6 octobre 2020

Temps de lecture : 5 min

Pierre Calmard : « Quand ils travaillent seuls, les annonceurs finissent par communiquer sur Google et Facebook »

Quelques jours après sa nomination à la présidence de Dentsu Aegis Network et membre du conseil d’administration de l’Udecam, Pierre Calmard est intervenu, ce mardi 6 octobre, lors des 14èmes Rencontres de l’Udecam*. Il détaille pour INfluencia ses réflexions sur le rôle d’une agence média auprès des marques et partage ses convictions sur le numérique et la data au service d’une publicité plus efficace et plus responsable.

Quelques jours après sa nomination à la présidence de Dentsu Aegis Network et membre du conseil d’administration de l’Udecam, Pierre Calmard est intervenu, ce mardi 6 octobre, lors des 14èmes Rencontres de l’Udecam*. Il détaille pour INfluencia ses réflexions sur le rôle d’une agence média auprès des marques et partage ses convictions sur le numérique et la data au service d’une publicité plus efficace et plus responsable.

INfluencia : comment faire vivre au sein de l’écosystème médias-agences-annonceurs la coopération que vous appelez de vos vœux ?

Pierre Calmard : le mot clé, c’est l’interdépendance. On a besoin d’avoir à la fois une communication et une publicité fortes – pour que les gens puissent consommer et avoir un emploi -, de vivre dans un monde propre et apaisé – donc dans une société écologiquement responsable – et aussi de se faire plaisir. Les agences médias ont un rôle clé parce qu’elles fluidifient la correspondance entre les comportements ou les aspirations des consommateurs et la façon dont les marques développent leurs produits. Une agence média n’est plus seulement fondée sur la publicité. On remonte de plus en plus dans l’authenticité et de la pertinence de la communication et au produit. Face à un consommateur éclairé et à l’heure des réseaux sociaux, il n’est plus possible de développer un discours publicitaire qui ne serait pas en adéquation avec la réalité des produits, sinon le risque réputationnel est considérable. L’agence média met en musique une stratégie pour exprimer la communication de la manière la plus efficace et pertinente. Pourtant, malgré ce rôle stratégique, les agences médias en France sont les moins rentables au monde. C’est vrai chez Dentsu et les autres. On est sur un marché très régulé, sans doute trop. Le désir légitime de transparence chez les annonceurs a un prix, mais n’est pas rémunéré. Aujourd’hui, il y a un problème d’équilibre sur le marché et une paupérisation de nos métiers qui porte préjudice aux annonceurs.

IN : sur quels besoins des marques une agence média fait-elle la différence ?

P.C. : les consommateurs-citoyens n’ont jamais eu autant de défiance envers les institutions et les marques. Les annonceurs ont donc besoin d’être accompagnés par de vrais experts, qui comprennent cet écosystème et sont capables de les faire évoluer, tout en gardant la pertinence de leur vision. Les marques qui veulent retrouver de la croissance devront s’orienter vers une croissance un peu différente que par le passé. C’est une erreur de penser que tout cela est très simple à orchestrer. Le marché de la communication est aujourd’hui très atomisé et complexe à gérer. Quand ils travaillent seuls, les annonceurs finissent par communiquer sur Google et Facebook. C’est un danger pour leur réputation et pour l’économie française, du fait de l’affaissement potentiel des médias nationaux. Savoir gérer la complexité est plus efficace pour une marque que de se concentrer seulement sur deux supports, aussi puissants soient-ils.

IN : la créativité est-elle toujours pour Dentsu un axe pour renforcer l’efficacité des campagnes et réconcilier les Français avec la pub ?

P.C. : Dentsu a l’avantage de ne pas subir l’héritage de la publicité traditionnelle. Notre fer de lance Isobar est une société très digitale, qui s’occupe de personnalisation, de programme relationnel, d’intrication entre publicité et CRM…, qui nous permet d’avoir de l’agilité et de la pertinence. La publicité « d’avant » a des idées géniales, qui peuvent être extrêmement séduisantes sur le moment, mais qui ne sont pas forcément pertinentes en termes de point de contact entre les attentes des consommateurs et la réalité des produits délivrés. Ce paradigme, qui a été très efficace, appartient au passé car le niveau d’éducation du consommateur n’a plus rien à voir à celui qu’il était il y a 20 ou 30 ans. Aujourd’hui, on peut continuer à rêver mais le rêve doit être en corrélation avec la réalité des produits. La créativité est clé pour créer une émotion qui repose sur de l’authenticité.

IN : le numérique et l’intelligence augmentée vont-ils encore modifier les métiers des agences médias ?

P.C. : on n’est qu’au début de tout ce qui est lié à l’automatisation ou à la génération de moteurs de personnalisation dans le digital, même si les cadres réglementaires ralentissent le mouvement. Il est tout à fait louable que la Cnil protège la vie privée des citoyens. Si elle devient un organisme qui empêche tout développement technologique en France et laisse aux Chinois et aux Américains le soin de développer des techniques beaucoup plus évoluées, dans 20 ans l’Europe et la France auront perdu le lien avec ce qui va inévitablement arriver demain. Il y a notamment une erreur de fond avec la personnalisation publicitaire. Plus on cible, plus les publicités sont pertinentes et efficaces, plus on évite le déluge publicitaire. On est en plein dans l’objectif RSE ! Ces questions sur l’utilisation des données personnelles à des fins publicitaires sont un débat d’Européens gras et mous du cerveau. On s’offusque d’avoir reçu une bannière publicitaire quand, dans d’autres pays, certains bataillent pour accéder à Internet pour s’informer, se divertir… On se trompe complètement de combat ! Qui a eu un préjudice grave pour avoir été exposé à une bannière publicitaire ? On dépense une énergie considérable pour un objectif dérisoire. Tout ce qui permet de rationnaliser l’investissement publicitaire doit être encouragé. Aujourd’hui, on fait l’inverse et ça n’a aucun sens.

IN : la data et les algorithmes ont renforcé la part du prédictif dans les business models. Pourtant, la période n’a jamais été aussi incertaine. Que vous inspire ce paradoxe ?

P.C. : les algorithmes actuels et le machine learning sont extrêmement bons pour prédire des phénomènes de court terme et qui répondent à une logique mathématique. Enormément de progrès ont été réalisés et cela va continuer. L’IA est beaucoup plus faible pour prendre en compte les phénomènes très rupturistes ou de fond, perceptibles dans les micro-événements. Mon auteur de science-fiction favori, Isaac Asimov, n’a pas seulement énoncé que les trois de la robotique, qui servent aujourd’hui au développement des algorithmes. Il a aussi inventé les robots avec un cerveau positronique [qui tient le rôle d’unité centrale pour les robots, ndlr] et la « psychohistoire », une sorte de science qui permet de prédire les évolutions sociétales sur le très long terme. On est aux balbutiements de cette histoire mais c’est ce que l’on devra faire demain. Pour l’instant, la meilleure machine de psychohistoire reste l’être humain ! Dans la combinaison entre raison et émotion, on se rend compte à quel point nos métiers et nos vies sont encore beaucoup dans l’émotion. La crise du Covid nous a replongé dans une incertitude, sans qu’aucun expert puisse prédire ce qui va se passer dans une semaine. Cela nous incite à revenir à ce qui a toujours permis à l’humanité de s’en tirer : essayer de résoudre les problèmes que la nature lui pose en mode coopératif. C’est comme cela que nous pourrons essayer d’endiguer les pandémies ou le réchauffement climatique, et de préserver ce que l’on est.

* la session du mardi 6 octobre « Ensemble responsables pour notre société » a réuni Pierre Louette, pdg du groupe Les Echos Le Parisien ; Pierre Calmard, président de Dentsu Aegis Network ; Patrick Mercier, CEO de Change ; Emilie Thiry, directrice de The Good.

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