Quand McDonald’s ressuscite Rome pour vanter ses classiques : une leçon de com en mosaïque
À Rome, McDonald’s a récemment installé une mosaïque inspirée de l’Antiquité dans une galerie commerçante du centre-ville qui détourne l’imagerie romaine pour sublimer le patrimoine… burger. Derrière la blague visuelle, une démonstration très contemporaine du pouvoir narratif des marques.
Il y a ceux qui rénovent les monuments romains à coups de millions d’euros. Et il y a McDonald’s, qui ressuscite le patrimoine antique… à coups de carrelage promotionnel. Le week-end dernier, dans la galerie Alberto Sordi, au cœur de Rome, la marque américaine a dévoilé une mosaïque de sol flambant neuve, inspirée des fresques romaines mais peuplée de burgers, frites et gobelets soda. La scène, qui semble tout droit sortie d’un fast-food du Palatin, a rapidement fait le tour des réseaux. Les passants s’arrêtent, les médias relaient, les commentaires fusent. McDonald’s peut se frotter les mains : pour une poignée de tesselles, c’est toute une conversation culturelle qui s’ouvre.
La campagne, intitulée « Enjoy the Classics », fait preuve d’un humour à double fond. En surface, l’effet est immédiat : la marque détourne avec dérision l’imagerie antique pour se hisser au rang de “classique” de la restauration. Mais sous la blague, l’opération dit beaucoup de notre époque : dans un monde saturé de messages, les marques qui s’autorisent l’ironie et la référence culturelle font mouche. Et quand cette ironie surgit dans un lieu patrimonial ultra-exposé, comme Rome, elle prend des allures de performance post-pop.
Ce n’est pas la première fois que McDonald’s joue avec les codes de l’histoire de l’art ou du patrimoine. Mais à Rome, la manœuvre prend une saveur particulière. D’abord parce qu’on marche littéralement sur des ruines, et que tout geste d’appropriation esthétique peut y devenir polémique. Ensuite, parce que la marque américaine est régulièrement accusée de “coloniser” les centres-villes européens avec ses arches jaunes. Cette fois, McDonald’s anticipe les critiques en les court-circuitant : en convoquant l’héritage romain sur le ton du pastiche, elle désamorce les tensions et s’autorise même un clin d’œil complice avec ses détracteurs.
La mosaïque, réalisée par une équipe de dix artisans, n’est pas un simple visuel publicitaire. Elle s’inscrit dans une logique de storytelling urbain, qui s’ancre dans le sol et convoque l’imaginaire collectif. En d’autres termes, l’enseigne ne parle pas de burgers : elle parle de mémoire, de tradition, de ce qui dure. En Italie, où la nourriture est affaire de culture, cette stratégie flirte avec l’irrévérence, mais la détourne avec suffisamment d’autodérision pour fonctionner. La marque s’offre ainsi un énième chapitre dans sa capacité à transformer un banal pavé de com en monument de viralité.
Le branding patrimonial, nouvelle arme du soft power des marques
Ce que démontre l’opération, au-delà de sa dimension humoristique, c’est la capacité d’une marque globale à convoquer les référents locaux pour renforcer sa légitimité. En jouant la carte du patrimoine, McDonald’s ne cherche pas seulement à se rendre sympathique : elle veut apparaître comme un acteur culturel à part entière. Ce mouvement n’est pas isolé. Ces dernières années, on a vu d’autres marques investir les musées, détourner les codes muséographiques ou revisiter les classiques pour affirmer leur place dans l’imaginaire collectif. En somme, le branding patrimonial devient une stratégie en soi : celle d’inscrire la marque dans le temps long, celui des mythes et des récits fondateurs.
À travers cette mosaïque, McDonald’s sous-entend que son Big Mac est aussi légitime dans le panthéon des classiques que les statues de marbre ou les fresques de Pompéi. C’est absurde, évidemment, et c’est précisément ce qui fonctionne. Car la puissance symbolique ne naît pas toujours de la gravité : elle peut aussi surgir de l’ironie bien placée. La campagne s’inscrit ainsi dans une tendance plus large où les marques n’hésitent plus à puiser dans le vocabulaire de l’histoire, du musée ou du patrimoine pour asseoir leur image sur des fondations plus profondes qu’un simple slogan.
Une leçon de com en trompe-l’œil
Si cette campagne amuse, c’est aussi parce qu’elle fonctionne à plusieurs niveaux. Le premier est visuel : la mosaïque attire l’œil, suscite la curiosité, déclenche le selfie. Le deuxième est narratif : elle provoque une friction entre deux mondes – l’Antiquité et la junk food –, et cette collision provoque du commentaire, du débat, de la viralité. Le troisième niveau, plus discret, est stratégique : dans un environnement saturé de contenus, les marques doivent aujourd’hui séduire par la surprise, l’intelligence et l’audace. Ce que certains spécialistes appellent la “com de conversation” : plus que vendre, il s’agit de provoquer un échange, une réaction, une prise de position. La marque, elle, récolte les fruits d’une visibilité organique massive, bien au-delà de ses propres canaux.
À Rome, ville où chaque pierre est un rappel du passé, McDonald’s a osé une réécriture drôle et légère de l’héritage antique. Ce faisant, elle montre qu’en matière de communication, le meilleur levier d’émotion n’est pas toujours la nostalgie solennelle, mais parfois la capacité à faire sourire l’histoire elle-même. Une mosaïque, quelques burgers, et une campagne qui s’inscrit déjà – ironiquement – dans les annales de la pub.