14 septembre 2023

Temps de lecture : 4 min

« Si c’était à refaire, je serais bon à l’école », Gilles Babinet, Conseil national du numérique

Elles/ils sont publicitaires, femmes/hommes de média, annonceurs, photographes, tendanceurs/tendanceuses, philosophes, écrivain(e)s, artistes… Pour mieux les connaître, j’ai décidé chaque semaine de les soumettre à un « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr – Aujourd’hui, Gilles Babinet, co-président du Conseil national du numérique et « digital champion » de la France auprès de la Commission européenne. Il est également conseiller spécialisé auprès de l’Institut Montaigne et enseignant, notamment à Sciences Po et à HEC

INfluencia : Votre coup de cœur en ce moment ?

Gilles Babinet : la relation entre l’intelligence artificielle et l’environnement, je viens de finir cet été un livre sur ce sujet. Cela fait trente ans que je n’ai pas eu un tel coup de cœur. Après l’étape des militaires collectivistes, celle des mondialistes très individualistes, et l’ère néo-réactionnaire du web3, la prochaine sera probablement celle d’une réorientation de la technologie vers l’environnement. Mon cours à HEC porte d’ailleurs sur ce sujet : « machine learning et environnement ».

 A partir des années 80 c’est le verbe qui l’a emporté. Le verbe, c’est sympa mais cela ne suffit pas

IN : Et votre coup de colère ?

G.B. : il est contre la génération des baby-boomers qui ont détruit l’industrie de ce pays depuis 40 ans. La droite parce que c’était un repère de syndicalistes, la gauche parce que c’était un lieu d’exploitation. On a développé des endroits à faible mobilité sociale et on se retrouve maintenant avec une fracture entre des gens irréconciliables, qui se détestent, à l’américaine.

A partir des années 80 c’est le verbe qui l’a emporté. Le verbe, c’est sympa mais cela ne suffit pas.  On a mis partout des diplômés de grandes écoles qui sont très intelligents mais ne comprennent pas du tout les enjeux de production, de science, d’ingénierie et ont marginalisé nos ingénieurs.

j’ai été touché par l’élan collectif de générosité vis-à-vis du Maroc, ce qui n’était pas gagné

IN : la personne ou l’événement qui vous a le plus marqué dans la vie

G.B. : j’admire énormément deux personnalités historiques : Nelson Mandela et Vaclav Havel. J’ai notamment adoré le fait que l’une des premières choses qu’il ait faites quand il a été nommé président de la République tchèque a été de faire flotter la lippe de Mick Jagger sur la place nationale à la place d’une ancienne statue de Lénine. Une manière de marquer à sa manière – joyeuse et provoquante- l’anniversaire du fameux 21 août 1968, date de l’arrivée des chars soviétiques dans la capitale tchécoslovaque.

Dans les évènements positifs, j’ai été touché par l’élan collectif de générosité vis-à-vis du Maroc, ce qui n’était pas gagné car on a des relations compliquées avec le Maghreb. Je regrette qu’il y ait eu une polémique sur la non-demande d’aide française car, sinon, on n’aurait vu que cette très belle mobilisation.

IN : Si c’était à refaire ?

G.B. : Autour de moi les gens ont souvent des vies assez accomplies et, quand j’ai vu cette question, je me suis dit : que d’années perdues… Si c’était à refaire, je serais bon à l’école, car il y a quand même beaucoup de choses que j’ai apprises sur le tard. Je me passionnerais pour les maths, les langues, la géographie… bref tout ce que je n’ai pas fait. Et si je devais être un peu radical, je ferais de la méditation dès 12 ans, cela m’aurait peut-être évité des années de psychanalyse, ou pas…

Si c’était à refaire également, je quitterais très tôt mes parents, que j’adore d’ailleurs, peut-être pour faire un apprentissage. Car, lorsque je suis parti, cela m’a beaucoup structuré

J’aurais aussi été plus audacieux que je ne l’ai été, car très souvent j’ai eu des pudeurs qui m’ont freiné, je n’ai pas osé demander de l’aide quand il le fallait. En fait quand j’y pense, j’étais très complexé, j’ai six grands-parents qui ont fait, soit Polytechnique, soit Saint Cyr… Ce n’est pas mon cas, puisque j’ai quitté l’école à 15 ans. A l’époque, c’était très lourd à porter…

  Ma plus grande réussite c’est d’être apaisé

IN : Votre plus grande réussite, en dehors de la famille, bien sûr…

G.B. : ma plus grande réussite c’est d’être apaisé. Je fais deux heures de méditation par jour depuis 15 ans. Et j’ai dû mettre 7 à 8 ans à comprendre qu’avoir des petits bonhommes qui s’agitent dans ma tête, ce n’est pas normal, même si les gens à l’extérieur ne s’en rendent pas compte.

IN : Et votre plus grand échec

G.B. : quand j’ai monté ma première boîte avec des copains, on était trois mais mes deux associés ne s’entendaient pas du tout et se disputaient tout le temps assez violemment. Un jour, un ami est venu me voir et m’a proposé de créer une société avec lui. J’ai dit à mes associés que l’ambiance était détestable et que je partais. Et l’un des deux s’est suicidé… Par la suite j’ai appris, dans mon expérience de management, à prendre des décisions pour ne pas laisser les choses s’envenimer. J’aurais dû régler la situation par tous les moyens possibles. De plus, cette personne dont on savait qu’elle était fragile psychologiquement s’était vraiment épanouie dans son travail. C’était donc une double faillite : de management et humaine.

  « impact », un mot froid de management qu’on ne mettrait pas dans une poésie

IN : De quels mots ou expressions abusez-vous le plus ?

G.B. : je tente d’éviter les anglicismes, mais j’en abuse encore trop, mais le mot que j’utilise beaucoup est « impact ». Un mot froid de management qu’on ne mettrait pas dans une poésie et que j’essaie de moins employer…

IN : votre occupation préférée

G.B. : j’adore la rando, j’en fais de façon très intense. Et dans mes activités inavouables, j’aime bien me promener sur les voies de chemin de fer abandonnées. Cet été j’ai fait une randonnée dans le Vaucluse, et nous avons marché sur une voie abandonnée de 20 kms, c’était magique. Il y a un côté fantomatique, il y a eu un jour beaucoup d’énergie humaine et puis tout à coup plus rien…

IN : Quel livre emporteriez-vous sur une île déserte ?

G.B. : en dehors d’un guide pratique : « Comment survivre sur une île déserte », je prendrais un livre que je n’ai pas lu. J’essaierais de faire quelque chose que je n’ai jamais vraiment fait et j’emporterais avec moi probablement : « A la découverte des lois de l’univers. La prodigieuse histoire des mathématiques et de la physique », un livre de Roger Penrose, un mathématicien physicien professeur à Cambridge.
Et si vous m’autorisez un deuxième ouvrage, ce serait celui de Satya Narayan Goenka « Trois enseignements sur la méditation Vipassanã ».

 

En savoir plus

L’actualité de Gilles Babinet

 

Il vient de publier, aux éditions Odile Jacob « Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet », un essai qui présente les ingénieurs de génie qui ont incarné l’innovation cybernétique et fait le récit passionnant des coulisses de l’avènement d’Internet, au cœur de l’histoire technologique et sociale d’un monde devenu global

Il enseigne à HEC un cours sur « machine learning, environnement et innovation »

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