27 juin 2018

Temps de lecture : 5 min

Sexisme ordinaire : la jeunesse créative pour changer les mentalités

« Un Paris sans pub sexiste » ? C’est le colloque qui a eu lieu hier à la Mairie de Paris. Une initiative où la créativité était à l’honneur avec un objectif en tête : déconstruire les schémas normatifs qui emprisonnent les femmes dans des carcans patriarcaux inacceptables. Une occasion pour le Club des DA de mettre en lumière le talent des jeunes créatifs de son concours annuel mené sur ce thème. Rencontre avec son responsable, Gilles Deleris.

« Un Paris sans pub sexiste » ? C’est le colloque qui a eu lieu hier à la Mairie de Paris. Une initiative où la créativité était à l’honneur avec un objectif en tête : déconstruire les schémas normatifs qui emprisonnent les femmes dans des carcans patriarcaux inacceptables. Une occasion pour le Club des DA de mettre en lumière le talent des jeunes créatifs de son concours annuel mené sur ce thème. Rencontre avec son responsable, Gilles Deléris.

« Dans la pub, 82% (*) des experts sont des hommes », « Dans la publicité, les femmes sont 6 fois plus (*) à poil que les hommes ». « Faut-il obligatoirement dévaloriser une femme pour valoriser un produit ? », « Un homme peut-il passer l’aspirateur sans être divorcé ? ». Des questions érigées en campagne par Mad&Woman, « agence franchement engagée pour les droits des femmes » pour présenter un colloque organisé hier par la Mairie de Paris : « Pour un Paris sans pub sexiste », réunissant annonceurs, publicitaires, afficheurs, écoles, journalistes, institutions et associations pour débattre des enjeux de la publicité et des conséquence de son sexisme flagrant. « À l’heure où des milliers de femmes se regroupent pour dénoncer les dérives sexistes dans tous les milieux et où les villes d’Europe s’engagent contre le sexisme publicitaire dans notre espace public, il était temps pour Paris de se mobilier », déclare Christelle Delarue fondatrice de l’agence Mad&Woman et partenaire principale de l’événement.

Un colloque visant à pointer du doigt la faible représentation des femmes dans des rôles d’expertise, et à contrario la surexposition de celles-ci en tant qu’objets souvent sexualisants, démontrant l’influence des stéréotypes comme dictateurs de nos comportements et choix. Un engagement fort pour la ville de Paris qui s’est vue accompagnée par de nombreux partenaires associatifs féministes comme Toutes Femmes Toutes Communicantes, Les Chiennes de Garde, mais aussi Le Club des DA.

La créativité, c’est l’arme principale que le Club des DA a voulu empoigner pour mettre à mal ces injonctions non-égalitaires. Et pour la faire raisonner, c’est la jeunesse qui s’en est emparée. Partant du principe que les archétypes femmes/hommes se construisent dès la plus petite enfance et dans tout l’espace social, il faut compter sur la nouvelle génération pour nous débarrasser de ces chapes de plomb et de ces plafonds de verre. Interroger celles et ceux qui à l’avenir prendront part aux messages de communication sur cette problématique, semble alors couler de source. C’est ainsi que Gilles Deléris -Fondateur et Directeur de Création de l’agence W, et Responsable du Concours étudiants (catégorie art graphique) depuis plus de 10 ans au Club des DA- a pu présenter lors de cette journée de colloque, le meilleur de la production de son concours annuel étudiant mené aussi sur ce thème et qui a comptabilisé 140 candidat.e.s issu.e.s de plus de 20 écoles de France. L’occasion, pour INfluencia d’échanger avec lui sur la responsabilité collective des jeunes futurs pubards dans leur rapport à l’art graphique et au sexisme environnant.

IN : rendons à César… Hilary Clinton disait que nous ne pouvons pas aspirer à ce que nous ne voyons pas. Une affirmation qui traduit avec éloquence la façon dont les femmes n’osent parfois pas s’investir dans une démarche de haut poste. Quelles sont vos recommandations pour inverser la donne et les motiver à ambitionner des postes encore trop masculinisés ?

Gilles Deléris : la révolution se fait très tôt. En école supérieure, c’est déjà trop tard. Une étude sociologique sur « les enfants dans les cours d’école primaire » m’a d’ailleurs marqué. Dans la cour de récréation, on note que les garçons ont tendance à se regrouper au milieu et occuper l’espace pour laisser les filles autour d’eux en spectatrices. On part de ça. Nous avons donc tous des comportements genrés, qui s’établissent depuis la tendre enfance et s’étendent à tous les stades de vie. Les solutions sont multiples et commencent donc par une éducation appropriée pour les futures et jeunes générations. Ensuite, une pédagogie doit se faire pour les personnes déjà en poste et mettre en place des programmes d’empowerment et de leadership pour les femmes, comme Femmes Forward avec Havas qui permettra selon moi d’installer plus de parité dans les organigrammes et de pousser les femmes à oser.

Une anecdote très évocatrice à mon sens est cet entretien que je faisais passer à des étudiants pour entrer en Master à Sciences Po où j’enseigne. Je reçois une jeune candidate et lui demande de me parler de son projet professionnel. Sa réponse : « je voudrais être directeur de la création », et non pas « directrice ». On note ici, la puissance des mots et des schémas normatifs dans lesquels les jeunes talents sont rangés. Il y a donc aussi un vrai travail de sémantique et de conviction pour en finir avec ces discours.

IN : vous parlez d’une responsabilité collective des têtes dirigeantes de la communication notamment dans les perceptions et les canons de la représentation. Comment se traduit-elle concrètement ?

G.D. : dans les modes de représentation que l’on choisit effectivement. Comme le montre l’étude CSA que Mad&Woman illustre dans ses visuels, les femmes sont utilisées en objets, et les hommes surexposés. On donne l’injonction de liberté aux femmes de représenter leur corps pour le libérer, l’injonction d’être libres sous la pression des hommes. Cela n’a pas de sens. La responsabilité des femmes et hommes qui médiatisent des messages de communication est donc de ne pas reproduire ces mêmes états d’esprit. Cette responsabilité se traduit aussi par un investissement dans les écoles pour leur dire que c’est un sujet qui les concerne.

IN : pour s’attarder sur les jeunes et leur rapport au graphisme, à la représentation visuelle dans la pub, on remarque que le travail qu’ils ont ici proposé exprime une déconstruction inspirante du sexisme. Est-ce selon vous enfin une vraie conscience du problème qui fait dire que les mentalités changent ?

G.D. : je pense sincèrement et j’espère, que la conscience de ce sexisme ambiant est de plus en plus présente chez les jeunes. Je fais face à une génération curieuse, qualifiée, ouverte et créative. Cependant, il faut nuancer nos propos car nous parlons ici d’un microcosme étudiant ayant attrait à la communication, et donc très averti. Un terreau favorable donc avec qui ces questions sont abordées fréquemment.

IN : si l’étape de prise de conscience est primordiale et encourageante, quelle sera la prochaine ?

G.D. : la prochaine est pour nous de donner des réponses créatives, intelligentes, concernées : le seul militantisme qui nous aille est la bonne création. Chaque année, pour le concours étudiants du Club des DA, nous investissons des thèmes engageants d’une manière ou d’une autre pour y répondre avec créativité. Cette année une acuité d’actualité nous a plongé dans cette lutte sans répit qu’est celle du sexisme. Au delà du concours, nous sommes bien évidemment à l’écoute d’autres démarches mais rien pour l’instant n’est dessiné.

IN : qu’attendiez-vous de ce colloque « Pour un Paris sans pub sexiste » ?

G.D. : pour le Club des DA, il s’agissait vraiment de pointer la question du sexisme sans pour autant basculer du côté militant qui aurait caricaturé notre propos avec une auto-censure castratrice à coup sûr. Une des vertus de la pub a été d’accompagner l’émancipation sociale. On va là où nous poussent les vents sociétaux. La seule vérité c’est la qualité de ce que nous racontons, le respect des publics auxquels nous nous adressons, sans oublier notre pertinence et notre sens du divertissement. La communication, la publicité, les industries de la création doivent créer des connivences, de l’intelligence, et une relation saine avec les publics.

(*) Chiffres tirés de l’étude du CSA et de l’étude « Gender bias in advertising » de 2017.

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