23 octobre 2013

Temps de lecture : 3 min

Quand les magasins s ‘improvisent galeries d’art contemporain

A l'heure où la FIAC ouvre ses portes, décryptage d’un phénomène qui se généralise et offre à la boutique et à l’artiste l’opportunité d’un dévoilement identitaire réussi.

Juillet 2013, les Galeries Lafayette s’ouvrent à l’art contemporain. A l’origine, un partenariat avec les FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain) invités à prendre possession des vitrines avec l’artiste de leur choix. A la clé, une oeuvre inédite propre à faire rayonner l’enseigne et la création contemporain dans ce marché où chacun a quelque chose à gagner.

En mettant à disposition cet espace d’exposition, les Galeries – comme toute marque – promeuvent l’artiste, organisant sa visibilité, voire sa notoriété. En échange, elles quittent leur habit mercantile qu’elles troquent contre le costume aujourd’hui valorisé de prescripteur culturel, si ce n’est de mécène (cf l’interview de Guillaume Houzé dans la revue INfluencia sur la Culture, disponible sur le site dès aujourd’hui et en librairie dès la semaine prochaine).

Espace de monstration esthétique et de théâtralisation, la vitrine est le lieu de la vulgarisation par excellence. Espace-seuil, à cheval entre la rue et la boutique, elle est par excellence hybride, à la façon de ce néologisme « l’artketing », situé à la confluence de l’art et du marketing, du spirituel et du matériel, de la gratuité et du pécuniaire.

La stratégie du donnant donnant

En choisissant d’installer dans la rue l’art contemporain souvent cantonné à un public d’amateurs, les magasins popularisent, démocratisent un art qu’ils extraient de ses lieux de prédilection, sacralisés et confidentiels (atelier, musée, galerie…). En retour, la marque s’auréole d’un mystère, d’une dimension immatérielle. Cette confusion, cette interpénétration des sphères artistique et marchande, l’artiste les revendique parfois. Dans son installation présentée dans les vitrines des Galeries Lafayette de Nantes, Camille Chaimowicz mêle ainsi ses propres créations et des produits de luxe choisis dans les rayons de l’enseigne. Il reconnaît avoir ainsi « réalisé un dispositif spécifique pour cet environnement, afin d’établir un dialogue entre son travail et la vitrine ».

Invités à jouer les voyeurs, les spectateurs découvrent alors une alcôve, lieu d’ébats amoureux. En témoignent les bouteilles de champagne vidées, une lingerie délaissée et des bouquets de roses. A Marcel Duchamp qui assurait que « le regardeur fait le tableau », l’enseigne répond que c’est l’artiste qui confère aux produits manufacturés et vendus une sublimation esthétique. Buren ne fait rien d’autre quand il offre à Vuitton au printemps 2013, de véritables écrins pour ses mannequins et produits.

Esprit du lieu, esprit du moment

Œuvres par essence éphémères, conditionnées par leur présence in situ, ces installations placent l’art du côté de l’impermanence, du volatil. C’est ce que la marque Le Fée maraboutée pousse à l’extrême quand elle conçoit dans sa boutique parisienne un tableau noir mis à disposition des artistes. Dessinées à la craie, ces créations sont destinées à être effacées.

Véritable pied de nez à la pérennité traditionnelle de l’œuvre d’art, toutes ces réalisations contemporaines s’inscrivent résolument dans le présent d’une actualité publicitaire, d’un dispositif de communication ponctuel.

Tout en revalorisant l’expérience physique en boutique, ce genre d’associations participent d’un désir d’afficher ce qui est ordinairement caché : dernière production de l’artiste et personnalité de la boutique, voire de la marque. C’est pour cette raison que ces alliances ne peuvent être fortuites, mais motivées. Fondées sur des affinités, elles offrent au public un espace commun d’aspirations partagées.

Plus généralement, des initiatives locales se déploient en France, visant à installer l’art dans les vitrines des magasins. Que ce soit à Aix et Marseille, au printemps dernier, à Rodez aujourd’hui, les magasins des centres villes sont détournés de leur usage premier, transformés en galeries de photos réalisées par des artistes locaux.

Point de problématique de marque ici, mais le simple désir d’exhiber une culture commune et fédératrice, en affichant son attachement inconditionné à ses artistes locaux et à sa région.

En jouant les médiateurs culturels, le magasin exploite en retour la puissance symbolique de l’Oeuvre, véritable média propre à matérialiser un état d’esprit, comme une photographie de l’âme du lieu et de la marque à un moment T, l’instant présent.

Séverine CHARON
Cofondatrice de Sémiosine, agence spécialisée dans la stratégie et l’identité de marque

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