12 janvier 2020

Temps de lecture : 6 min

Réalité virtuelle : la mise en scène d’une esthétique du relief

À mesure que la technologie en réalité virtuelle s’affirme dans le paysage audiovisuel français, les réalisateurs/développeurs qui souhaitent s’en saisir ne cessent de se poser une question simple : comment rendre compte du relief sans trahir son propos narratif ?

À mesure que la technologie en réalité virtuelle s’affirme dans le paysage audiovisuel français, les réalisateurs/développeurs qui souhaitent s’en saisir ne cessent de se poser une question simple : comment rendre compte du relief sans trahir son propos narratif ?

Comment mettre en scène la réalité virtuelle ? Une question qui pouvait prêter à sourire il y a une dizaine d’année tant la technologie VR en était à ses premiers balbutiements. Mais une problématique artistique qui prend de plus en plus de poids à mesure que les casques VR font leur trou dans les habitudes de divertissement des consommateurs. Sony annonçait le 26 mars dernier avoir atteint la barre des 4,2 millions d’unités vendues pour son Playstation VR, le fabriquant japonais étant le seul à communiquer sur ses chiffres de ventes. Un indicateur positif, certes, mais qu’il est présomptueux de surévaluer quand on le compare aux 91,6 millions d’unités vendues de la Playstation 4 au 31 décembre 2018. Si la vente du PlayStation VR représente moins de 5% de cette base et reste donc un produit de niche, son succès est tout de même indéniable lorsqu’on prend en compte son coût -aussi élevé que celui de la console- et sa sortie tardive. La décennie qui s’annonce sera-t-elle celle de la réalité virtuelle ?

Un petit rappel s’impose. La réalité virtuelle renvoie usuellement à deux procédés distincts : la captation en 360° et la modélisation en 3 dimensions. Pour le premier, il s’agit de capter des images réelles et de les assembler afin de donner au spectateur une vision « panoptique » de la scène. Le second consiste à recréer à l’aide d’outils numériques des univers fictifs et interactifs. Si la captation en 360° est récente, mais tend à se démocratiser grâce à l’intérêt grandissant en la matière de Facebook, YouTube et Vimeo, la modélisation 3D renvoie à la représentation de la perspective telle qu’on l’a connait depuis les premières ébauches picturales. Pour expérimenter ces deux cas de figure, l’utilisateur devra s’immerger dans l’univers en trois dimensions qui lui est proposé par le biais d’un casque de réalité virtuelle. Alors que la première méthode mentionnée se révèle immersive par son réalisme, la seconde s’appuie sur l’interactivité générée par l’utilisation de la 3D temps réel pour procurer une sensation d’immersion à l’utilisateur. Cette analyse portait initialement sur l’influence de la réalité virtuelle sur l’art cinématographique. Mais il fallait également saisir d’autres formes artistiques ayant eu recours à la VR, en l’occurence le jeu vidéo et le documentaire, pour comprendre cette esthétique du relief dans sa globalité.

Un cadre qui nous échappe

Le cinéma est avant toute chose une forme artistique. Un mode d’expression à part entière incarné par un langage visuel dont la notion de cadre, qui dirige le regard du spectateur, est essentiel. L’image dégage du sens -la place qu’occupe un personnage dans le cadre, ce qui est placé ou non dans le hors champ, le rythme du montage-, et influe émotionnellement sur des spectateurs qui sont passifs dans leur expérience de visionnage. La « proposition de cinéma » de l’auteur façonnera leur ressenti, les spectateurs ne pouvant saisir que leur imagination pour retrouver un rôle actif, non pas au sein de l’oeuvre, donc, mais plutôt dans son extension.

En partant de ce postulat, la différence majeure entre la représentation 2D et la réalité virtuelle saute aux yeux : chez la VR, la notion de cadre visuel est largement remise en cause. Comme le spectateur a la liberté de regarder où bon lui semble, il crée son propre cadre et joue un rôle actif dans la construction du sens même de l’oeuvre. Cette co-dépendance entre le regard du metteur en scène et celui du spectateur engendre une sorte de cadre évolutif, sans véritable format ni hors champ. Un constat qui a par exemple poussé le réalisateur français Alexandre Perez à réécrire sa grammaire cinématographique. Dans son film Sergent James, il a choisi de placer le spectateur dans la peau de la figure du « monstre sous le lit », assimilant cette notion de cadre visuel au lit du personnage. Par cet exemple, nous comprenons que le cadre ne disparait pas dès que l’on recourt à la réalité virtuelle. C’est la manière de la rendre tangible qui variera, du placement de la caméra au placement du personnage/spectateur au sein de l’action.

La passivité d’un visionnage d’un film en 2D laisse la place à une expérience narrative guidée où les spectateurs devront faire la démarche de découvrir eux-même ce qui est raconté. Résultat : La frontière entre le cinéma et le jeu vidéo n’a jamais été aussi floue. Dans le jeu vidéo Sens, tiré du roman graphique de Marc-Antoine Mathieu du même nom, le joueur doit retrouver son chemin dans une pyramide en suivant des flèches aux mille formes, évidentes ou cachées sous des illusions graphiques. Par un jeu constant des perpectives, leur proximité avec le personnage, la position des lignes de fuites etc., les flèches connoteront différents sens au cours du récit, d’une forme humaine à celle d’une pierre tombale en passant par un véritable moyen de transport, et paraissent en définitifve plus humaines et vivantes que l’avatar du joueur. Une oeuvre qui symbolise parfaitement cette notion d’expérience guidée, propre aux jeux vidéo comme aux métrages en VR, en capitalisant sur la connotation universelle selon laquelle la flèche montre le chemin ou aller.

Comme les réalisateurs n’ont plus de contrôle sur leur cadre, ils vont en conséquence se concentrer sur trois éléments distinctifs : où placer le spectateur pour orienter son point de vue, choisir comment les actions vont se déployer dans l’espace autour de lui, et enfin choisir de quelle manière on va passer d’un environnement à l’autre au gré de l’histoire. La manipulation par l’image existe toujours, mais bien plus discrète, et rencontre des défis différents. Dans les faits, il est très rare de rencontrer une oeuvre en VR ayant recours à des plans d’une durée de moins de 8 secondes. Il faut donner le temps au spectateur de se plonger dans un nouvel environnement afin d’aider son oeil à suivre le récit au milieu de la surcharge d’information. La moindre erreur de mise en scène ou de montage peut ruiner l’expérience dans sa totalité. Pour éviter de perdre leurs spectateurs, les réalisateurs privilégient donc généralement deux choix de mise en scène : les plans fixes enchainés souvent avec un fondu au noir pour ne pas surcharger le champ visuel, et les travelling lents et fluides comme ceux de Sens. Un constat qui a poussé Targo, une structure médiatique regroupant journalistes, créatifs et designers, à privilégier cet usage des plans fixes pour leurs documentaires en réalité virtuelle pour aider les spectateurs à se concentrer uniquement sur l’action qui leur est racontée.

Mais le spectateur doit-il forcement incarner un personnage du récit puisqu’il sera forcement positionné au coeur de l’action ? Jusqu’où sa liberté peut s’étendre sans empiéter sur le bon déroulé du récit et la mis en scène. Dans le jeu vidéo Sens, justement, les développeurs replacent à différents moments de son aventure le spectateur à la troisième personne. Un choix de mise en scène anodin de prime abord mais qui joue sur le point de vue du spectateur, lui permettant, au choix, d’agir -en vue subjective- et d’observer les conséquences de ses actes -à la 3ème personne. Le joueur deviendra acteur et témoin du récit qu’on lui raconte, démentant le postulat initial du joueur/acteur physique.

Une famille recomposée

In fine, les oeuvres en réalité virtuelle semblent puiser autant dans le cinéma que dans le jeu vidéo ou le documentaire et le théâtre. Ce qui en fait un langage cousin du cinéma, mais loin d’être le même. Anne-Sophie Bellaiche, journaliste de l’Usine Nouvelle déclarait en septembre 2017 que « L’expérience VR n’a rien à voir avec le cinéma tel qu’on le connaît. La rumeur dit que les spectateurs de 1896 se sont effrayés face à « L’entrée d’un train en gare de La Ciotat » de Louis Lumière, je peux vous dire qu’ils n’ont jamais été enfermés dans une chambre d’hôtel miteuse avec un tueur sanguinaire. Car non seulement le sang de ses victimes se projette à grands jets sur vous mais à la faveur d’une ampoule capricieuse, l’assassin surgit dans votre dos ». Il ne reste plus qu’à dénicher le Stanley Kubrick de la réalité virtuelle et les casques auront de beaux jours devant eux. Même sans Jack Nicholson.

 

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