23 octobre 2011

Temps de lecture : 6 min

Quand les consommateurs boycottent pour punir…

Air France boycotterait Le Figaro, les All Blacks le Mondial anglais de 2015... Le boycott est plus que jamais d'actualité et devient une forme majeure de l'action publique, touchant entreprises, marques, organisations et Etats. Marc Drillech, ex vice-président international de Publicis Groupe et aujourd'hui directeur général de IONIS Education Group, publie une véritable bible de 500 pages * sur le sujet.

INfluencia: quelles nouvelles formes de boycott sont apparues?

Marc Drillech: on constate d’abord que le sens traditionnel du boycott a changé, il ramène désormais à la notion de bouc émissaire, d’exclusion, de mise à l’index. On ne boycotte pas pour faire changer une situation mais pour punir. C’est ce qui est arrivé au Danemark, où le groupe laitier Arla a payé très cher les caricatures de Mahomet, et a perdu quelque 150 millions de dollars.

Ensuite de nouveaux boycotts ont vu le jour, notamment contre les hausses de prix. Ainsi en moins d’une semaine pour protester contre l’augmentation massive d’un produit de base dans alimentation des Israéliens, le cottage cheese, un groupe sur facebook a atteint plus de 100 000 membres dans un pays de moins de 7 millions d’habitants!

On assiste également à une nouvelle forme de pression, en particulier aux Etats-Unis, orientée vers les annonceurs pour toucher les media. En protestant auprès des annonceurs, contre le libéralisme de la série Skins, la présence de drogues et d’alcools et les allusions sexuelles trop marquées, les groupes de pression conservateurs ont conduit près d’un tiers des marques présentes à faire marche arrière!

INfluencia: vous êtes devenu un expert du boycott, puisqu’en dehors de ce livre, vous éditez également un blog. Finalement êtes vous partisan de ce type d’action?

M.D: mon premier livre date de 1999**, mais j’ai l’impression de l’avoir écrit il y a un siècle. Sous l’influence des Technologies de l’Information et de la Communication, de nouveaux comportements sont apparus. Des nouvelles luttes, notamment environnementales se sont également fait jour. En transformant le rapport au temps et à l’espace, en obligeant à de nouveaux traitements journalistiques et en imposant une omniprésence de la communication, les TIC ont favorisé le développement du boycott. A travers des réactions de simples citoyens ou de communautés d’activistes en réseau, il est devenu une forme majeure de l’action politique. Aujourd’hui il pourrait devenir la nouvelle norme, la référence en matière d’action revendicatrice et de gestion des conflits.

J’ai voulu explorer ses nouvelle modalités. Cela ne veut aucunement dire que j’éprouve de l’admiration ou de la répulsion pour ce qui n’est finalement qu’une modalité au service de la revendication. Même s’il s’avère une arme efficace dans les combats politiques modernes et possède des atouts indéniables! On peut aussi bien éprouver de la sympathie pour les militants qui prônent le boycott de BP aux Etats-Unis à cause de sa conduite face à la pollution du Golfe du Mexique, et désapprouver l’appel au boycott de Labeyrie, menacée parce qu’elle avait décidé de fabriquer des produits halal…

Pour répondre à votre question, le boycott en soi n’est ni moral ni immoral. Il dépend de ses actions, de ses raisonnements, et aussi de la manière dont il est relayé dans les media. Il permet de libérer les énergies les plus plus créatives et les humanistes. On peut l’apprécier parce qu’il est l’arme des petits, tel David contre Goliath. Mais il peut tout autant pencher vers sa zone sombre, quand il renforce la désignation du bouc émissaire ou les tendances à la désinformation et à la manipulation. On ne peut oublier qu’il a servi et sert toujours des régimes et des causes bien peu nobles. J’ai donc voulu dans ce livre, éviter deux écueils graves: la déification du boycott et sa diabolisation.

Influencia: on dit parfois qu’en opposition aux grèves ou manifestations, le boycott est l’arme des faibles.

M.D: attention, il est très facile de confondre analyse et sentiments, de donner trop de valeur à certains combats, et finalement de simplifier la vision du monde entre bons et méchants, coupables et victimes, opprimés et oppresseurs. Ce serait aller trop vite en besogne, et finalement donner raison de manière automatique et émotionnelle aux activistes, et aussi de caricaturer ceux qui sont opprimées. Ce serait aussi admettre les propos des media comme des vérités totalement incontournables. Le boycott est une action bien plus compliquée. Son histoire est à l’image des conflits de nos sociétés, dont la simplification cache souvent une complexité de situations d’innocences et de culpabilités qui ne peuvent se réduire à des schémas manichéens, à de grands mouvements qui partent sur des fondements erronés.

Influencia: le cliquisme est-il le boycott du XXI siècle?

M.D: c’est l’une des questions essentielles que posent Internet, facebook, Twitter et tous les réseaux sociaux. Et personne n’y a totalement répondu. Je ne pense pas qu’il y ait égalité entre le réel et le virtuel, mais la pratique du boycott sur la toile est devenue si quotidienne que sa multiplication oblige à s’interroger sur son efficacité et ses conséquences. Pour certains un clic est un engagement. Parfois, pour les jeunes, c’est même le premier acte politique. Mais cliquer ne veut pas pour autant dire boycotter concrètement des produits ou une marque.

On remarque qu’Internet peut créer un effet de banalisation mais aussi un sentiment d’envahissement qui conduit à occulter le boycott, à s’en méfier compte tenu de son omniprésence, avec une sorte d’effet pervers qui ressemble aux communications contre le tabac ou la drogue. Plus on répète le message, plus on impose un message moral («tu dois », «il faut»…), plus un public important s’en désintéresse. Ainsi l’invasion d’internet par les groupes prônant le BDS (Boycott, Désinvestissements et Sanctions) rencontre avec le temps la loi des rendements décroissants. La multiplicité favorise une plus grande indifférence, un rejet, un sentiment d’étouffement par surpression.

Les réseaux sociaux peuvent donner au boycott une seconde nature, plus ambigüe, celle d’un gadget qui fonctionne comme dans les reality shows, permettant de retenir ou d’éliminer. La facilité du geste conduit à un activisme passif. Il n’y a pas de mobilisation active. Si les adhérents à un groupe sur Facebook marquent leur appréciation (ou l’inverse) , s’ils sont plus orientés que d’autres à passer à l acte, cette hypothèse est loin de garantir une transformation de votants en combattants.

INfluencia: quel avenir pour le boycott?

M.D: le boycott est certainement l’une des formes revendicatrices les plus symboliques de notre époque. Il regroupe de manière profonde ce que Michel Maffesoli nomme post-modernité et qui n’est rien d ‘autre qu’une société en profonde restructuration. Il illustre parfaitement cette transformation radicale de nos mondes. Il est fondé sur l’action collective qui donne à l’individu un rôle dominant.

Et il va se développer parce qu’il est en phase avec les désirs des consommateurs de disposer de contre-pouvoirs. Ils savent qu’ils ont des droits et des devoirs. Par exemple, ils considèrent que les entreprises ne les respectent pas quand elles augmentent les prix. Leur seule réponse est donc de couper temporairement les relations. Cette rupture momentanée montre bien l’importance de la relation dans le commerce; elle est aussi le reflet de l’accroissement de la tension entre marques et consommateurs.

Jamais la société de consommation n’ a été aussi attaquée. Plus que jamais, les citoyens constatent qu’il n’y a pas de société de rechange. Comme ils ne la voient pas changer, et comme ils ne peuvent pas non plus la combattre structurellement, ils vont le faire acte après acte sur le terrain, rapidement et en utilisant les armes de l’ennemi.

INfluencia: Quels sont les ingrédients d’un boycott réussi?

M.D: les règles d’or du boycott ne sont pas universelles. Mais j’en vois plusieurs:

+  La simplicité et la clarté de la revendication. Un boycott doit être immédiatement compris. Toute personne amenée à boycotter doit vivre cet acte comme une contrainte facile dans sa vie quotidienne
+  La légitimité: l’émetteur qui appelle au boycott doit représenter une instance acceptable parce qu’elle dispose d’une expérience, d’une notoriété d’antécédents.
+  Le potentiel émotionnel, donc la puissance de mobilisation. Le boycott résulte d’une envie, d’une révolte, d’un sentiment d’irrespect. Le pouvoir émotionne est central parce qu’il est le moteur humain de l’action
+  L’importance de l’engagement des leaders d’opinion, et le relais et l’implication des media, donc la notoriété de la cause. Le boycott est avant tout une décision d’abord individuelle. Chaque jour des boycotts sont lancés mais ne franchissent pas le mur de l’indifférence ou du silence, car ils ne bénéficient pas d’amplificateurs suffisants.

Enfin, il ne faut jamais oublier que si la plupart des boycotts ne déséquilibrent pas la rentabilité des entreprises, ils pèsent lourdement sur l’image, la réputation et ces dimensions immatérielles qui donnent leur valeur aux marques.

Propos recueillis par Isabelle Musnilk
Rubrique réalisée en partenariat avec l’agence Meura

* Le boycott. Histoire, actualité, perspectives. Editions Fyp, octobre 2011.

**le boycott, le cauchemar des entreprises et des politiques, 1999, (éditions LPM)

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