20 octobre 2022

Temps de lecture : 6 min

Quel projet choisiraient des climatologues si on leur donnait 100 millions de dollars à investir ?

Plateforme éducative, technologique d’énergie solaire thermique, le média britannique Sifted a demandé à six climatologues renommés ce qu’ils feraient si on leur versait 100 millions de dollars à investir dans des projets pour lutter contre le réchauffement climatique. Nous vous relayons les fruits de leur réflexion.

Conduire la transition écologique et énergétique a bon port a un coût, celui d’une anticipation menée collectivement au service du bien commun. Dans un texte adopté il y a déjà 9 ans, le Conseil Economique Social et Environnemental expliquait que : « La transition écologique implique de se fixer des objectifs et de déployer des outils financiers afin de mobiliser des fonds publics et privés. Certains de ces outils existent déjà, d’autres méritent d’être affinés, d’autres enfin doivent être créés ». Ça c’est la théorie. Sur le terrain, nous pouvons légitimement nous demander si les moyens financiers et humains alloués sont réellement suffisants… ou tout simplement les bons. Spoiler : pas vraiment. L’étude très complète « Financement de la transition écologique et énergétique – Enjeux, recommandations et propositions des intercommunalités » publiée en septembre dernier venait souligner l’insuffisance des moyens mobilisés pour l’atteinte des objectifs de transition écologique et énergétique, en l’occurrence à l’échelle intercommunale. Elle montrait notamment que ces dispositifs de financement étaient souvent inadaptés et parfois établis de manière arbitraire sans aucune cohérence avec la réalité du terrain. Un décalage évident qui nous rappelle aux nombreuses critiques du monde scientifique qu’avaient soulevaient certaines mesures sanitaires du temps du covid, celles autour du masque hygiénique, notamment.

Tout cela pour dire que ce ne sont pas toujours les personnes les plus légitimes qui sont chargés de prendre ce genre de décision à haut intérêt général. Alors à qui s’adresser pour décider quelle technologie ou dispositif devons-nous financer pour combattre le changement climatique ? Les climatologues semblent être le choix le plus évident mais comme vous le savez surement, leurs préconisations ne sont que trop peu attendues par les décideurs politiques. Alors pour leur donner enfin une voix au chapitre, le média britannique Sifted, par la voix de sa journaliste Freya Pratty, a eu la très bonne idée leur a posé une question tout simple : si l’on vous donnait 100 millions de dollars à investir dans des solutions climatiques, que feriez-vous avec cet argent ? Des outils d’éducation climatique aux technologies d’énergie solaire thermique, nous vous relayons leurs réflexions.

 

 

Pollution et recyclage des piles

Joycelyn Longdon est doctorante à l’université de Cambridge et travaille sur l’application de l’intelligence artificielle au changement climatique. Interrogée par Freya Pratty, elle révèle qu’elle investirait ses 100 millions de dollars pour développer deux technologies primordiales. La première serait un dispositif qui éliminerait la pollution en libérant entièrement le réseau électrique de la combustion d’énergies fossiles. La seconde serait une solution permettant de recycler les batteries de voiture au lithium-ion, réduisant ainsi l’exploitation humaine associée à l’extraction de matériaux comme le cobalt et le lithium. Ces deux solutions permettraient de faire en sorte que la transition vers les énergies propres soit la moins dommageable possible : « Une transition vers l’énergie propre est nécessaire, mais tandis que le monde se concentre sur le progrès technologique des énergies renouvelables elles-mêmes, nous devons veiller avec autant d’enthousiasme à ce que ces nouvelles technologies soient elles aussi respectueuses de l’environnement ».

 

 

Éducation au climat

Pour David Reay, professeur de gestion du carbone à l’université d’Édimbourg et directeur de l’Institut du changement climatique d’Édimbourg, l’enjeu majeur est l’éducation climatique des plus, et moins, jeunes : « J’investirais dans la technologie pour la création d’une plateforme numérique d’éducation climatique ». Selon lui, ce dispositif permettrait d’enseigner aux personnes de plus de 16 ans les compétences et la formation nécessaires pour obtenir des emplois respectueux de l’environnement. Elle dispenserait un enseignement dans tous les pays les moins avancés, adapté au contexte local.

« La majeure partie des 100 millions de dollars serait consacrée au soutien de la création de contenus numériques aux niveaux national et infranational dans chaque pays, notamment pour en assurer une large accessibilité », précise-t-il. Le fonctionnement de la plate-forme centrale et de l’équipe technique coûterait 10 millions de dollars. « Les 90 millions de dollars restants seraient attribués à des équipes chargées du contenu numérique et de l’apprentissage représentant chacun des 46 PMA, soit 2 millions de dollars chacun, afin de créer et de fournir des compétences vertes et une éducation climatique spécifiquement adaptées aux besoins et aux contextes de l’action climatique dans leur pays ».

 

 

L’énergie solaire thermique concentrée

Johan Lilliestam est professeur de transitions énergétiques et de politique publique à l’Institut d’études avancées sur la durabilité de Potsdam, en Allemagne. Il affirme qu’il utiliserait cet argent pour développer les centrales solaire thermique à concentration, une technologie qui utilise des miroirs pour concentrer une grande surface de lumière solaire dans un récepteur. L’électricité est générée lorsque la lumière concentrée est convertie en chaleur, produisant ainsi de l’énergie solaire thermique. Plus précisément, il investirait l’argent dans une « tour de concentration d’énergie solaire avec un stockage thermique intégré à grande échelle dans le sud de l’Europe ». Cette technologie diffère des panneaux solaires photovoltaïques qui convertissent directement la lumière du soleil en électricité. Ici, l’objectif est de stocker l’énergie thermique du soleil plutôt que d’utiliser instantanément l’électricité que sa lumière peut produire.

Ce dispositif si cher aux yeux de Johan Lilliestam n’est plus, de son propre aveu, « à l’ordre du jour des investisseurs et des politiques européennes, alors qu’il s’agit de l’une des options les plus prometteuses pour fournir de l’énergie renouvelable répartissable afin de compléter et d’équilibrer l’énergie solaire photovoltaïque et éolienne, peu coûteuse mais intermittente ». Les efforts des politiques et de l’industrie ont rendu le PV et l’éolien bon marché, explique-t-il, mais nous aurons besoin de plus d’énergie renouvelable pour combler le vide lorsque l’électricité produite par le gaz sera coupée.

 

Captage direct de l’air

Jon Gibbins est professeur d’ingénierie des centrales électriques et de capture du carbone à l’université de Sheffield. Il utiliserait ses 100 millions de dollars pour financer un processus qui élimine le dioxyde de carbone directement de l’atmosphère. La société suisse Climeworks est, à l’heure actuelle, la start-up la mieux financée dans ce domaine. « J’utiliserais ces 100 millions de dollars pour soutenir l’analyse, la recherche, le développement et le déploiement de technologies de capture directe de l’air », explique-t-il. Tout en précisant précise que toute technologie doit être mise à disposition gratuitement si elle est brevetée et que les mécanismes qui la sous-tendent doivent être publiés pour que tout le monde puisse les reproduire.  Il ajoute : « Je m’efforcerais également d’obtenir un financement de contrepartie sur la même base de la part des gouvernements afin d’augmenter la somme disponible ». Chacun doit mettre la main à la poche.

 

Surveillance et vérification de l’élimination du carbone

Le climatologue Zeke Hausfather est titulaire d’un doctorat de Berkeley en énergie et ressources et a rédigé des rapports pour le GIEC. Il est actuellement responsable du climat chez Stripe, qui fait partie de Frontier, un engagement commercial d’une coalition d’entreprises visant à acheter pour 925 millions de dollars de solutions d’élimination permanente du carbone entre aujourd’hui et 2030. Désireux de nous faire redescendre de notre petit nuage, il souligne que 100 millions de dollars est une somme dérisoire par rapport aux 755 milliards de dollars a dépensés en technologies d’atténuation du carbone en 2021. « Si j’avais cette somme, je l’utiliserais probablement pour améliorer nos systèmes de surveillance, de notification et de vérification de l’élimination du carbone », explique-t-il.

« Si certaines approches sont assez simples à mettre en place, comme la capture directe dans l’air, où nous pouvons surveiller la quantité de CO2 retirée et injectée, d’autres, comme l’amélioration des conditions météorologiques dans les roches et l’élimination du dioxyde de carbone dans les océans, sont des systèmes ouverts où il est plus difficile de mesurer le sort final du carbone ». Un programme de recherche de 100 millions de dollars pourrait financer les types de modélisation, le développement d’instruments et les études de traçage qui donneraient plus de certitude sur l’efficacité des différentes voies d’élimination permanente du carbone, dit-il.

 

 

Des solutions de faible technicité

« Il y a tellement d’optimisme autour des technologies avancées, mais pour qu’une technologie fasse partie du portefeuille des solutions futures, elle doit être viable sur le long terme, ce qui signifie également d’avoir une chaîne d’approvisionnement durable », explique Hadi Abulrub est membre du Cabot Institute for the Environment de l’université de Bristol, au Royaume-Uni. Pour lui, la crise climatique ne peut être résolue par le seul déploiement de nouvelles technologies : « Nous devons développer des solutions de faible technicité, bon marché et de grande portée. Je suis convaincu qu’un investissement de 100 millions de dollars devrait donner la priorité à des solutions technologiques évolutives et peu coûteuses, afin de permettre une réponse de grande envergure à un défi mondial », déclare-t-il. Avant de conclure : « Le changement technologique nécessaire pour faire face à la complexité du défi climatique devrait être universel, omniprésent et accessible à tous, quel que soit leur statut socio-économique ».

 

 

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