8 juillet 2015

Temps de lecture : 5 min

Quel droit de cité pour les marques ?

Quand une entreprise et son étendard prennent possession d’une ville, doit-on s’en inquiéter ou les accueillir à bras ouverts ? Devant les moyens de plus en plus réduits des pouvoirs publics, le bien collectif est en train de tomber dans le domaine du privé. Changement de société en perspective...

Quand une entreprise et son étendard prennent possession d’une ville, doit-on s’en inquiéter ou les accueillir à bras ouverts ? Devant les moyens de plus en plus réduits des pouvoirs publics, le bien collectif est en train de tomber dans le domaine du privé. Changement de société en perspective…

Zappos la conçoit comme un « espace de création, d’inspiration et de découverte », Google comme une extension cadastrale logique de sa juridiction de marque, Bikinis comme un « endroit de fête et de rassemblement », Urban Outfitters comme « une expérience de lifestyle ». Elle, c’est la ville entièrement brandée, une nouvelle donne historique qui redéfinit la notion de territoire et son appartenance.

Le Flagcity innove

Qu’il soit un grand théâtre ouvert d’interaction entre la marque et les citoyens comme à Las Vegas, un concept commercial conceptuel dans la banlieue de Philadelphie, une main mise territoriale et économique dans la Silicon Valley ou une ancienne ville fantôme revitalisée par la marque Bikinis en un bar-restaurant à ciel ouvert, le flagcity innove : il met en évidence son communautarisme de marque comme point de contact et abhorre les règles traditionnelles de concubinage du couple marques-consommateurs.

Les uns comme les autres ne jurent plus que par le participatif et l’expérience. Le phénomène est encore naissant et avant-gardiste, mais en l’analysant pour mieux le comprendre, ne constitue-t-il pas l’extension logique du marketing événementiel ?

« C’est de l’immersion totale et persistante », décrypte Neal Gorenflo, co-fondateur de Shareable, think tank, hub et média des transformations urbaines par l’économie de partage. « Les marques sont dans l’obligation de toucher le consommateur beaucoup plus en profondeur et le marketing événementiel est un levier parmi d’autres. La génération Y accorde de l’importance au changement authentique et positif ».

La communauté, l’assurance Roi à long termer

En investissant le centre-ville désuet de Las Vegas pour y construire le nouveau siège social de Zappos, le visionnaire Tony Hsieh ne se contente pas de cibler les 15-35 ans. Avec son « Downtown Project », que nous rebaptiserons « Zappos Town », le leader nord-américain de la vente de chaussures online transfère les pouvoirs de ré-urbanisation et de redynamisation économique des bureaux de la mairie à celui de son conseil d’administration.

Inspiré par la maxime selon laquelle « une bonne marque est une histoire qui ne cesse jamais d’évoluer », le fondateur de la plate-forme d’e-commerce a décidé de placer la communauté au cœur de sa vision stratégique de Zappos. Comment améliorer la vie quotidienne de toute une population et pas seulement de ses 1500 employés ? Le gourou du prêt-à-porter en ligne a répondu en finançant personnellement, avec l’aide d’amis investisseurs, un nouveau siège social construit sur le modèle des campus Google et Facebook. Le coût, quelque 300 millions d’euros, est à la hauteur de l’ambition du nouveau QG : faire du centre-ville de Las Vegas la capitale mondiale du coworking et un modèle pionnier de ville créative communautarisée par l’innovation, le partage et l’interactivité.

« Plutôt que maximiser le retour sur investissement à court terme, on maximise le retour à long terme sur la communauté », expliquait Tony Hsieh en 2013 lors de la conférence Techonomy. Pour ce diplômé de Harvard –  « Downtown Project » entend bien « institutionnaliser le retour sur chance » en favorisant les rencontres fortuites, qui selon des études, assure-t-il, favorisent l’innovation et la productivité.

Zappos, une société gérée comme une ville

Sur le papier, « Zappos Town » conforte la flatteuse réputation d’une startup considérée comme l’un des meilleurs employeurs du pays : un facilitateur et fonds d’investissement pour aider les PME locales, un programme de co-voiturage de véhicules électriques Tesla, des pistes cyclables, une crèche, un incubateur de mode « Life is beautiful », un festival annuel de musique, d’art et de nourriture, le centre commercial « Downtown Container Park » avec ses 40 magasins, ses restaurants, bars, galeries, espaces de jeu, de réunion et de travail.

En mettant gratuitement 100 appartements à disposition des personnalités invitées à venir partager leurs expériences, ce projet unique au monde de ville brandée « transforme le centre-ville de Las Vegas en un mini TEDtalk ». Son slogan résume bien l’esprit et l’intention de ce que Tony Hsieh rêve comme une « ville startup » : « Downtown Vegas te rend plus intelligent si tu sais où regarder ». « Quand une ville double de taille, son innovation augmente de 15%. Mais quand une entreprise grossit, sa productivité baisse », ajoute le fils d’immigrés taïwanais. Il le clame donc avec la certitude du bâtisseur : « je veux organiser et gérer Zappos comme une ville, pas comme une grande société ». Et ainsi naquit un fier porte-drapeau du flagcity.

Le phénomène n’est peut-être encore qu’un embryon, mais Google semble déjà donner raison aux pionniers des villes « brandées » comme celles de Bikinis et Urban Outfitters. Les ambitions immobilières audacieuses de Google commencent à prendre forme, comme le plan d’étendre sa juridiction de marque sur deux autres villes voisines, Sunnyvale et Palo Alto. Comment ? Via la construction de nouveaux ponts autoroutiers. Le but ? Unifier un espace de travail et de vie quotidienne étalé sur trois territoires administratifs.

Mountain View devient-il Googletown ?

La multinationale aux 300 milliards d’euros en coffre multiplie les acquisitions foncières et a déjà prévenu que « garder (nos) employés les uns à côté des autres, épaules contre épaules, est un élément clef de (notre) succès », dixit David Radcliffe, vice-président immobilier du moteur de recherche. Googletown est-il en train de naître ? Les autorités de Mountain View s’inquiètent. En reprenant au début de l’année le bail pour la location de l’aéroport de la ville, propriété de l’Etat, Google se paye son propre aéroport de 1000 hectares, à quelques kilomètres de son Googleplex. Il récupère aussi des hangars à rénover pour son département R&D, pilier de sa croissance.

« Tant que ce n’est pas illégal, ce qu’ils font dans les hangars ne regardent qu’eux », commente Deborah Feng de la NASA. Surtout, en s’installant à Moffett Airfield, Google s’arroge des prérogatives qui en disent long sur sa main mise sur Mountain View. Quand le gouvernement fédéral ou de l’état de Californie auront besoin des infrastructures aéroportuaires, c’est Google qui sera aux manettes opérationnelles. Selon le média américain The Verge, « cette nouvelle acquisition pourrait bien être la pièce manquante dont Google avait besoin pour dessiner la ville à son image ».

Spécialiste des fusions et acquisitions depuis février 2001 et le rachat du Usenet de Deja, le pionnier de la voiture automatique et des lunettes connectées employait en 2013 9,7% de la population active et possédait 10,7% des propriétés taxables. « Ce qui me fait peur, c’est que Mountain View devienne Googleville », confie le conseiller municipal Jac Siegel à The Verge. « C’est une ville contrôlée par Google. La plupart de leurs employés habitent ici, ils donnent le sentiment de faire ce qu’ils veulent ».

La ville brandée parle autrement aux consommateurs

Que ce soit en rachetant une ville fantôme au Texas près d’Austin ou bien en construisant une cité de toutes pièces sur 2 hectares dans la banlieue de Philadelphie, la chaîne de restauration Bikinis Sports Bar & Grill et le pape de la fringue urbaine hipster et rétro Urban Outfitters avaient déjà fait jurisprudence, avant Zappos et Google. « Si Bikinis et Urban Outfitters prennent cette initiative, c’est qu’elles anticipent une perte de contrôle. Il faut trouver de nouvelles façons de parler au consommateur », analyse Neal Gorenflo de Shareable. « De nos jours, les villes deviennent plus partageables, les biens communs sont désormais des voitures, des ordinateurs et des jardins, autant de choses qui auparavant relevaient de la propriété unique. En permettant à d’autres marques de participer à son projet, en les impliquant dans la vie et l’activité économique de la ville, Urban Outfitters peut susciter l’avènement de l’espace partageable », complète Jeremiah Owyang, fondateur de Crowd Companies. « Cela sera un lieu dans lequel les partenariats entre marques accroissent l’interaction de tous les instants avec le consommateur, dans l’espace public, les transports, les boutiques », ajoute l’ancien partenaire fondateur d’Altimeter Group, convaincu « qu’un nouveau modèle économique qui privilégie l’accès plutôt que la consommation est en train de se créer ». Sur la pérennité de ces cités brandées, Jeremiah Owyang reste quand même dubitatif : « Historiquement, les marques se sont déjà approprié des villes par le pouvoir économique de leur industrie. L’essor de l’automobile a par exemple fait fleurir des villes entières, mais ça les rend vulnérables car dépendantes d’une seule richesse. Une ville ne peut pas être contrôlée par une seule marque, cela ne la rend pas résistante au temps et au changement. Le risque d’échec est réel ». Cela dépend des marques comme dirait l’autre !

Cover : Amélie Carpentier

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