27 mars 2015

Temps de lecture : 5 min

« Il n’y a rien de plus puissant qu’un empereur romain »

Que ce soit en surf, au tennis ou en photo, Olivier Roller est autodidacte. Pour ce dernier point, c’est presque par accident qu’il en a fait la connaissance. L’histoire d’un adolescent presque comme tous les autres, qui s’essaye à la photo dans l’espoir de finir avec la plus belle fille du lycée.

Que ce soit en surf, au tennis ou en photo, Olivier Roller est autodidacte. Pour ce dernier point, c’est presque par accident qu’il en a fait la connaissance. L’histoire d’un adolescent presque comme tous les autres, qui s’essaye à la photo dans l’espoir de finir avec la plus belle fille du lycée.

C’est l’histoire d’un étudiant qui annonce pleinement son ambition en allant étudier les sciences politiques et qui s’acoquine avec les mouvements étudiants, s’affirmant très vite comme un leader prometteur, vivant ce qu’il appelle « une jeunesse d’apparatchik ». La politique, le pouvoir, il y reviendra vingt ans plus tard, lorsqu’il signera une série de portraits sans fard des figures de pouvoir.

La photo comme langage

Ce serait caricatural de dire qu’il est tombé dans la photo pour épater la gent féminine. En effet, l’apprenti photographe ressent très tôt le besoin de s’exprimer. « Dans ma famille, il n’y avait pas de langage. » C’est sous cette malédiction que s’est construite la vocation d’artiste d’Olivier Roller, tiraillé entre illégitimité et volonté de parler au monde. Le jeune profane avait besoin de l’image, « un langage de voyous », pour s’affirmer. Sa première photo, celle de son grand-père Albert, imprime déjà la patte Roller.

Le parcours d’Olivier Roller est la synthèse d’expériences dans des univers qui se croisent, se toisent et se méprisent : la photo, la presse, la politique et l’art. Il a cette particularité d’avoir évolué dans tous ces espaces et de donner l’impression d’avoir tout compris, d’y être sans vraiment y être. Au sortir de sa vie universitaire, qu’il a traversée avec l’arrogance des jeunes premiers, il choisit la vie de bohème que lui offrait la photo plutôt que de poursuivre son ascension politique. Bourreau de travail, il enchaîne les piges, dort dans le train et chérit désespérément le moment où la photo lui permettra de gagner réellement sa vie. En photographiant l’actualité, les « vraies gens », il se sent légitime, utile ; son travail est reconnu.

Dans sa profonde jeunesse, il est un mordu de presse écrite. Il est abonné au rendez-vous du mercredi, se noircissant les doigts avec Le Canard Enchaîné. Son intérêt pour la presse est évident, son envie d’aller au contact des gens aussi, alors, quand on lui propose une pige pour un reportage photo avec Florence Aubenas, il n’hésite pas. Ce sera un fiasco photographique. Dès lors, Olivier Roller est bien déterminé à ne plus laisser cet épisode se reproduire. Il se remet au travail de manière frénétique et finit par couvrir un tiers de la France, en partant de sa ville natale, Strasbourg. « J’étais enfin le roi du pétrole », renchérit-il.

Bas les masques

Au tournant de l’an 2000, il a cette sale impression qu’il a fait le tour. Il veut que sa photo devienne un objet de « décontextualisation », sortir « du langage des voyous ». Le déclic aura lieu grâce à un cliché de Jeanne Moreau. Cette photo devient son manifeste. Il sourit lorsqu’on lui fait remarquer que cette dernière répond à la photo de son grand-père, quelques années plus tôt. Cette période amorce aussi le basculement d’un métier à un art, et, à l’entendre encore aujourd’hui, il ne s’y fait toujours pas.

L’élection de Sarkozy en 2007 arrive alors comme une bénédiction pour le photographe qui se cherche. Le Monde lui propose de tirer le portrait de toutes les nouvelles têtes de gondole du sarkozysme. Il ne se fait pas prier. Chaque jour, ses portraits font la une du journal du soir, exposant le vrai visage de certains ministres. Il malmène et pousse dans leurs retranchements des personnages habitués aux courtisaneries. Son passé militant lui permet d’inverser le rapport de force et de traiter les politiques comme n’importe qui. C’est qu’en voulant « remettre le corps avant l’esprit », Olivier Roller s’amuse à rendre ses séances photo dérangeantes et inconfortables. Une de ses signatures ? Le selfie, tête collé contre son invité.

Géologue ou esclave

Depuis, Olivier Roller s’est spécialisé dans le portrait des figures de pouvoir. Il affiche un tableau de chasse impressionnant, allant de BHL à François Hollande. Le photographe considère le portrait comme une relation de pouvoir. Défini ainsi, tout participe à faire d’une séance « un moment révélateur de failles ». C’est exclusivement dans son petit atelier qu’il reçoit ses modèles. Olivier Roller ne se contente pas de tirer le portrait aux puissants, il porte un regard décomplexé sur le pouvoir et ses attributs. « Avoir le pouvoir, c’est même plutôt la loose ; c’est admettre toute perte de contrôle », avoue-t-il, loin de les envier.

Ce travail est le fruit d’une expérience inédite débutée en 2008, lorsqu’invité par le Louvre à photographier des bustes datant de l’Empire romain, il tombe amoureux de l’esthétique et de l’histoire de la pierre. Ce moment est une deuxième révélation. L’influence de cet épisode est palpable dans chaque photo de sa série « Figures du pouvoir ». « Il n’y a rien de plus puissant qu’un empereur romain », s’enthousiasme-t-il. Face à ces figures fières, il s’identifie aux sculpteurs de ces bustes qui n’étaient rien d’autre que des esclaves. On perçoit là toute la schizophrénie du photographe/artiste, tiraillé entre soumission et résistance face à ses modèles.

La difficulté à se définir comme artiste

Cette duplicité, Olivier Roller l’entretient aussi avec son art, sa photo, son métier. « Avant, je n’osais pas dire que j’étais photographe. Pour beaucoup, c’est un truc de branleurs, alors me considérer comme artiste serait pire », confie-t-il. À contre-courant, c’est ainsi qu’il envisage son parcours. C’est pourquoi il envisage sérieusement de se mettre à écrire, toujours dans cette volonté de décrypter et d’éduquer. Cette démarche n’est pourtant pas si innocente que cela. Dans une société dominée par l’image, cette dernière a perdu peu à peu de son sens. C’est dans cette résistance à ce qu’il appelle « le flux » qu’Olivier Roller espère développer son travail.

Ce constat pourrait laisser croire à une vision pessimiste de la contemporanéité et du futur. Il n’en est rien. Le photographe s’enthousiasme même lorsqu’il évoque les différentes ruptures qu’a connues son métier ces dernières années. « C’était assez effrayant au départ, mais le numérique m’a permis de faire un bond en avant », avoue-t-il. L’apprenti artiste se voit comme un pont entre un avant et un après, ayant trouvé le bon équilibre. « J’ai envie qu’on retrouve un peu partout dans mon travail une part d’héritage et d’évolution », professe-t-il. À en juger par l’étincelle dans ses yeux, il semblerait bien qu’un autre déclic se soit fait chez Olivier Roller. Lui qui a toujours eu du mal avec les labels et les appellations semble enfin en paix et prêt à endosser son costume d’artiste essayiste dans cette nouvelle culture éclatée de l’horizontalité. A découvrir dans l’ouvrage qu’il vient de publier « Visage, mis à nu… regards sur 20 ans de portraits » (Editions Chic Médias)

Albert Roller

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