30 mars 2016

Temps de lecture : 3 min

Un produit de consommation peut-il devenir une œuvre d’art ?

L’intervention ou la volonté de l’artiste peut modifier la valeur d’un objet. Ainsi les marketers instaurent-ils des collaborations avec des artistes, où chacun tire son épingle du jeu… au risque de voir la créativité basculer au rang de levier providentiel pour la marque.

L’intervention ou la volonté de l’artiste peut modifier la valeur d’un objet. Ainsi les marketers instaurent-ils des collaborations avec des artistes, où chacun tire son épingle du jeu… au risque de voir la créativité basculer au rang de levier providentiel pour la marque.

Les marques, en multipliant les collaborations artistiques, élargissent leurs champs d’expression et d’originalité. Si elles vont chercher du « sens » dans l’art, voire une forme de « légitimité », elles permettent également à des artistes d’explorer de nouveaux lieux d’expression de leur créativité.

Du supermarché au musée

La récente interprétation artistique par Jeff Koons d’une bouteille de Rosé Vintage Dom Pérignon (et surtout de son coffret) dépasse le simple enjeu marketing, car le produit – quel que soit le jugement que l’on peut porter formellement sur ce projet – devient selon l’artiste William Sweetlove une œuvre de création originale à part entière. Elle élève ainsi la marque au statut de mécène et son produit au rang d’œuvre d’art, de même qu’André Breton disait des ready-made de Marcel Duchamp qu’ils constituaient des « objets élevés à la dignité d’œuvre d’art par la volonté de l’artiste ».

Le passé a connu ce même type de phénomène que l’on pourrait qualifier de « rehaussement » (si toutefois l’on introduit une notion de hiérarchie) ou de « déplacement » d’un champ d’expression à l’autre. C’est évidemment l’expérience du design qui en constitue la meilleure illustration. On pourrait citer le travail de Jean Prouvé, ferronnier de formation, qui au fil du temps a produit en grande quantité du mobilier industriel (destiné principalement aux administrations publiques et collectivités) et qui a accédé d’abord au statut de designer (en l’occurrence l’un des plus respectés et reconnus sur le marché), puis à celui d’artiste : l’artisan est devenu industriel, l’industriel designer, et le designer artiste. Il suffit de voir comment sont aujourd’hui présentées ses pièces de mobilier dans les plus grandes galeries du monde et les musées les plus prestigieux : au même rang que des œuvres d’art, parfois posées sur des socles, à hauteur d’homme, comme des sculptures. C’est la même trajectoire que peut suivre une marque en sublimant son produit, d’un produit manufacturé à une édition limitée d’œuvre d’art. Le produit de masse (souvent entendu péjorativement) accédant de manière inattendue (« inespérée » diront certains) au rang d’œuvre à part entière.

Aura et capillarité

De la même manière, les marques peuvent créer un véritable discours autour de leurs valeurs, et des valeurs d’un artiste ou d’un mouvement artistique. C’est ce que Bally a réussi à faire récemment en communiquant au cœur même du marché de l’art (à la Foire d’Art Contemporain de Bâle, de Miami, au Design Show de Shanghai) sur ses valeurs intrinsèques à travers les œuvres de créateurs historiques, notamment en exposant une maison démontable de Jean Prouvé. En recentrant son identité sur les valeurs d’architectes ou de designers comme le modernisme, le fonctionnalisme et l’exigence formelle, Bally enrichit et renforce, par capillarité, son univers de marque avec ces valeurs. Dès lors, l’on voit clairement comment la créativité des artistes et leur héritage viennent servir et nourrir les marques. Les artistes contemporains pouvant se mettre littéralement à leur « service ». Les marques permettant dans une certaine mesure à des artistes de profiter d’une aura et d’une reconnaissance mondiale. Peu de gens connaissaient le travail de Takashi Murakami avant que Louis Vuitton ne fasse appel à lui pour réinterpréter son monogramme. Il est aujourd’hui l’un des artistes contemporains les plus cotés et reconnus de sa génération.

La créativité manipulée

S’il existe des initiatives réellement créatives comme la campagne d’affichage « The Art of Raw » de G-Star – qui depuis 2011 commercialise en collaboration avec Vitra des rééditions de meubles de Jean Prouvé – ou des marques qui multiplient des collaborations pour des créations originales comme le design des bouteilles de Cognac Hennessy confié à Arik Levy, il demeure le risque d’une « récupération » savamment orchestrée. Les marques peuvent en effet parfois être tentées – au mépris du droit d’auteur – de reproduire les « identifiants essentiels et caractéristiques d’une œuvre originale » sans solliciter l’autorisation préalable de l’artiste. Ce qui, juridiquement, s’analyse comme une forme de parasitisme artistique. C’est donc aux marques d’être vigilantes et respecter la créativité originale des artistes avec lesquels elles collaborent. C’est au cœur de l’expression que s’exprime l’acte de création, et c’est au cœur de la marque et du produit que doit également s’exprimer la créativité.

Article extrait de la revue N°14, « La Créativité »

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