20 février 2018

Temps de lecture : 4 min

La réalité virtuelle, la machine à empathie de l’humanitaire

Depuis 2015, le réalisateur Gabo Arora prouve que la réalité virtuelle constitue un formidable levier de collecte de fonds pour l'ONU et les ONG. Il parle de " machine à empathie ". Mais comme pour la pub, c'est d'abord le contenu qui fait la différence. En attendant la démocratisation technologique du support matériel.

Depuis 2015, le réalisateur Gabo Arora prouve que la réalité virtuelle constitue un formidable levier de collecte de fonds pour l’ONU et les ONG. Il parle de  » machine à empathie « . Mais comme pour la pub, c’est d’abord le contenu qui fait la différence. En attendant la démocratisation technologique du support matériel.

Sidra a 12 ans. Elle est syrienne, comme ses frères et soeurs. Et son quotidien est un camp en Jordanie où s’entassent 84 000 réfugiés sur 2 000 m². Dans ce cloaque humanitaire, les jours nuageux la rassurent car ils lui donnent l’impression  » d’être sous une couverture « . Pendant 8 minutes, c’est sa vie de tous les jours que raconte, sans intermédiaire, Gabo Arora dans un documentaire en réalité virtuelle commandée par l’ONU, en 2015. Immerger dans une situation réelle pour véritablement la comprendre et ressentir ce que ceux qui la vivent ressentent : voilà la mission de  » Clouds Over Sidra « . Le succès a justifié le pari des Nations-Unies et conforté le pouvoir narratif, émotionnel et engageant du storytelling en réalité virtuelle.  » Le mot clef du dictionnaire de la RV est  » présence  » : le pouvoir d’être là. Cette présence est sociale, mentale, émotionnelle, physique et active « , nous expliquait Gabo Arora pendant le Games for Change Europe organisé à The Camp. Machine à empathie, la réalité virtuelle ?

Ancien conseiller auprès du Secrétaire Général à New York devenu directeur artistique de l’ONU, Gabo Arora aime les preuves par l’exemple. Grâce à la projection de  » Clouds Over Sidra  » dans une conférence de collecte de fonds au Koweït, l’ONU a dépassé de 70% son objectif. En faisant visionner le documentaire dans la rue au passant interpellé, l’UNICEF a doublé le nombre de donneurs pour un montant moyen plus élevé.  » L’UNICEF a d’abord testé ce levier en Nouvelle-Zélande puis dans six autres pays et les chiffres ont été les mêmes. C’est la preuve que la RV fonctionne pour la charité et que l’empathie peut être une machine à dons « , assure Gabo Arora. Avec sa propre boîte de production, LightShed, il poursuit, depuis, son travail au sein de l’ONU avec son projet  » United Nations Virtual Reality « , créé dans le cadre des Objectifs de développement durable.

Si Chris Milk, fondateur de la plateforme Within et collaborateur de Gabo Arora sur  » Clouds Over Sidra « , parle de la RV comme d’une  » ultime machine à empathie « , l’expression originale d’  » empathy machine  » vient du critique de cinéma Roger Ebert.  » Lui parlait du pouvoir des films, or la RV va plus loin : elle hacke les sens et donne une capacité à immerger dans quelque chose qui a l’air d’être réel. Plusieurs études montrent que les gens associent la RV à un souvenir ou à un rêve, et cela crée une intimité vraiment unique avec le sujet « , développe Gabo Arora. Rencontré par INfluencia à The Camp, le réalisateur avait présenté quelques mois plus tôt son dernier documentaire,  » Ground Beneath Her « , au Paris Virtual Film Festival.

La maîtrise 3D doit être parfaite pour simuler la réalité

 » On n’est plus dans les années 90, il y a aujourd’hui une réelle appétence pour l’empathie et l’autre, surtout chez les jeunes. Mais le problème est que l’ennui est endémique dans la communication de l’ONU car elle vise surtout les donateurs, pas les bénéficiaires. La VR est emphatique et on l’a importée dans la communication de l’ONU. J’ai été très critiqué pour cela, on m’a dit que personne ne regarderait le film, que c’était pour les riches « , confie Gabo Arora. Depuis la jurisprudence  » Clouds Over Sidra « , les ONG ont repris le filon de la RV,  » mais elles font l’erreur de croire que les dons doublent grâce à la RV, alors que c’est avant tout grâce au storytelling « , estime-t-il. Cette problématique contenu versus support est également inhérente au marketing et à la publicité qui, avec la RV, confondent parfois vitesse et précipitation.

En septembre 2016, INfluencia analysait une étude publiée par le cabinet d’avocats, Perkins Coie et l’organisation Upload. Selon ses résultats, sans un contenu plus pertinent et qualitatif RV et RA n’engendreront pas, à moyen terme, le marché à plusieurs milliards d’euros qu’on leur promet depuis deux ans. Comment dans le processus d’écriture maximiser donc l’empathie naturelle de la RV ?  » Dans un premier temps par la fidélité aux références visuelles. La maîtrise 3D doit être parfaite pour simuler la réalité. Notre œil est trop habitué à la perfection des effets spéciaux et va très vite  » décrocher  » d’un jeu, d’une publicité ou d’un film si ils ne sont pas maîtrisés techniquement « , répond Vincent Chiarotto, coordinateur national ECV Animation et responsable ECV Animation Bordeaux.

 » Tout repose sur l’essence de l’expérience « 

 » Ensuite il faudra alléger le matériel VR et augmenter sa définition pour le rendre quasiment invisible. Enfin la narration doit servir l’outil de la VR en étant originale et bien construite. Des évolutions dont nous bénéficions aujourd’hui dans les secteurs du jeu, du cinéma ou de la publicité « , poursuit-il. Depuis le relief au cinéma, la réalité virtuelle constitue la technologie la plus innovante. Elle est radicalement différente en matière d’expérience et de narration. Mais la technologie souffre aujourd’hui d’un terrible paradoxe, celui d’être le support d’immersion le plus abouti et pourtant d’être encore très limité pour l’utilisateur ordinaire.

 » La faute à un équipement matériel lourd et par une technologie qui doit encore se perfectionner pour le grand public, qui s’est très bien accoutumé aux médias HD et Ultra HD. Lorsque cette technologie sera aussi qualitative que légère à l’utilisation -et aussi moins onéreuse, elle sera déclinée bien davantage par les annonceurs « , constate Vincent Chiarotto. Gabo Arora ne dit pas autre chose :  » Le problème, c’est le matériel. Même moi je ne veux pas le mettre, ce casque. Chez moi, je ne me dis pas,  » Tiens, et si je regardais un film en RV ? « . Mais tout repose sur l’essence de l’expérience, qui est indéniable, et dès que la question du matériel sera réglée, ça va être incroyable. Avec les avancées technologiques sur les supports, une nouvelle audience découvrira mes films et la RV. Mes contenus ont une deuxième et troisième vie, c’est que je dis tout le temps aux investisseurs « . A suivre…

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia