Rationalisation du gouvernement américain par Elon Musk : sauvetage ou ravage ?
Elon Musk va diriger The Department of Government Efficiency (DOGE), une organisation consultative qui fonctionnera “en dehors du gouvernement”, tout en collaborant avec la Maison-Blanche et l’administration pour mettre en œuvre son mandat : “démanteler la bureaucratie gouvernementale, supprimer les réglementations excessives, réduire les dépenses inutiles et restructurer les agences fédérales”. Analyse sur les équations à résoudre.
Le médecin fédéral Elon Musk va-t-il surtout amputer ou soigner ? Image réalisée avec Midjourney – (CC) Superception
Donald Trump a nommé Elon Musk à la tête d’une mission visant à “dégraisser la mammouth” que représente le gouvernement fédéral américain.
The Department of Government Efficiency (DOGE) qu’il va diriger avec un autre entrepreneur milliardaire, Vivek Ramaswamy, ne fera pas partie du Cabinet Trump : il sera une organisation consultative qui fonctionnera “en dehors du gouvernement”, tout en collaborant avec la Maison-Blanche et l’administration pour mettre en oeuvre son mandat. Celui-ci est très ambitieux : “démanteler la bureaucratie gouvernementale, supprimer les réglementations excessives, réduire les dépenses inutiles et restructurer les agences fédérales”.
La théorie de Donald Trump et Elon Musk établit que seul un choc majeur au système fédéral permettra de le rationaliser, toutes les tentatives plus mesurées dans ce sens ayant échoué. Si les protagonistes de la gouvernance fédérale admettent en off que le système est largement inefficace, le corriger s’est révélé une tâche insurmontable pour les gouvernants des deux partis.
Elon Musk a promis de réduire le budget fédéral d’un tiers, soit 2 trillions (ou 2 000 milliards) de dollars d’économies. A l’instar de la plupart des objectifs annoncés par le génialissime entrepreneur, on peut penser que celui-ci est exagéré (il reconnaît d’ailleurs lui-même qu’il est souvent trop optimiste). Mais il se pourrait que, comme dans ses autres activités, il parvienne à réaliser une révolution sans précédent tout en échouant à atteindre son but affiché.
Les programmes de protection sociale (e.g. prestations alimentaires, assurance chômage, aide au logement) consomment 10% du budget fédéral.
La sécurité sociale (aide notamment aux retraités et personnes handicapées) représente 20%-25% des dépenses fédérales.
Les soins de santé (Medicare pour les personnes âgées et Medicaid pour les personnes à faible revenu) constituent 25% du budget fédéral.
La défense absorbe 13%-15% du budget fédéral.
Les intérêts de la dette nationale engloutissent 8%-10% des dépenses fédérales.
Donald Trump a promis de maintenir les différents programmes sociaux et militaires associés aux quatre premier postes budgétaires de cette liste.
L’équation semble donc impossible, à la hauteur des défis qu’Elon Musk a relevés dans ses entreprises privées.
Considérons l’industrie spatiale qu’il a métamorphosée avec SpaceX en partant d’une feuille blanche et de ses seuls fonds propres résultant de la vente de sa deuxième entreprise (déjà dénommée X) : le développement et la fabrication de la fusée Falcon 9 revient à 550 millions de dollars, alors que la NASA a estimé que le même système lui aurait coûté 4 milliards de dollars. Grâce à SpaceX, le transport d’un kilogramme de fret en orbite vaut 2 600 dollars, contre 65 000 dollars avec la navette spatiale de la NASA. Quant à Tesla, elle est encore le seul constructeur de véhicules électriques occidental réellement profitable. Ces révolutions n’ont malheureusement pas été mises en oeuvre avec les égards dus aux collaborateurs des deux entreprises, notamment en matière de santé et sécurité au travail.
De même, au-delà de ses dérives éthiques aussi nombreuses qu’incessantes, il a montré que le réseau de microblogging X pouvait fonctionner presque aussi bien avec 1 500 collaborateurs qu’avec 8 000 et avec des moyens matériels amputés de 500 millions de dollars. Son approche a d’ailleurs été notée par beaucoup de patrons américains qui ont commencé à questionner la pertinence de leur base de coûts.
Pour autant, Elon Musk excelle dans les problèmes d’ingénierie et beaucoup moins dans les enjeux sociétaux, ce que ses turpitudes à la tête de X ont amplement démontré. Il va donc faire face à un défi dont l’ampleur politico-économique et la nature sociale sont inédites pour lui. Son génie unique pourrait lui permettre de réaliser un sauvetage du système fédéral américain, tout autant que ses excès pourraient donner lieu à un ravage de celui-ci, avec des conséquences humaines terribles. L’enfer, dans ce cas, serait une nouvelle fois pavé de bonnes intentions.
En effet, chez nous comme aux Etats-Unis, les dirigeants politiques ont trois modes par défaut : croire que leurs paroles sont performatives, considérer que le vote d’une loi règle un problème (même, voire surtout, lorsque les actes législatifs précédents n’ont pas été appliqués), et envisager toute difficulté sous le seul angle budgétaire pour à la fois démontrer leur priorisation du sujet et prétendre le solutionner. Cette triple pratique révèle une ignorance du management, ce qui est logique après tout, nos gouvernants ayant assez rarement managé davantage que leur cabinet avant d’assumer des responsabilités nationales. Leur incapacité à produire des résultats est le meilleur terreau du populisme, auquel elle donne le droit de faire n’importe quoi, toute forme d’action étant devenue meilleure, aux yeux des citoyens, que l’impuissance publique.
Dans ce contexte, Elon Musk pourrait apporter à l’Etat fédéral américain une science du management incomparable. Mais il faudrait pour ce faire qu’il dompte ses démons. L’inspiration mi-mèmemi-crypto du DOGE promet donc de ne pas être sa seule incongruité.
Les Newsletters du groupe INfluencia : La quotidienne influencia — minted — the good. Recevez une dose d'innovations Pub, Media, Marketing, AdTech... et de GOOD