En prison, les clichés ont la vie dure. Le quotidien des détenus semble être rythmé par la promiscuité, les séances de musculation et les balades entre 4 murs. Mais à Lima, au Pérou, un Français est en passe de réussir un sacré pari : utiliser les ressources humaines carcérales pour créer une marque de vêtements…
Alors qu’en France on se demande encore si le contrat de travail pour un prisonnier est constitutionnel, d’autres états comme le Pérou en sont à tester des idées de reconversion inédites ! C’est le cas d’un projet entreprenarial lancé par un Français depuis 1 an. Quand Thomas Jacob visite la prison » San Jorge » de Lima au Pérou, il ne se doute pas que cette entrevue va bouleverser sa vie… et celle de dizaines de détenus : « Il y a presque un an, une amie de l’ambassade française m’a invité à visiter une prison où elle avait mis en place des ateliers. Là-bas, j’ai pris une claque. J’ai rencontré des gens absolument géniaux, super ouverts, mais qui ne faisaient rien de leurs journées . Il y avait pourtant quelques ateliers, mais ils ne servaient qu’à répondre aux besoins des prisonniers. Je me suis rendu compte qu’il était possible de faire plein de choses, qu’il y avait un potentiel énorme, mais personne n’y croyait, à part les détenus qui étaient vraiment enthousiastes. Je ne pouvais plus reculer. » Témoigne Thomas Jacob, fondateur de du fashion label Pietà . Dans la foulée, il décide donc de convaincre l’administration pénitentiaire. En quelques jours seulement, la machine est lancée et Pietà voit le jour.
Pendant des mois, le jeune Français et les détenus vont travailler sans relâche pour mener à bien ce projet. En fonction des outils à disposition et des compétences de chacun, ils ont pu mettre en place une collection de vêtements tout en adoptant une démarche très forte. « Pour développer des habits de la plus haute qualité possible, nous avons fait appel à la richesse du territoire péruvien dont nous privilégions les matières écologiques et organiques », confesse t-il. Et ce n’est pas tout. Toutes les pièces sont numérotées et signées par une broderie du détenu qui a réalisé le vêtement, symbole d’authenticité suprême. L’originalité de Pietà tient aussi dans son approche marketing. Pas de logo et un positionnement non défini permettant à la marque de s’insérer dans les différentes communautés de consommateurs. C’est le refus de l’uniformisation qui prime.Thomas Jacob mise aussi sur l’authenticité de son produit et la qualité de sa production. L’imaginaire brut, tatoué et bourré de testostérone de cet univers, véhiculé, il y a encore peu, par des séries comme Prison Break ou encore Oz, est aussi un positionnement marketing qui peut servir Pietà.
Pour les prisonniers, ce projet est une véritable aubaine. Il permet de retrouver fierté et confiance en soi, c’est aussi l’occasion de mettre à profit une période difficile à vivre. Cette aventure humaine a aussi une vocation sociale puisque chaque jour travaillé se traduit par une réduction de peine du même niveau. A terme, la marque compte bien ouvrir son premier magasin et employer les anciens détenus pour faire perdurer l’esprit Pietà.
Malgré la jeunesse avérée de la griffe, son authenticité et son caractère sont tels, qu’elle pourrait très vite capter l’attention de consommateurs à la recherche d’une forme d’engagement. Un engagement de plus en plus présent dans les actes d’achats…
Précisions avec son créateur Thomas Jacob :
INfluencia : Pourquoi le Pérou ?
Thomas Jacob : Cela fait trois ans que je suis à Lima. J’ai débarqué ici pour travailler pour une marque française et j’y suis resté un an. Depuis j’ai rejoint une autre compagnie dans tout ce qui est développement des matières. J’aime être ici et j’y ai toute ma vie, beaucoup d’amis et tout est beaucoup plus tranquille : des gens sympas et ouverts, curieux, qui ont envie d’apprendre. C’est très différent de la France. Le Pérou est en énorme croissance. Il y a aussi toute une histoire derrière, une diversité géographique très vaste. C’est vraiment l’un des plus beaux pays au monde.
INfluencia : Pourquoi avoir autant cassé les codes de la mode et du marketing avec Pietà ?
Thomas Jacob : On a voulu mettre en avant le travail manuel de l’artisan (le détenu qui a participé à la réalisation de la pièce brode son nom), qui prime sur le nom de marque. La « croix » que l’on coud dans le col, c’est justement la négation de l’aspect de tout ce qui est commerce/marketing/marque. Le côté « 100% handmade » est quasiment impossible à retrouver dans le monde de la mode aujourd’hui. On a même poussé le concept à designer la page web à la main en n’utilisant aucune typo. C’est un peu aussi le refus de l’uniformisation des cultures mondiales et bien évidement de la mode. Tous les sites internet se ressemblent, toutes les photos, tous les vêtements, tous les mannequins aussi. Je ne dis pas qu’on change tout ça, mais c’est l’objectif justement, au moins d’imposer à notre niveau nos idées et nos propositions.
Le but était aussi d’utiliser le moins de texte possible, pour laisser plus de force aux mots que l’on emploie pour les broderies. Pour le site c’est pareil, on a préféré dessiner pour que la compréhension soit la même pour un Japonais, un Français, un Péruvien… L’objectif à terme est de développer Pieta sans aucun texte, juste des images. Que ce soit une marque accessible à tous, et qui puisse même toucher un analphabète.
INfluencia : Quel avenir voyez-vous pour Pietà ?
Thomas Jacob : Nous nous sommes concentrés sur le menswear, mais je pense qu’à l’avenir nous développerons quelques pièces pour femmes que nous pourrions d’ailleurs réaliser avec d’autres designers sous forme de collaboration. L’important pour nous n’est pas de développer une gamme complète, mais plutôt quelques pièces fortes. L’objectif des prochaines collections sera d’être toujours plus créatifs et pourquoi pas ouvrir le label à d’autres productions que nous pourrions réaliser en prison – musique, film, édition – en étant toujours impertinent et irrévérencieux dans notre philosophie. On a pour l’instant vendu une centaine de pièces. Chaque jour il y a des commandes de particuliers, mais c’est dur de tout gérer au cas par cas. C’est pour cela que j’aimerais ouvrir notre propre boutique et bien sûr que certains détenus sortent vite de prison pour pouvoir nous développer !