21 mai 2025

Temps de lecture : 8 min

Polycrise : Courrier international a retrouvé un rôle majeur pour décrypter la complexité du monde

Depuis 35 ans, Courrier international raconte l’actualité à travers des articles traduits de la presse étrangère. Une manière de décentrer le regard et de proposer des pas de côté qui sont autant de respirations dans un monde qui s’emballe. Claire Carrard, directrice de la rédaction, et François-Xavier Devaux, président du directoire, expliquent les partis-pris et la dynamique de ce média qui s’est taillé une place de choix dans les titres d’actualité.

INfluencia : depuis trois ans, l’actualité internationale est particulièrement intense avec la guerre en Ukraine, les attentats du 7 octobre en Israël puis la guerre à Gaza, l’élection puis l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche… Comment Courrier international aborde cette actualité de haute intensité ?

Claire Carrard : cette séquence de polycrise, avec beaucoup de tensions à l’international, nous porte même si nous essayons aussi de nous en détacher. Nous avons certes une identité forte autour de la géopolitique mais nous tenons aussi raconter le monde autrement par le biais des questions de société, des sciences, de l’économie, de la culture…, en allant chercher des histoires qu’on ne lira nulle part ailleurs. Pour Courrier international, la bascule en termes de surchauffe d’actualité, de chiffres et même d’organisation, a débuté dès le Covid. Regarder ce qui se passe dans le monde nous avait donné un petit temps d’avance et nous avions publié très tôt des articles sur ce qui émergeait en Chine, puis en Italie. Nous naviguons depuis 2020 dans une superposition d’actualités qui rendent la compréhension du monde beaucoup plus compliquée. Courrier international a retrouvé son rôle majeur de décryptage, en s’efforçant de poser les choses le plus tranquillement possible, en allant chercher des pensées et des points de vue qui racontent un autre récit du monde. La rédaction ressemble un peu à l’ONU avec des journalistes qui parlent trois à cinq langues, sont des spécialistes de leur zone géographique et de leurs thématiques et savent toujours où aller chercher un article quand il y a une actualité. C’est très précieux. A coté de l’actualité chaude qui est traitée sur le site, l’hebdomadaire construit des dossiers plus anglés. Comme nous sommes un média de traduction, il nous faut aussi le temps d’obtenir les droits sur les articles, de les traduire, les éditer… Cela permet de ne pas courir en permanence après l’actualité même si on n’y échappe pas quand il y a une actualité très forte, par exemple lorsque Donald Trump a annoncé ses droits de douane.

La rédaction ressemble un peu à l’ONU avec des journalistes qui parlent trois à cinq langues, sont des spécialistes de leur zone géographique et savent toujours où aller chercher l’info quand il y a une actualité

IN. : l’arrivée de Donald Trump au pouvoir a réinjecté une dose de chaos dans l’actualité. Les médias français parlent de sidération, de fin de cycle, de projet révolutionnaire… Est-ce un tropisme français ou quelque chose que l’on voit aussi à l’étranger ?

C.C. : toutes les presses du monde essayent de décrypter ce qu’il y a derrière le président américain et son projet révolutionnaire, décrit par les oligarques et les penseurs de la Silicon Valley. Il est d’ailleurs étonnant de voir à quel point il serait difficile en ce moment de sortir un numéro sans parler de Donald Trump car la vague atteint tous les niveaux : la géopolitique, l’économie, la culture… La sidération est en train de s’estomper mais on n’est pas à l’abri de surprises et je me garderais bien de tout pronostic sur ce point. Les analyses dans la presse étrangère ne sont pas toutes concordantes mais on voit bien que l’équilibre du monde a bougé et que le mouvement n’a pas débuté en janvier 2025. Le discours impérialiste de Donald Trump isole les États-Unis du reste du monde mais le monde ne l’a pas attendu pour se recomposer. Il se redessine d’ailleurs partiellement sans les Américains.

La richesse de Courrier international, c’est sa diversité de points de vue. C’est pour cela que nous tenons absolument à traduire aussi des articles qui nous dérangent

IN. : dans un monde en crise et de plus en plus polarisé, exposer tous les points de vue est-il devenu une vraie gageure ?

C.C. : la richesse de Courrier international, c’est cette diversité de points de vue. C’est pour cela que nous tenons absolument à traduire des articles qui nous dérangent, en signalant toujours la source et en qualifiant le positionnement du média pour les papiers d’opinion et d’analyse. Nous avons publié des articles issus de la presse pro-Trump pour permettre au lecteur de se faire son opinion. Sur les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, nous avons aussi adopté cette posture en faisant attention à ne pas donner trop d’importance à des paroles très virulentes et de points de vue trop radicaux. Les articles traduits de la presse russe permettent de montrer à nos lecteurs ce que les Russes lisent chez eux. Idem pour la presse officielle chinoise. Concernant la Russie, nous ne traduisons presque plus de source officielle car, du fait des sanctions, nous n’avons pas l’autorisation de payer les droits. Nous faisons des revues de presse et nous traduisons la presse en exil.

Les unes de Courrier décryptent le monde à travers la géopolitique, les sciences, la culture... L'hebdo a proposé une traduction exclusive de l'interview accordée par Donald Trump à The Atlantic.

IN. : sur cette question des droits, comment travaillez-vous avec les 1500 sources qui alimentent votre média ?

François-Xavier Devaux : nous avons des accords-cadres avec la vingtaine de grands médias avec lesquels nous travaillons de manière récurrente et, selon les besoins, nous nouons des accords ponctuels avec des sources plus confidentielles ou indépendantes. Avec nos partenaires habituels, les relations s’inscrivent dans la durée et se passent plutôt bien, même si elles peuvent parfois devenir plus compliquées avec les grands groupes qui ont tendance à fusionner ou en année électorale quand certains grands journaux américains augmentent leurs tarifs.

IN. : le Groupe Le Monde, dont fait partie Courrier international, utilise l’IA pour traduire les articles destinés au Monde in English et à M International. Est-ce aussi le cas pour la traduction des articles étrangers publiés dans Courrier international ?

FX.X. : Pas du tout ! La traduction est faite « à la main ». Notre curiosité nous pousse évidemment à regarder et analyser ce qui se fait dans ce domaine. Nous ne nous interdisons rien mais pour l’instant, nous sommes très heureux de la manière dont le journal se porte. Il y a chez Courrier international une agilité et une expertise très forte, mais aussi un côté très artisanal dont il faut prendre soin.

Dans les grandes crises politiques que traverse la France, la presse étrangère a toujours un œil assez avisé

IN. : vous limitez le nombre de couvertures sur la France. Certaines se sont pourtant très bien vendues l’été dernier…

C.C. : nous avons consacré plusieurs unes à la France, après la dissolution de l’Assemblée nationale et la perspective d’une possible arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Entre les deux tours des législatives, nous avions même osé une couv’ que nous trouvions d’une audace inouïe – « Et si la gauche l’emportait ? » – en y croyant qu’à moitié mais aussi pour rééquilibrer les discours. Dans les grandes crises politiques que traverse la France, la presse étrangère a toujours un œil assez avisé. Elle a vu venir Emmanuel Macron bien avant tout le monde. L’été dernier, il y a aussi eu un effet Jeux olympiques sur l’hebdo et sur le site dont les audiences ont explosé. Chaque fois que nous passons sur le site un papier sur la France vue de l’étranger, il faut reconnaître que cela marche. La distance que la presse étrangère met dans leur propre regard intéresse les gens, permet de se situer…

IN. : ces dernières années, la diffusion et l’audience de Courrier international ont été portées par l’actualité. Cela a-t-il aussi profité au nombre d’abonnés numériques et comment les revenus des lecteurs contribuent-ils au modèle économique ?

FX.X. : économiquement et sur tous ses indicateurs de diffusion, Courrier international est un titre en plein essor, ce qui est très réjouissant. Il dégage un bénéfice depuis sept ou huit ans – entre un et deux millions d’euros selon les années – ce qui nous permet d’investir, de rester indépendant et de gagner en liberté. Le chiffre d’affaires abonnés (print et numérique) représente 75 % du chiffre d’affaires total. Nous avions 50 à 55 000 abonnés numériques en 2021 et, aujourd’hui, nous sommes au-delà des 80 000. Avec une diffusion payante d’environ 170 000 exemplaires, légèrement en croissance, Courrier international est devenu un titre assez important dans son univers de concurrence. L’audience s’est élargie (1,39 million de lecteurs dernière période lors de la première vague OneNext 2025, ndlr) et nous continuons à avoir un lectorat assez jeune, ce qui est atypique par rapport à nos concurrents.

Économiquement et sur tous ses indicateurs de diffusion, Courrier international est un titre en plein essor, ce qui est très réjouissant

IN. : est-ce lié en partie aux offres que la marque destine plus particulièrement aux jeunes ?

FX.X. : depuis 2021, nous publions deux numéros par an du supplément Courrier Ados. Nous en ferons peut-être davantage un jour car il y a une demande et que nous voulons aussi mettre la presse papier dans les mains des plus jeunes. Il y a deux ans, nous avons aussi lancé Courrier Stories pour les 15-25 ans dans tout l’écosystème numérique de la marque, sur le site et en social. C’est un marchepied pour donner le goût de l’information à un public plus jeune et l’amener à Courrier international.

C.C. : Courrier Ados garde la structure du journal mais en s’adressant à ce public avec des sujets qui les concernent plus particulièrement. Le numéro de l’été dernier intitulé « Où sont passés les bisous » a très bien fonctionné. Sur Stories, les formats sont plus courts. Il y a davantage de pop culture et de décryptage par les formats visuels (photographie, cartes, dessins de presse…) pour donner le goût de l’information avec un côté ludique, des clés de compréhension de l’actualité avec un effet miroir, parfois découverte et curiosité.

L’appli, qui est notre chantier principal depuis un an, concentre nos réflexions

IN. : explorez-vous d’autres sources de diversification ?

FX.X. :  nous faisons un peu de diversification mais en privilégiant dans ce que nous savons faire. D’abord parce que nous ne sommes qu’une équipe de près de 90 salariés, dont 40 journalistes, et que c’est déjà un exploit de sortir chaque semaine un hebdo, d’alimenter tout cet écosystème numérique, et des hors-séries. Sur ce sujet aussi, on essaie aussi de faire des pas de côté. Tout le monde fait des conférences. Nous avons préféré organiser des soirées abonnés qui resserrent les liens avec nos lecteurs plutôt que de courir après des relais de croissance parfois un peu artificiels.

C.C. : je préfère privilégier les projets éditoriaux pour faire de la pédagogie sur l’information et permettre de confronter les points de vue sur de nouveaux supports. L’appli, qui est notre chantier principal depuis un an, concentre nos réflexions. Nous avons déjà lancé la vidéo verticale, la personnalisation des rubriques… Sur le numérique, nous pourrions aussi refaire des podcasts.

IN. : au-delà de la diversité de points de vue, vous tenez à proposer une diversité de sujets. Est-ce une manière d’échapper à la saturation d’une actualité devenue trop lourde ?  

C.C. : il faut pouvoir alterner entre des sujets pour faire baisser la pression et garder un plaisir à la lecture. Aller sur d’autres terrains est aussi une manière de développer la curiosité avec des papiers sur les échos du monde que l’on ne lira nulle part ailleurs. Tous les matins sur l’adresse collective de la rédaction, nous faisons un tour du monde immobile avec des informations de ce qui se passe en Corée, aux Etats-Unis, au Mexique, en Afrique du Sud… Avec des choses très graves et très lourdes, et d’autres très inattendues qui nous placent dans un apprentissage permanent. Nous voulons transmettre à nos lecteurs cette aventure sur le monde, en traduisant ce qu’il y a de plus enthousiasmant, intéressant, percutant et pertinent. C’est incroyable de voir ce que, dans la presse étrangère, on peut aussi apprendre sur nous-mêmes. Nous avons consacré trois pages à une maison de retraite près de Guingamp dans les Côtes d’Armor dont avait parlé un journal néerlandais, traduit des articles parlant de thérapies sur les bancs publics au Zimbabwé, de jeunes Coréens qui adoptent des pierres pour tromper leur solitude… Ne pas être seulement l’écho des guerres et de la souffrance ne revient pas à travestir ce qui se passe dans le monde mais montrer qu’il se passe aussi de belles choses. Il faut donc passer aussi des sujets légers, montrer les projets qui réinventent le monde… Depuis deux ans, nous travaillons ce sillon parce que nous en avons tous besoin. L’été dernier, nous avons publié un dossier intitulé « Pourquoi court-on ? », qui est à la fois une question matérielle et philosophique. Plus récemment un autre sur le besoin de lire. Ces signaux faibles racontent quelque chose de très commun à l’humanité et je trouve cela formidable.

En savoir plus

Courrier international en chiffres :

Diffusion France payée : 158 494 ex. en 2024 (+5,84 %), source ACPM

Diffusion totale payée (France + étranger) : 165 776 ex. en 2024 (+5,3 %), source ACPM

Le magazine a obtenu deux Etoiles ACPM en 2025 : une pour la progression de sa diffusion dans la catégorie presse magazine / catégorie Actualités, économie et Juridique (+8 813 ex.) et l’autre pour sa constance dans le succès (+6 416 en entre 2020 et 2024).

 

Audience 2025 : 1,4 millions de lecteurs chaque semaine (OneNext Global 2025 S1)

606 000 lecteurs CSP+ par semaine (devant Le Point à 546 000 LDP CSP+)

208 000 lecteurs Top cadres & revenus de moins de 50 ans (devant Le Nouvel Obs à 172 000 LDP)

5,2 millions de lecteurs print & digital par mois

Les lecteurs se situent à 70 % en France et pour 10 % dans les pays francophones (Suisse, Belgique, Canada), les autres pays d’Europe représentant 1 à 2 % de l’audience (source éditeur).

 

2,6 millions d’internautes par mois

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Sur les réseaux sociaux, la marque compte 1,5 millions de followers sur Facebook, 430 000 abonnés sur Instagram, 101 000 sur TikTok et 144 000 sur sa chaîne YouTube.

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