8 octobre 2023

Temps de lecture : 4 min

« Les marques modernisent les discours sur la France et ringardisent les messages des politiques », Raphaël Llorca (Fondation Jean Jaurès)

Communicant, essayiste et co-directeur de l’Observatoire « Marques, imaginaires de consommation et Politique » à la Fondation Jean Jaurès, Raphaël Llorca a récemment publié aux Editions de l’Aube un ouvrage intitulé « Le roman national des marques ».

Le patriotisme est devenu mainstream alors qu’il était tabou dans le passé, les marques ont un boulevard devant elles.

INfluencia : quand les marques ont-elles commencé à s’emparer du récit national pour faire leur promotion ?

Raphaël Llorca : j’aurais tendance à dire que les marques racontent la France depuis toujours. Citroën avait privatisé en 1925 la Tour Eiffel en faisant apparaître son nom en lettres géantes grâce à l’emploi de 250.000 ampoules. Longtemps toutefois, la France a servi de décor aux annonceurs alors qu’aujourd’hui, elle est devenue le sujet principal de leurs discours. C’est un phénomène récent pas encore écrasant mais suffisamment important pour me persuader d’écrire un livre à ce sujet. Ce mouvement est déjà bien présent aux Etats-Unis et il commence à se développer dans notre pays.

IN : quelles marques ont commencé à privatiser le récit national pour faire leur promotion ?

R. L. : je m’attendais à tomber sur des marques du secteur public comme Air France ou la SNCF mais en réalité, la première grande campagne qui a promu les valeurs françaises a été lancée par… McDonald’s en réaction au démontage de son restaurant à Millau par Jose Bové en 1999. Cet événement a été pris très au sérieux par les dirigeants au siège du groupe. Ils ont eu le sentiment que la greffe américaine était en train d’être rejetée par les Français. Ils ont alors eu une réaction défensive qui consistait à proposer une stratégie d’intégration à la société française. Tout a commencé avec leur génialissime publicité « Né aux Etats-Unis, made in France » dans laquelle un américain caricatural se moquait des caractéristiques des burgers français.

Cette campagne est devenue le cœur de la stratégie du groupe qui a ensuite lancé le McCafé, le McBaguette et le service à table. Toyota lui a emboité le pas suite à l’ouverture en 1997 de son usine à Valenciennes. Le constructeur japonais s’est montré plus patriote que les Français eux-mêmes en clamant son attachement à la France. Un de ses spots imitait même la Marseillaise avec des bruits enregistrés sur ses chaînes de montage.

IN : quand les marques françaises ont-elles commencé à suivre les traces de ces annonceurs étrangers ?

R. L. : on commence à voir de plus en plus de marques françaises s’emparer du récit national dans leurs publicités. La dernière campagne de la Française des Jeux intitulée « Et voir la France gagner » joue sur ce tableau comme Renault qui vante la localisation de la production de ses véhicules électriques à Douai, Maubeuge et Ruitz afin de valoriser son appartenance à un territoire, et plus largement à une culture et à une histoire.

Une enquête de la Fondation Jean Jaurès effectuée par l’Ifop révèle que les deux-tiers des Français affirment qu’ils sont plus à même d’acheter une marque qui leur raconte un discours national.

IN : comment expliquez-vous ce virage ?

R. L. : trois principales raisons expliquent ce phénomène. IL faut, tout d’abord, bien reconnaître que ces publicités fonctionnent. Une enquête de la Fondation Jean Jaurès effectuée par l’Ifop révèle que les deux-tiers des Français affirment qu’ils sont plus à même d’acheter une marque qui leur raconte un discours national. Le patriotisme est aussi devenu un sujet de justification du capitalisme. Les entreprises sont souvent considérées comme des acteurs d’un système économique qui accroît les disparités et détruit l’environnement. Ces dix dernières années, elles ont axé leurs discours sur leurs engagements et leur raison d’être et aujourd’hui le discours patriotique est un moyen d’affirmer leur rôle positif dans la société. Cette privatisation du discours national répond enfin à un besoin inassouvi de France. Plus de la moitié (56%) des Français estiment qu’ « aujourd’hui, plus personne ne me fait vibrer en parlant de la France, et je le regrette » (ce taux atteint même 72% parmi les classes populaires). Quand on leur propose de choisir qui, parmi une liste de dix types d’acteurs (écrivains, artistes, politiques, marques, …), raconte le mieux la France aujourd’hui (ses idéaux, ses valeurs), leur première réponse est « personne » et les politiques arrivent en queue de peloton avec à peine 11% des sondés qui jugent qu’ils sont en capacité d’être les porte-voix du pays et de ses habitants.

une véritable politisation des marques qui parlent de la France sans acronyme, sans élément de langage, sans mot-valise mais avec des métaphores, des images et des sensations qui parlent au plus grand nombre

IN : pourquoi les marques parviennent-elles à mieux incarner le pays et ses valeurs ?

R. L. : on constate une véritable politisation des marques qui parlent de la France sans acronyme, sans élément de langage, sans mot-valise mais avec des métaphores, des images et des sensations qui parlent au plus grand nombre. Elles sont considérées comme plus efficaces et enthousiasmantes que les politiques pour raconter la France. Elles mettent en valeur ce qui nous rassemblent comme l’illustre la campagne de RTL « ce qui nous rapproche est plus fort que ce qui nous sépare » alors que les politiques ont plutôt tendance à pointer nos divergences avec leurs discours pessimistes et déclinistes autour du thème du « c’était mieux avant ». Les marques modernisent les discours sur la France et ringardisent les messages des politiques.

IN : pensez-vous que nous allons voir de plus en plus de marques s’emparer du récit national pour faire leur promotion ?

R. L. : j’en fais le pari. Les marques vont être de plus en plus nombreuses à parler de la France car les consommateurs le demandent et les politiques ont abandonné ce thème. Elles ont un boulevard devant elles. Le patriotisme est devenu mainstream alors qu’il était tabou dans le passé.

En savoir plus

 

À lire aussi sur le même thème

Les Newsletters du groupe INfluencia : La quotidienne influencia — minted — the good. Recevez une dose d'innovations Pub, Media, Marketing, AdTech... et de GOOD

Bonne idée ! Je m'inscris !

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia