11 septembre 2022

Temps de lecture : 7 min

Pubard de génie, Eric Hollander conseille depuis Bruxelles ses marques, à Paris, à Amsterdam ou ailleurs…

Il tient enfin sa certification B-corp ! Dans la série Pubards de génie, INfluencia demande Eric Hollander. Citoyen indiscipliné comme il le dit lui-même, tout en étant engagé, depuis ses débuts, il n’a songé que récemment à rentrer dans le process de labellisation. Grand publicitaire cosmopolite, patron de Air qu’il devait au départ créer avec Bruno Le Moult, décédé en mer à Formentera, il le fera finalement avec Tho Van Tran. Un Parcours de grand publicitaire qui n’en fait pas trop, mais veut que son agence devienne «la première zéro émission de conneries !».

INfluencia : vous êtes typiquement l’homme dont on peut dire que les rencontres ont influé sur toute votre longue carrière ?

Éric Hollander : Pas à mes touts débuts. Je savais dès mes 17 ans que je voulais être rédacteur, c’était de famille, même si j’hésitais un peu entre la révolution et la publicité. Les trois premières agences pour lesquelles je travaille à Bruxelles me virent pour indiscipline, et à 21 ans je finis par trouver un certain équilibre chez Success à Paris. C’est surtout là que je rencontre Tho Van Tran… Puis on entre ensemble chez Ogilvy… Deux ans plus tard, Christian Vince nous propose de le rejoindre chez DDB et là, vous avez raison, c’est mon socle que je vais constituer. A l’époque, pour un jeune créatif, DDB Paris est une proposition qui ne se refuse pas. Nous sommes entre 1985 et 1990, et rétrospectivement je me rends compte en les citant que je rencontre les futurs grands de la pub : Anne de Maupeou, Eric Galmard, Daniel Forh, Hervé Riffaut, Gabriel Gauthier, et Van bien sûr, qui deviendra non seulement mon ami, mon DA mais aussi, plus tard, mon associé. On est une grosse bande et nous passons 5 ans chez DDB.

En fait, en reprenant Publi-art, l’ancienne agence d’Hergé, nous avions la certitude que nous avions le pouvoir de changer les mentalités et les comportements grâce à notre métier.

INfluencia : effectivement, vous fréquentez alors la clique de futurs grands de la pub. Comment expliquez-vous ce grand bain de talents ?

E.H. : On a eu le bonheur ou la chance, je ne sais, d’avoir un type incroyable, Christian Vince qui faisait confiance à des créatifs très juniors et les faisait travailler sur Volkswagen et Audi. Nous étions une sorte de caricature de ce que raconte Frédéric Beigbeder dans 99 Francs mais on a beaucoup rigolé ! Puis Van et moi quittons le navire, moi je pars à la Young et lui chez CLM.

INfluencia : et puis vous retournez à Bruxelles…

E.H. : oui j’avais envie d’être en contact direct avec les clients… D’ailleurs Christian m’envoyait parfois vendre des campagnes d’autres créatifs aux annonceurs. On me disait que j’étais meilleur vendeur de créations que créatif (rires), je faisais rêver les clients, ça m’a aidé à devenir patron d’agence. À Bruxelles, l’ancienne agence d’Hergé, Publi-art, était à reprendre, ce qu’on a fait avec ma vieille copine et formidable directrice artistique Anouk Sendrowicz. On avait même hérité du gars qui avait colorié Les Bijoux de la Castafiore ! Pendant trois ans nous sommes installés près de la gare du Midi, nous montons une hotshop très, très créative et très engagée déjà à l’époque. En fait, nous avions la certitude que nous avions le pouvoir de changer les mentalités et les comportements grâce à notre métier. On voulait faire du bien aux gens, sans ironie aucune. On est devenu l’agence d’Amnesty International et ça a duré 25 ans…

Van me rappelle en me disant : « on ne peut pas continuer à pleurer, on y va ! » C’est comme ça que sont nées en même temps Air Bruxelles et Air Paris.

IN. : à l’époque vous comptez parmi les meilleures agences…

E.H. : en 1996, Campaign nous classe dans les 5 hotshops qui font bouger les lignes de la publicité en Europe ! Mais en Belgique, le business est plutôt flamand, et moi je suis très francophone. J’avais toujours mes vieux copains à Paris et un peu de réseau. Avec Bruno Le Moult et Tho Van Tran, nous avions décidé de créer Air…Bruno prépare plus ou moins secrètement son départ de la Young, puis il se noie à Formentera. Une année se passe, on est tous tristes et déprimés par le décès de Bruno, et Van me rappelle en me disant : « on ne peut pas continuer à pleurer, on y va ! » C’est comme ça que sont nées en même temps Air Bruxelles et Air Paris.

Jean-Louis Coste, fondateur de l’hôtel, trouvait ça fun d’héberger un boat people et un belge pour leur premières réunion. Nous avions à disposition Le Salon vert au Coste pour faire nos PPM…

IN. : plus qu’engagés, Air est aussi reconnue pour ses grandes campagnes dans le luxe…

E.H. : En fait c’est un peu par hasard. Le newbizz, c’est souvent une conjonction de réseau et de talent. On avait bien connu Sabina Belli comme commerciale chez Ogilvy, et elle était passée chez Dior. Elle nous a fait confiance pour réfléchir au lancement d’un nouveau parfum, et ça a donné Dior J’adore. Mondino nous aimait bien, il nous a beaucoup aidé à l’époque. Le succès rapide de Dior J’adore a donné envie à LVMH de nous faire confiance et Corinne Delattre a eu le courage de nous confier tout le budget Kenzo. C’est avec elle qu’on a lancé Flower, avec tout l’univers que nous connaissons encore aujourd’hui.

à l’époque, dans les années 1990, il n’y a pas un lancement de parfum dans le monde qui ait lieu sans qu’Air soit consultée

IN. : à Paris vous n’aviez pas encore de bureaux !

E.H. : mais on avait mieux. Jean-Louis Coste, fondateur de l’hôtel, trouvait ça fun d’héberger un boat people et un belge pour leur premières réunion. Nous avions à disposition Le Salon vert au Coste pour faire nos PPM… (rires). C’était énorme. Puis en 1998 nous prenons nos propres locaux rue Saint Honoré, juste en face de l’hôtel. Guerlain, Kenzo, Dior, Cacharel, Miracle pour Lancôme avec Uma Turman… On ne gagne pas tous les pitch, mais je peux dire sans exagérer qu’à l’époque, il n’y a pas un lancement de parfum dans le monde qui ait lieu sans qu’Air soit consultée. Jusqu’à ce que que Martin Sorell veuille se payer une danseuse… WPP nous rachetait 1 milliard de francs belges. Hélas, Ben Laden et l’attentat des tours jumelles ont tué aussi ce rêve là. On n’est pas devenu riches et on est retourné au charbon.

En 2014, nous sommes agence de l’année, et comme ça se passe régulièrement pour une agence indépendante, on nous approche à nouveau pour nous racheter

IN. : vous faites encore une sacrée pirouette en 2007…

E.H. : oui, je sors de Air Paris en 2007. Mon client Cacharel rachète mes parts. En 2014, nous sommes agence de l’année, et comme ça se passe régulièrement pour une agence indépendante, on nous approche à nouveau pour nous racheter. Cette fois, c’est McCann. Avec mon associé Stéphane Buisseret, on se dit alors que l’on ne va pas vendre, mais plutôt proposer à McCann de les reprendre en Belgique. … En effet, l’argument est simple : la Belgique c’est trop petit pour que l’on n’y investisse beaucoup, mais c’est trop important pour ne pas y être représenté, Bruxelles étant la capitale de l’Europe où s’installent de nombreux headquarters.…Nous voilà avec un beau portefeuilles de marques à gérer, Mastercard, Nespresso, Qualcom, Black & Decker

IN. : pendant toutes ces années néanmoins vous poursuivez votre engagement auprès d’associations ou organisations…

E.H. : depuis plus de 20 ans, nous consacrons 20% de notre temps, de notre énergie, de notre talent et in fine de nos revenus, à défendre des causes ou des valeurs qui nous sont chères : Amnesty, CAP 48, première association en Belgique pour l’intégration des personnes handicapées, mais aussi la Fondation Polaire Internationale que nous avons hébergé dans nos bureaux pendant des années. Nous sommes allés à la rescousse de salles de cinéma d’art et d’essai, nous avons contribué à la création de «Music Fund» pour qui la musique est un instrument de développement social…. Et la semaine dernière, moins comme une consécration que comme une suite logique, nous avons obtenu notre certification B-corp… Nous faisons partie des 3 premières agences créatives certifiées, on en est assez fiers, j’avoue.

Nous n’avons pas de fierté nationale, zéro chauvinisme. On dispose d’une grande auto-dérision. Nous sommes un pays jeune qui a été envahi par à peu près tout le monde…

IN. : je vais vous poser une question que l’on vous a sans doute déjà posée. Y-a-t-il une méthode… belge ?

E.H. : ce n’est pas une méthode, c’est plus une manière de voir la vie. Nous sommes comme ça. Nous n’avons pas de fierté nationale, zéro chauvinisme. On dispose d’une grande auto-dérision. Nous sommes un pays jeune qui a été envahi par à peu près tout le monde… On est très cosmopolite, on s’adapte très bien. On bosse beaucoup, on ne va pas déjeuner, et à Bruxelles, contrairement à Paris, chaque conversation n’est pas un match qu’il faut gagner.

IN. : la covid a pesé sur l’agence. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

E.H. : Nous sommes désormais une cinquantaine. On s’est bien fait ch… avec le télétravil, on s’en est bien sortis.

et la campagne Dior J’adore a été créée chez Air Paris, avec mon vieux camarade, DA et associé Tho Van Tran. À mon avis, le meilleur DA de sa génération…

 

IN. : si vous deviez choisir des campagnes cultes issues de votre « clan » ?

E.H. : cette campagne que je ne pourrais, ni ne voudrais plus sortir aujourd’hui parce que la société (et moi) ne l’accepterions plus, pour Piper-Heisieck chez DDB, que j’adore et qui avait été élue campagne presse Magazine de la décennie 80 par l’APPM et qui avait gaulé des tas d’autres prix à l’époque. J’en étais le concepteur-rédacteur, Christian Vince le directeur artistique et Peter Lindbergh celui qui avait photographié nos super models, Stephanie Seymour, Helena Christensen et plein d’autres qui voulaient en être. Pol Goirand en avait shooté les packshot.

Deux annonces d’une campagne Amnesty International contre la torture qui a fait le tour du monde, tout comme cette annonce Cap 48 (première association en Belgique pour l’intégration des personnes handicapées). Tania, qui n’a qu’un bras, était à l’époque graphiste chez Air. Elle a accepté d’être modèle pour ce détournement d’une célèbre annonce de Frédéric Begbeider pour Wonderbra avec Eva Herzigova. La toute première DP pour Dior J’adore avec Carmen Kass ; comme Flower de Kenzo, Miracle de Lancôme et tant d’autres, la campagne Dior J’adore a été créée chez Air Paris, avec mon vieux camarade, DA et associé Tho Van Tran. À mon avis, le meilleur DA de sa génération…

Tendre vers le Zéro Déchets quand on vient de la Fast Fashion, ça demande du cran !

IN. : aujourd’hui, une campagne capte notre attention, pour Jules, Men in progress, une belle signature qui reflète l’état d’esprit nécessaire pour vaincre le patriarcat…

E.H. : oui, nous avons remporté ce budget qui nous tient à cœur il y a quelques années (NDLR : contre Buzzman) C’est un boulot engagé pour une marque qui ne l’est pas moins. Tendre vers le Zéro Déchets quand on vient de la Fast Fashion, ça demande du cran !

IN. : finalement de votre fief bruxellois, vous êtes partout… sans faire de bruit…

E.H. Oui, on se retrouve régulièrement en pitch contre Buzzman, Marcel, d’autres qu’on admire. On ne gagne pas toujours, mais ce qui est nouveau, c’est que de Bruxelles, on peut aujourd’hui conseiller de grandes marques à Paris, à Amsterdam ou ailleurs.

À retenir

Après avoir réalisé l’interview de Véronique Sels grande publicitaire et auteure (son cinquième roman, Même pas mort vient d’être publié, NDLR), INfluencia poursuit sa série Pubards de génie, avec Éric Hollander, une personnalité hors du commun qui depuis Bruxelles poursuit l’aventure publicitaire tout en étant l’homme engagé que l’on sait.

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