« Hourra ! J’ai la carte de crédit de mon mec ! » (Auchan, 2017), « Marianne, chef d’entreprise et maman avant tout » (Uber, 2018). Les publicitaires continuent d’exploiter le vieux filon des dérapages « sexistes » et peinent à traduire les « questions de genre ».
Lutter contre les stéréotypes sexuels, sexistes et sexués dans la publicité. C’est le combat, à l’initiative du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), dans lequel se sont engagés le 6 mars 2018 les acteurs de ce secteur et 28 annonceurs* en signant une charte d’engagements volontaires pour agir contre leur usage dans la pub.
Lente prise de conscience
Le CSA avait publié en octobre 2017 une étude sur l’image des femmes dans la publicité télévisuelle. Plus de 2000 spots visionnés (d’octobre 2016 à avril 2017) y mettaient en évidence la « persistance des stéréotypes de genre ». Le constat est sans appel : les hommes sont davantage mis en scène que les femmes (54 % vs 46 %) dans les publicités. Ce déséquilibre s’accentue en ce qui concerne les rôles d’experts, occupés à 82 % par des hommes (vs 18 % de femmes). De plus, il apparaît que les deux tiers des publicités présentant des personnages avec des connotations sexuelles mettent en scène des représentantes de la gent féminine (67 % vs 33 % pour les hommes).
On observe également une sexualisation par produits ; les hommes pour parler d’automobile et les femmes pour l’entretien du corps. La mobilisation pour la lutte contre les stéréotypes dans la pub s’est déjà organisée au niveau international. De grands groupes (Alibaba, Google, Facebook, Microsoft, Publicis, WPP…) et la fédération mondiale du secteur WFA se sont investis dans l’Unstereotype Alliance, projet initié en 2017 par Unilever et UN Woman (l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes).
Si les clichés perdurent au XXIème siècle -les réactions outrées des internautes sur la pub Twingo de Renault en 2017, qui propose aux femmes des vernis assortis à leur carrosserie en attestent-, les professionnels du secteur commencent à mesurer l’importance de faire évoluer la représentation de l’image de la femme et de l’homme dans la pub. Un pas significatif au souvenir de l’opposition des publicitaires au projet de loi antisexiste (1983) proposé par Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme, qui se solda par un échec. C’est l’époque où la question du renforcement des règles contre le sexisme dans la pub a fait son entrée dans le débat public et qui aujourd’hui fait partie des missions du CSA dans le cadre de la loi Égalité et Citoyenneté.
Autocontrôle, réseaux sociaux obligent
Si le chemin paraît encore sinueux, annonceurs et publicitaires se doivent désormais de prendre en considération les réalités de la société dans leurs propositions. « La publicité prend un tournant, elle est autocontrôlée. On ne pense plus seulement à la création et aux messages, mais à comment les gens vont les accepter et quels seront les retours sur les réseaux sociaux. La question est : jusqu’où je peux aller sans que la liberté puisse blesser ? Dans les années 1980, lorsqu’une pub heurtait un public, les annonceurs prononçaient des mots d’excuse. Aujourd’hui, ils sont très prudents, notamment face au féminisme », indique Anne Saint Dreux, directrice de la Maison de la Pub. Une tendance que confirme Olivier Altmann, co-fondateur d’Altmann+Pacreau : « on retrouve une forme de militantisme et de nouveau féminisme qui fait que le politiquement correct revient au galop. Le rapport homme/femme à l’américaine arrivé en France depuis dix ans s’accélère aujourd’hui. Les marques deviennent donc prudentes, car elles sont désormais très critiquables par les consommateurs sur les réseaux sociaux. Tout est analysé, décodé, décrypté… Il faut avoir une conscience sociale ».
En effet, les annonceurs deviennent très vigilants quant au contenu de leurs campagnes en raison du poids impactant des commentaires sur les réseaux sociaux. « Un sondage Ipsos indique que 4 personnes sur 10 choquées par la représentation des femmes sont prêtes à réagir. Il y a un filtre social indépendant et spontané qui ne laisse pas les marques jouer avec des stéréotypes machistes. Aujourd’hui, on doit penser social », explique Andrea Stillacci, créatif et fondateur de Herezie. Pendant des décennies, la représentation des hommes et des femmes était liée à des activités (domestique/travail), qui correspondaient à la réalité sociale avec « une féminité subordonnée à l’homme », indique Christelle Delarue, fondatrice et présidente de l’agence Mad&Woman. Dans les années 1990 sont apparues les working women, « les femmes qui assurent en Rodier », une grande campagne de Marie-Catherine Dupuy (BDDP), alors que les hommes commençaient à se préoccuper des enfants. « Dans les années 2000, la pub entre dans un cycle vertueux, vers l’acceptation de la femme « normale » tandis que les hommes sont parfois tournés en dérision », explique Anne Saint Dreux. À l’image de la marque de soins du corps Dove, engagée auprès des femmes de tous les jours, âges, styles, morphologies…
« Depuis sa création, Dove défend la vision d’une beauté authentique, diverse, plurielle, qui s’affranchit des diktats de la beauté et des modèles imposés, restrictifs et inaccessibles. Nous présentons des femmes qui ne sont pas des mannequins, mais des femmes dans la vraie vie. Nous voulons que les femmes assument leur propre beauté sans contraintes parce que la beauté est source de confiance. Nous avons lancé un projet « Dove pour l’estime de soi » afin d’aider les jeunes filles à construire leur estime de soi et à cultiver une relation positive avec leur corps. Cela dans un environnement où les réseaux sociaux, peu soumis à la modération, soumettent des stéréotypes de beauté de façon plus pernicieuse », exprime Delphine Leroyer, responsable de la marque.
Le genre en campagne
Ces dernières années, de nouvelles dynamiques, qui sont le miroir de la société, émergent et contribuent à montrer les différentes facettes des femmes et des hommes. « Nous assistons aujourd’hui à une révolution sur le genre. Les femmes reprennent du pouvoir et peuvent avoir des représentations diverses, inclusives, en relation avec les hommes. Elles célèbrent ce qu’elles sont : des femmes à multiples facettes », expose Christelle Delarue.
Quelle représentation la femme et l’homme auront demain dans la pub télé à l’heure où la société commence à reconnaître l’existence des genres non binaires (gender fluid…) ? Une seule certitude, comme le souligne Christelle Delarue : « Nous sommes à la fin de l’ère de la binarité dans laquelle la femme est enfermée avec l’injonction de tout réussir ». Toujours est-il que la femme pourrait bien prendre plus de pouvoir et révéler ses différents traits de caractère. Selon Andrea Stillacci, « la publicité et les marques vont maîtriser les aspects « ange et démon » symbolisant la femme à travers sa beauté et une séduction assumée. Les campagnes ne seront alors plus dictées par un regard masculin. Du côté des hommes, on va vers un retour de la masculinité plus assurée ». Reste que dans une société ultra technologique, les individus sont aujourd’hui de plus en plus en quête de sens, « une tendance qui va s’incarner dans de nouveaux hommes et nouvelles femmes, et sera croisée aux gènes de la marque dans les campagnes de demain », conclut Olivier Altmann.
*Signataires de la charte : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), l’Union des Annonceurs (UDA), l’Association des Agences Conseil en Communication (AACC) et l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), Bel, BNP Paribas, Citeo, Citroën, Coca-Cola, Danone, DS, EDF, Ferrero, Galeries Lafayette, Lesieur, L’Oréal, Mars, Michelin, Nespresso, Nestlé, Opel, Orange, Orangina, Pernod Ricard, Peugeot, PMU, Procter & Gamble, Renault, SNCF, Société Générale, Unilever, Yves Rocher.
Illustrations par Étienne Delatour
Cet article a été tiré de la revue INfluencia n°25 : « Secouez-moi, secouez-moi : 50 ans de pub TV », à retrouver juste là.