14 mai 2023

Temps de lecture : 3 min

« Les sénateurs ont adopté un texte inapplicable et liberticide » : Sandrine Cormary (SCRP)

Les sénateurs ont adopté, le 9 mai, à l’unanimité la proposition de loi visant à réguler le secteur des influenceurs et le moins que l’on puisse dire est que le renforcement de certaines mesures ajoutées dans le texte n’a pas plu au Syndicat du Conseil en Relations Publics (SCRP). Sa présidente, Sandrine Cormary, nous explique pourquoi avec un langage plutôt cash. La sulfateuse a été sortie de son étui…

INfluencia : votre syndicat vient de publier un communiqué au vitriol contre le texte adopté par le Sénat concernant la régulation du secteur de l’influence. Quels sont les éléments qui ont motivé votre colère ?

Sandrine Cormary : en pensant encadrer l’influence commerciale, les sénateurs ont adopté un texte inapplicable et liberticide. Nous ne sommes pas opposés à une loi qui encadre l’influence mais celle qui vient d’être votée au Sénat entrave la liberté d’expression car elle frappe non seulement les « influenceurs », mais également les journalistes, les élus et tous les citoyens utilisateurs des réseaux sociaux.

IN : de quelles manière ?

S. C. : le texte a adopté le parti-pris de ne pas définir « l’influenceur professionnel» mais l’activité d’influence commerciale. Il s’applique ainsi à toutes les personnes qui « à titre onéreux, communiquent au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique». C’est cet article 1 qui nous pose le plus de problème.

La notion de « titre onéreux» comprend ainsi les rémunérations financières mais également tous les avantages en nature sans seuil de valeur.

IN : pourquoi?

S. C. : même s’ils ne sont pas visés par le texte, beaucoup de personnes qui ne sont pas du tout impliquées dans l’influence pourront tomber sous le coup de cette loi. C’est le cas notamment du journaliste qui teste une voiture qu’une marque lui aurait mise à disposition pour un essai. C’est vrai aussi du critique qui serait convié à un spectacle de théâtre ou à la projection d’un film. Un élu politique qui inaugure ou visite le salon du livre sans payer sa place, un consommateur qui reçoit un échantillon gratuit, un citoyen qui reçoit de la part d’une ONG des préservatifs en vue d’une campagne de prévention… Tous ces individus peuvent être accusés de faire de l’influence commerciale.

IN : d’autres éléments vous dérangent dans cette loi ?

S. C. : une analyse précise du texte soulève bien des problèmes. La notion de « titre onéreux» comprend ainsi les rémunérations financières mais également tous les avantages en nature sans seuil de valeur. « Visant à faire la promotion, directement ou indirectement» inclut tous les contenus jugés comme positifs. « Toute personne physique ou morale » ne précise aucun seuil d’audience comme un nombre minimum de followers. Cela implique donc tous les internautes. C’est ainsi que se retrouvent soumis à la loi, le journaliste, le critique, l’élu, le consommateur ou le citoyen, dès lors qu’ils publient un avis positif sur un média en ligne ou sur les réseaux sociaux à la suite d’un événement, d’une expérience ou d’un prêt organisé sans exigence de contrepartie.

IN : vous vous doutez bien que ces personnes ne seront jamais poursuivies en justice…

S. C. : nous nous doutons bien que la presse notamment n’est pas visée par cette loi mais le problème est que le texte permet d’éventuelles poursuites qui ont d’ailleurs été alourdies par les sénateurs puisque tout contrevenant s’expose à une sanction pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende.

ce texte risque, ni plus ni moins, de tuer le « earned », cette visibilité qu’une marque obtient via une source externe sans qu’elle en fasse la demande.

IN : comment expliquez-vous le « serrage de vis » des sénateurs ?

S. C. : les sénateurs ont durci le texte car ils se sont concentrés sur le 1% d’influenceurs issus de la téléréalité qui ne respecte aucune loi existante. Mais cette loi prouve surtout à quel point les parlementaires connaissent mal nos métiers. C’est là le nœud du problème.

IN : quelles peuvent être les conséquences de cette loi pour les agences de relations publiques ?

S. C. : ce texte risque, ni plus ni moins, de tuer le « earned », cette visibilité qu’une marque obtient via une source externe sans qu’elle en fasse la demande. Toutes les relations non commerciales qu’une entreprise peut avoir avec un influenceur ne sont pas inclues dans la loi. C’est dommage.

IN : que pouvez-vous faire aujourd’hui pour tenter de modifier ce texte avant son adoption définitive ?

S. C. : nous allons interpeller Bercy, les députés et les sénateurs afin qu’ils renforcent la notion d’engagement réciproque. Il est important de préciser que les relations entre les marques et les influenceurs ne sont pas forcément commerciales.

IN : partez-vous seul dans ce combat ?

S. C. : non. L’UDECAM nous suit dans cette bataille et nous avons alerté l’ARPP sur le fait que les relations non commerciales n’avaient pas été mises en avant dans le projet de loi.

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