14 novembre 2016

Temps de lecture : 5 min

Publicité comparative : Chauffeur Privé se paie Uber sur un air de  » Made in France « 

Deux mois après une première campagne centrée sur le "made in France", Chauffeur Privé ressort le coq du poulailler. La campagne pondue par l'agence soixanteseize joue la carte comparative et patriotique pour attaquer Uber en frontal. Est-ce là une bonne stratégie ?

Deux mois après une première campagne centrée sur le « made in France », Chauffeur Privé ressort le coq du poulailler. La campagne pondue par l’agence soixanteseize joue la carte comparative et patriotique pour attaquer Uber en frontal. Est-ce là une bonne stratégie ?

Quand elle est érigée en principe de gouvernance politico-économique, la préférence nationale est chez nous une revendication polémique qui divise par ses accents exacerbés de protectionnisme. Pourtant bizarrement quand cette communication dite  » patriote  » touche les industries manufacturières et les biens de consommation, elle devient un concept marketing d’Etat, le « made in France ». Défendue sur tous les plateaux de télévision par l’ancien ministre de l’économique, Arnaud Montebourg, cette préférence nationale qui ne dit pas son nom est même récemment devenue une loi dans une région (Paca) qui dans le même temps rejette fièrement l’accueil du moindre migrant. En pub le « made in France » devient un étendard de la relance économique, un engagement citoyen du consommateur voire un argument d’espoir d’un futur meilleur. Mais ces arguments se suffisent t-ils à eux-mêmes ? Réponse avec la nouvelle campagne de Chauffeur Privé qui sous couvert de second degré joue la carte bleu/blanc/rouge et de la revendication. L’entreprise Chauffeur Privé défend les intérêts de la France et c’est la marque qui en profite.

Pour vanter son offre, le leader français du marché VTC a en effet choisi de jouer la carte patriotique en tirant sur deux cordes tendancieuses : la publicité comparative avec un concurrent étranger et son dénigrement assumé par son emploi nominatif dans ses slogans transformés en jeux de mots. Débutée lundi 14 novembre, la campagne, réalisée par l’agence Soixanteseize, reprend les codes du géant américain, Uber, pour mettre en avant les trois avantages de Chauffeur Privé : 100% de ses impôts sont payés en France, un programme de fidélité inédit dans le VTC et des prix fixés avant la commande, empêchant toute mauvaise surprise sur le montant d’une course.

Affichés pendant une semaine dans les métros et kiosques parisiens, avant le suivi d’un fil rouge digital et une seconde prise de parole dans les gares parisiennes et lyonnaises, les visuels veulent officiellement « affirmer le positionnement d’entreprise 100% Made in France et innovant, de Chauffeur Privé, tout en montrant qu’elle a tous les atouts de sa concurrence, et même plus », comme expliqué dans la présentation. À services égaux le consommateur français devrait donc opter pour l’entreprise française ? La logique voudrait alors qu’à compétences égales une entreprise française embauche un Français, donc qu’à pauvreté égale,l’Etat et les collectivités locales aident d’abord le Français démuni, donc qu’avant de construire des centres d’accueil pour les migrants, les autorités feraient mieux de loger les SDF français qui dorment dans la rue… Le cercle est plus vicieux que vertueux. Il incite à une vraie réflexion morale sur l’emploi de ce levier « made in France » qui n’en demeure pas moins efficace lorsqu’il est clairement utilisé.

« Les utilisateurs d’Uber seront sensibles au clin d’œil »

L’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) ne s’est pas prononcée sur ces critères là pour conseiller aux régies de ne diffuser aucun des 3 visuels de la campagne. Contacté par INfluencia, Stéphane Martin, son Directeur général, explique : « dans ces projets, un concurrent direct est clairement identifiable. Or, selon l’article 12 du Code de la Chambre de commerce internationale (ICC) sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, « la communication commerciale ne doit pas dénigrer une quelconque personne ou catégorie de personnes, une entreprise, une organisation, une activité industrielle ou commerciale, une profession ou un produit ou tenter de lui attirer le mépris ou le ridicule public. Notre conseil a donc, avant tout, rappelé des principes déontologiques mondiaux. A noter qu’un de leur visuel a été modifié : « Le beurre et l’argent du beurre », est désormais acceptable tandis que « Uberration » et « Compter pour d’Uber » prêtent encore à discussion « . Pour en débattre, nous avons donné la parole à Anne-Carole Coen, directrice marketing de Chauffeur Privé.

INfluencia : pourquoi avoir choisi de cibler Uber nommément et en frontal ?

Anne-Carole Coen : notre objectif est de faire connaître la marque Chauffeur Privé aux hardcore users des VTC, dont de nombreux sont utilisateurs Uber. Nous avons choisi comme média principal l’affichage, qui a un impact immédiat. Face à une marque que l’on connaît déjà, nous sommes forcément plus réceptifs. Les utilisateurs d’Uber seront, à notre avis, sensibles au clin d’œil que Chauffeur Privé leur adresse.

IN : cette campagne est de la pub comparative, l’assumez-vous pleinement ? Si oui, qu’est-ce qui selon vous la justifie ?

A-C. C. : tout à fait. L’objectif est de démontrer qu’il existe une alternative au leader du VTC, de surcroit une alternative française, avec des avantages concurrentiels forts. Je n’ai pas en tête d’entreprises capables de concurrencer les GAFA et les NATU. En revanche, Chauffeur Privé est capable de concurrencer Uber, et nous voulions le montrer avec des arguments objectifs.

IN : pourquoi dénoncer Uber aussi grossièrement pour mettre en avant les services de Chauffeur Privé et en quoi cela donne-t-il plus de poids à votre offre ?

A-C. C. : chacun en fera son interprétation. Régulièrement les consommateurs nous demandent : quelle est la différence entre Chauffeur Privé et Uber ? En leur expliquant nos arguments, nous pouvons alors leur poser la question : êtes-vous sûrs d’avoir choisi le bon VTC ? Essayez-nous ! A travers cette campagne, nous voulions leur répondre de manière incisive et humoristique

IN : si on vous dit que cela peut être interprété comme du populisme ou de l’opportunisme publicitaire qui surfe sur la vague du « made in France », que répondez-vous ?

A-C. C. : cette campagne a pour objectif de comparer deux services de VTC. Notre concurrent principal, qui a une activité importante en France mais qui est installé dans un autre pays européen, n’est pas assujetti à la TVA. C’est un avantage concurrentiel de 20%. Nous voulons juste appeler les consommateurs à choisir, parmi les plates-formes de VTC, celles qui sont domiciliées et paient leurs impôts en France. De surcroît notre campagne met en avant, certes le patriotisme fiscal, mais également deux autres arguments forts : à savoir le fait que nous sommes les seuls à proposer un programme de fidélité à nos clients, et que les prix des courses chez Chauffeur Privé sont fixes et déterminés à l’avance avant chaque commande.

IN : y a t-il, là, une volonté intentionnelle stratégique de provoquer pour interpeller les pouvoirs publics ?

A-C. C. : non, nous n’avons pas besoin de faire de la publicité pour interpeller les pouvoirs publics avec qui nous échangeons régulièrement. Cette prise de parole a pour objectif encore une fois de montrer que Chauffeur Privé a tous les atouts pour devenir leader en France. Et cela nous permet également de mettre en scène notre nouvelle identité de marque.

IN : avez-vous été surpris par l’avis de l’ARPP, et comprenez-vous? Comment l’avez-vous pris en compte?

A-C. C. : l’ARPP sur l’affichage a un rôle de conseil auprès des régies. Ce sont elles, ensuite, qui ont le libre arbitre pour diffuser ou non nos créations. Sur cette campagne, nous avons respecté le cadre de la publicité comparative, à savoir que nos créations ne sont pas trompeuses ni de nature à induire le consommateur en erreur; ne portent pas sur des services répondant aux mêmes objectifs; ne comparent pas objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces services. Dès lors, chaque régie a pris la décision de nous accompagner ou non sur cette campagne de publicité.

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