitté.
Une fois les controverses – à peu près – derrière lui, Snoop Dogg fait pour la première fois parler son sens des affaires en créant son propre label, Doggy Style Records, Inc. en 1995. Une structure qui va lui permettre de cultiver un espace créatif non seulement pour lui mais aussi pour tous les artistes en devenir qui lui auront tapé dans l’œil. C’est à ce moment précis que Snoop Dogg opère un switch dans sa musique qui sera déterminant pour l’évolution de son image jusqu’à aujourd’hui : il va progressivement délaisser le gangsta rap, le genre musical qui l’a vu naître, pour lui préférer des morceaux plus festifs et globalement plus positifs.
Pour Christophe Caurret, directeur général en charge du son chez Prodigious, qui appartient au groupe Publicis France, avec qui nous avons eu le plaisir de discuter sur le sujet : « C’est vrai qu’au début, c’est une icône du gangsta rap à l’image très sulfureuse. Mais dans un second temps, au moment du décès de Tupac Shakur, qui était considéré comme l’artiste le plus influent de ce genre musical, le son de Snoop Dogg va rentrer dans ce que j’appelle la « coolitude » avec des influences plus reggae et funk ». Suffisant pour lisser son image auprès du grand public. « S’il y a une analyse marketing à faire, on peut dire qu’au fil du temps, il a complètement ouvert son public cible ».
La main verte
Une autre composante essentielle, aussi bien pour comprendre la place qu’il occupe aujourd’hui dans la pop culture que son image de business man qui plait tant aux marques, est bien évidemment son amour du cannabis, lui qui avait même déclaré il y a quelques années : « Le monde serait bien meilleur si tout le monde admettait aimer fumer ». Cette volonté de joindre l’utile à l’agréable, Christophe Caurret l’explique en ces termes : « Au début des années 2000, même si le sujet reste tabou aux États-Unis et ailleurs, Snoop Dogg va jouer habilement de son image de fumeur pour incarner la figure de stooner qui sait rester cool en toutes circonstances. Cela va lui permettre d’attiser la curiosité de certains acteurs du monde culturel qui vont lui confier des rôles dans plusieurs longs-métrages américains », de quoi lui permettre de propulser encore davantage sa notoriété auprès du grand public.
De manière très intelligente, car parfaitement raccord avec son image d’artiste et de personnalité publique, sa première incursion dans le monde de l’entrepreneuriat – en dehors de sa musique – va se faire sur le terrain de la fumette qu’il connaît sur le bout des doigts. En avril 2015, il endosse ainsi le rôle d’investisseur minoritaire dans une start-up californienne de livraison de cannabis nommée Eaze qui promettait de livrer de la marijuana médicale aux portes des personnes en moins de 10 minutes.
Les affaires s’accélèrent. En octobre de la même année, il lance le média Merry Jane, tout spécialement dédié à l’actualité du marché de la marijuana, qu’il décrivait à l’époque comme « le carrefour de la culture de la marijuana, des affaires, de la politique et de la santé ». Enfin, au mois de novembre, le rappeur annonce la création de sa propre marque de cannabis intitulée Leafs By Snoop qui commercialise des fleurs et autres produits dérivés. « Leafs By Snoop est vraiment la première marque de cannabis grand public au monde et je suis fier d’être un pionnier », s’était félicité le rappeur au moment du lancement.
La lumière – et les succès – au bout du tunnel
Pour Christophe Caurret, c’est « très malin, même en termes d’images, parce qu’évidemment on parle d’un produit qui, au départ, est interdit, mais qui commence rapidement à être légalisé dans un certain nombre de pays. L’occasion rêvée pour faire du business tout en se reposant sur son image ». Avant de conclure : « Moi qui ai la chance de travailler régulièrement sur des sujets liés à la musique et aux marques, il m’est évident que les notions de légitimité et de crédibilité sont essentielles pour la réussite, ou non, d’un partenariat, ce que Snoop Dogg incarne parfaitement. Il y aussi le sujet de l’installation dans le temps. C’est ce qui fait qu’à un moment, certaines opérations prennent une tout autre ampleur. Par exemple, en guise de bonne foi, il a noué un partenariat à très long terme avec la marque de sneakers Sketcher qui lui fait totalement confiance pour la représenter comme il se doit ».
Une fois sa mue opérée dans les années 2000 et 2010, les marques se bousculent rapidement au portillon pour tisser des relations commerciales avec cet icone de la pop culture que plus rien n’arrête, de Corona à Chrysler, en passant par Pepsi ou encore Adidas. On se permettra également de citer son partenariat très médiatisé mais surtout très drôle avec la marque Bic qui le conduira, entre autres, à figurer sur leur packaging au côté de Martha Stewart, une grande personnalité des médias américains. Bref, la parfaite success story marketing que personne n’aurait pu prédire.
Le verre de Gin & Juice à moitié vide
Nous conclurons sur une note un peu plus amère car malgré ces nombreux succès, l’image de Snoop Dogg n’est pas taillée pour n’importe quel annonceur. Le 16 novembre 2023, le rappeur annonçait via son compte Instagram, qu’il arrêtait totalement de fumer, demandant à ses fans de respecter « sa décision et son intimité ». Vous comprendrez, après tout ce que nous avons expliqué sur le personnage, que l’annonce a littéralement cassé internet en générant pas moins de 2,8 millions de likes et 84 000 commentaires. Mais quelques jours plus tard, surprise : Snoop révèle à travers un second post que tout cela n’était qu’une opération marketing pour le compte du fabriquant de barbecues sans fumée Solo Stove.
Si le trafic sur le site internet de la marque a plus que doublé dans les premiers jours de l’annonce, laissant penser à un nouveau partenariat victorieux à mettre à la ceinture de l’artiste californien, sa viralité s’est vite essoufflée. Malgré la notoriété des premiers instants, le vrai succès – c’est-à-dire en termes de ventes – a totalement échappé à l’entreprise. À tel point que son PDG a du démissionner, une décision que la société mère, Solo Brands, a expliqué en ces termes : « Bien que cette campagne unique ait accru la notoriété de la marque Solo Stove auprès d’un public élargi, elle n’a pas permis d’atteindre les objectifs de vente que nous avions prévus, ce qui, combiné à l’augmentation des investissements en marketing, a eu un impact négatif sur notre excédent brut d’exploitation ».
Comme le résume Christophe Caurret, en guise de conclusion : « un bon deal, c’est quand chaque partie arrive à en tirer un bénéfice égal. Évidemment cela n’a pas été le cas pour cette opération puisque la notoriété de Snoop Dogg a complètement éclipsé celle de la marque en question. Au contraire de l’opération avec Bic, par exemple, qui a construit sa place d’objet de pop culture avec le temps, j’ai l’impression que pour cette campagne Solo Stove il y a avait vraiment un déséquilibre de notoriété et un manque de cohérence qui a conduit à cette vampirisation de l’opération par l’image tutélaire de Snoop Dogg ».
Comme quoi, même le grand gagnant des JO, aka le pape ultime de la G Funk – pour gangsta Funk – n’est pas forcément l’homme qu’il vous faut pour propulser votre marque. Tout est une question de cohérence culturelle. Une leçon que certains annonceurs français qui souhaiteraient collaborer avec telle ou telle personnalité dont ils ne saisissent par forcément les codes, seraient bien avisés d’intégrer…
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