10 janvier 2017

Temps de lecture : 5 min

Révolution numérique : ce n’est pas une raison pour perdre la tête

Une grosse transformation ne vaut pas une lente et belle évolution. On joue sur les mots ? Non, car il ne faut pas oublier le vrai capital de l'entreprise : ses hommes et leurs savoir-faire.

Une grosse transformation ne vaut pas une lente et belle évolution. On joue sur les mots ? Non, car il ne faut pas oublier le vrai capital de l’entreprise : ses hommes et leurs savoir-faire.

Le monde de l’entreprise est préoccupé. D’un côté, le mythe du client fidèle a vécu, nous vivons à l’ère d’un zapping débridé par une consommation en berne. De l’autre, dans une économie de désintermédiation toujours plus à la mode, trois gars dans un garage peuvent devenir en six semaines votre pire concurrent grâce à un site Web en bêta et un vague modèle d’affaires… Rien de neuf sous le soleil ! Sauf qu’à l’heure de la com’ « haute fréquence » (façon trading), on ne voit pas le coup venir. Plongé dans le temps réel, le décideur n’a plus qu’une seule arme pour la conduite stratégique de son entreprise : sa capacité créative et permanente d’adaptation. Alors, il doute de tout, de son fonds de commerce, de ses hommes… est poussé par des consultants chantres de la révolution digitale contre « l’uberisation », pressé par des actionnaires inquiets. Et il lit partout que la réponse pour survivre, c’est de « transformer ».

Cet Optimus Prime (*) qui sommeille en nous

Tel Optimus Prime (commandant suprême des Autobots, les héros) voulant flanquer une raclée aux Decepticons (les méchants), notre CEO passe du camion au super robot, convoque ses Autobots et analyse. À sa gauche : les start-up en embuscade, le couteau entre les dents, sans retenue (sans outil de production non plus). À sa droite : les marchés financiers qui le délaissent, n’ayant d’yeux que pour ces « chics types » qui promettent des « valo » ébouriffantes, rarement industrielles. Devant lui : des utilisateurs, plus que des consommateurs, qu’il peine à comprendre. Derrière lui : des talents dont il aurait besoin, mais qui préfèrent les valeurs techno vu les salaires offerts. Et puis enfin : ah ! ses concurrents, qui ont bonne presse avec leurs effets d’annonce… Optimus s’énerve ! Ils vont la voir, la taille de ma… transformation ! (Ajoutez ici quelques dizaines de millions d’euros selon la taille de la boîte, un rachat de « starteupe » et un CDO sans budget).

Transformation ou… évolution ?

La transformation est sur toutes les lèvres. Il en va ainsi des conversations en ville, où pour faire bonne mesure, on décoche des mots savants avec un air entendu. Mais les mots ont leur importance. Le sens littéral du mot « transformation », c’est changer la nature d’un corps par adjonction d’éléments externes qui modifient le code génétique de l’hôte. Un peu chimique, soit ! Mais c’est cette conception-là qui occupe beaucoup les esprits. Imaginons que Pampers – devant les couches connectées de smartcouches.com – arrivait à la conclusion que pour sa survie, il fallait lancer une gamme en carton avec une start-up innovante en recyclage écologique. (Pampers, si tu aimes l’idée, contacte INfluencia qui fera suivre.)

Tentons une lecture différente : neuf fois sur dix, la transformation c’est une question d’évolution plus que de pivot. Requalifier le vocabulaire, c’est déjà le début d’une réponse. On pourrait dire d’ailleurs qu’évoluer, comme processus continu, évite de transformer. Mais voilà, nous aimons les choses qui font du bruit. La révolution plus que l’évolution. Convenons aussi que l’évolution, c’est un peu moins glam’. Si l’on parle tant de transformation actuellement, c’est qu’elle conforte trois idées reçues : la vitesse comme signe de bonne santé, le digital comme solution à tous les maux, l’open innovation comme vecteur rapide de changement. Certes. Sauf que faire un hackathon ou un sprint n’a jamais sauvé une boîte. Hélas pour les cabinets de conseil et autres acteurs de la tech’, la transformation n’est pas un problème de digitalisation, mais d’acculturation. Elle est humaine, philosophique et lente ! Pire, en se lançant tête baissée dans le tout-digital, Optimus Prime oublie quatre choses : 1/ le sens réel du client et de l’utilité, 2/ son propre outil de production, 3/ les hommes qui vont avec, 4/ que courir un 100-mètres c’est bien, mais qu’il faut le faire sur 40 kilomètres.

Un problème philosophique

Différencier transformation et évolution, un verbiage ? Peut-être, mais on peut y voir une philosophie. Si la « transformation » met l’effort sur les solutions externes pour changer l’interne (par greffe), « l’évolution » part de l’interne d’abord, avec parfois le concours de l’externe. La première est anxiogène, parfois violente (et inévitable !), la seconde est anticipative, participative et centrée sur le vrai capital propre de l’entreprise : ses hommes et leurs savoir-faire. Beaucoup d’annonceurs organisent des digital days. (C’est la totale…) En fait, on déchante vite. On regarde les champions du genre, on se gargarise avec des big pictures, mais au bout de trois heures, on n’entend toujours pas parler du client, du client du client, de good-will… de culture, de formation.

Soyons sérieux : combien de fois voit-on passer des POCs (Proof Of Concept) qui n’aboutissent à rien, des projets avec des start-up, lesquelles s’épuisent à chercher dans les groupes des relais de croissance… Ou encore des recrutements externes qui finissent comme des rustines sur un pneu crevé alors que c’est la pédale qu’il faut changer ! D’accord pour parler de lean, et surtout de product/market fit, de consistance de l’offre, mais… davantage de cohésion d’entreprise. D’accord pour faire des partenariats avec des start-up, si l’on comprend que ce n’est pas le transfert croisé de technologies qui compte, mais le fait qu’elles aient vu quelque chose que vous avez raté, vous. Oui à la transformation bien sûr ! Mais autant que possible portée par une culture continue de l’évolution, de la conquête, de la remise en cause. En somme, donc, plutôt avec un mental d’entrepreneur que de transformer.

Bon, alors, on fait comment ?

La littérature est nombreuse sur la transformation (digitale). Mais celle qu’il faut réussir est plus profonde, au-delà des outils, technologies et recherches de traction. Permettons-nous quelques suggestions. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Vous voulez transformer quelque chose ? Commencez par vos habitudes. On ne peut pas faire confiance au CEO qui chaque matin ne fait pas sa propre veille, ne cherche pas à infuser une culture nouvelle en interne. Innover, c’est d’abord une question de référentiel commun entre des équipes qui ont des focus très différents. C’est une question de leadership et de conscience commune, depuis la logistique jusqu’au marketing en passant par le service client. Presque une culture positive du danger qui nous soude tous.

Toujours repartir du client. C’est lui la seule vraie variable d’ajustement. Quels moyens réels d’écoute de ce consommateur déployez-vous ? Quelle analyse du contexte pour comprendre les micro-moments où l’on peut être vraiment pertinent ? Certains lancent des social rooms, d’autres créent des équipes qui bossent sans relâche les parcours clients. Et vous ? Cerveau gauche et cerveau droit. Créer une direction de l’innovation est parfois un mal nécessaire. Mais ce faisant, vous creusez un fossé entre ceux qui produisent et ceux qui imaginent. Il faut miser davantage sur cette génération nouvelle de Chief Customer Officers (chefs de l’expérience client), qui cherchent à réconcilier logique de performance et logique d’invention ; dans un tout individuellement et collectivement responsabilisé sur les deux fronts.

Small is beautiful. Croit-on vraiment qu’une organisation classique va générer des espaces de créativité ? Non. Il faut des microstructures autonomes qui ont carte blanche. Les entreprises qui avancent sont celles qui réduisent le rapport classique de la hiérarchie, qui font confiance à leurs salariés… et qui ont compris que l’innovation a besoin d’incarnation. Car il faut des lieux de travail, d’immersion, de découverte, de liberté.

Place à la jeunesse (d’esprit). « Embrace failure » est le slogan d’une célèbre agence anglaise il y a dix ans. La morale ? L’échec prépare le succès. En France, l’échec est honteux. Célébrez vos couacs, faites-en une méthode, un apprentissage collectif ! Le digital est-il finalement au centre du propos qui nous préoccupe ? Pas tellement. Car l’enjeu est ailleurs, vraiment.

(*) Vous avez 30 ans, vous aurez reconnu la série d’animation Les Transformers ou le film de science-fiction éponyme réalisé par Michael Bay. Sinon, pour prendre vos repères, consultez YouTube…

Article extrait de la revue INfluencia sur la transformation

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