17 octobre 2025

Temps de lecture : 11 min

Petite histoire des médias : de la lente quête de massification au risque de disparition ?

De l’art pariétal aux IA génératives, l’histoire des médias épouse assez fidèlement celle de l’Homme et de son évolution cognitive, sociale, économique, technologique... Une histoire ancienne dont nous avons tiré 9 dates arbitraires, des périodes fastes, jusqu'au péril actuel.

1. Le mur de la grotte : premier média de l’Histoire ?

Il y a 40 000 ans, nos ancêtres partaient à la conquête de l’espace. Celui des parois verticales des grottes qui leur servaient de refuge et devenaient (presque) soudainement un espace d’expression. Mains, chevaux, mammouths, lions, bisons, points, lignes étaient les premières représentations et le mur devenait le premier media.

Un support transitoire d’une société en devenir qui prenait conscience de sa place dans son environnement.

« Dans les grottes, l’art est probablement dicté par un besoin impérieux de communiquer », souligne Patrick Paillet, préhistorien et maître de conférences au Muséum national d’Histoire naturelle.

On ne sait pas vraiment les motivations de ce besoin de communication. Mais il y a tout lieu de penser qu’il reposait sur la nécessité de mettre en images des mythes, des représentations symboliques pour celles et ceux qui s’y abritaient.

L’art rupestre (sous une roche) et pariétal (à l’intérieur des grottes) servaient d’intermédiaires entre le monde du réel, tel qu’il devait être perçu à l’aurore de l’humanité, et le monde spirituel. Un « médium » au sens chamanique du terme, mais qui n’est quand même pas loin des motivations de transmission de nos médias modernes.

C’est aussi une première expérience technologique, avec l’utilisation du charbon de bois et des oxydes qui servaient à marquer la roche. L’utilisation d’un mur, qui représentait ce qu’on faisait de plus durable, montrait l’ambition de transmettre ce qui devait avoir du sens pour leurs auteurs.

Michel-Ange ou les graffeurs modernes n’ont finalement rien fait d’autre que de se réapproprier, bien plus tard, ce support ancestral. On dénombre plus de 400 grottes ornées en Europe occidentale. On n’en était pas encore au média de masse, mais c’était un bon début.

2. La Bible de Gutenberg, premier média reproductible

Le 23 février 1455, Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg dit  « Gutenberg », petit entrepreneur exerçant dans la ville germanique de Mayence, s’apprête à lâcher une bombe.

Celle du Livre, qui constitue le premier véritable média reproductible au monde. Connu sous le nom de « Bible à 42 lignes », le premier ouvrage imprimé mécaniquement sort donc de la presse de son atelier. Une révolution qui repose sur une innovation technologique : celle de la typographie, c’est-à-dire le procédé d’écriture reproductible à l’aide de caractères métalliques mobiles et réutilisables.

Il ne faut pas voir pour autant dans Gutenberg une forme de génie inventif isolé. Le XVe siècle est marqué par de nombreuses tentatives d’inventions de ce qu’on appelle à l’époque un principe d’ »écriture mécanique ».

L’invention de Gutenberg se situe à un carrefour. Celui qui voit la création de nombreuses universités à travers l’Europe d’une part, qui conduit à une demande croissante en supports de connaissance accessibles.

Et celui de la propagation des idées, d’autre part, qui engagera l’Europe à sortir du Moyen-Âge dans une période de Renaissance, puis aux mouvements philosophiques et littéraires des Lumières, qui verront la création de l’Encyclopédie et une révolution des idées.

Gutenberg mettra trois ans à imprimer 180 de ses Bibles « incunables ». Un délai qui était alors nécessaire à un moine copiste pour reproduire un seul exemplaire. L’industrialisation des médias était en marche. 

3. La presse à sensation se développe et démocratise la presse

Née dans une fin de XIXe siècle tourmentée, la « presse jaune » marque l’entrée de plain-pied des médias dans le monde industriel. Elle tire son qualificatif du nom d’un personnage de comic-strip, « the Yellow Kid », publié dans les pages du New York World.

Un gamin facétieux de la diaspora irlandaise dont la couleur jaune de la chemise de nuit avait la fâcheuse tendance à déteindre sur les autres pages. Gage d’une piètre qualité. Elle fut surtout le théâtre d’un combat violent que se sont livrés, dès 1895, le propriétaire du New York World, Joseph Pulitzer et celui du New York Herald, William Randolph Hearst, pour asseoir l’influence de leurs journaux respectifs auprès de la population new-yorkaise.

Cette concurrence signe la naissance d’une presse à sensation, populaire et pour laquelle tous les moyens sont bons pour harponner le lecteur. Titres chocs, catastrophisme, ragots, scandales, exagération et parfois dédain assumé pour la vérité, les deux hommes sont accusés de favoriser l’outrage à l’information dans le seul but d’augmenter leurs tirages.

« Que ceux que cela choque s’en prennent aux gens qui sont devant le miroir et pas au miroir, qui ne fait que refléter leurs caractéristiques et leurs actions » répondra Pulitzer à ses détracteurs.

La « presse jaune » ne constitue évidemment pas l’origine de la presse, généralement datée du XVIIe siècle avec « la Gazette » de Théophraste Renaudot, mais elle est le symbole de son entrée dans le monde capitalistique, rendue nécessaire pour financer ce qui est en train de devenir l’industrie médiatique.

Guerre des prix, chasse aux scoops, course aux parts de marché marquent cette époque qui voit aussi l’émergence des premiers empires éditoriaux et des magnats de la presse, William Randolph Hearst inspirant à ce titre le personnage de Citizen Kane à l’écran.

Elle marque aussi l’entrée des médias dans la consommation de masse, nécessaire pour assurer sa rentabilité. La presse n’est plus le fait des seuls « lettrés », mais gagne le peuple.

La rivalité Hearst/Pulitzer connaîtra son apogée en 1898 avec l’indépendance de Cuba, dont les surenchères sensationnalistes et les informations trompeuses colportées par les journaux contribueront à légitimer l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Espagne. Validant au passage la capacité des médias à orienter l’opinion. 

4. L’âge d’or de l’affiche, à la fois objet industriel et artistique

Créée en juillet 1916, l’image de l’Oncle Sam pointant un doigt accusateur montre la force évocatrice de l’affiche. Créée par l’illustrateur James Montgomery Flagg, cette allégorie de la Nation américaine exhortant la jeunesse à s’engager dans un conflit qui se déroule loin de chez elle fait partie du panthéon de personnages nés sur une affiche.

De la Goulue au Bibendum Michelin en passant par Rosie la riveteuse, le bébé Cadum, la Vache qui rit, Nectar le livreur de chez Nicolas ou, plus récemment, le portrait d’Obama, ces représentations peuplent nos inconscients collectifs.

Portée par le perfectionnement de la technique de lithographie, qui permettait l’impression grand format et en série, l’affiche connaît son âge d’or à la charnière des deux siècles, à une époque où les premiers mobiliers urbains sortent de terre dans un ville qui se modernise.

Colonnes Morris, fiacres, hommes-sandwich, murs du métropolitain offrent des espaces libres pour promouvoir de nouveaux produits dans une société de consommation naissante et encore fortement ignorante.

L’affiche croise l’art de la composition, celui du graphisme, de la typographie et du slogan et verra l’émergence de grands noms comme Toulouse-Lautrec, Mucha, Savignac ou Cappiello. Un art de la concision et de l’efficacité qui se placarde sur les murs et sert alors autant la propagande que la publicité.

L’affiche s’impose jusqu’à aujourd’hui comme un média non conventionnel, voire paradoxal. Art ou industrie ? Moyen pirate ou objet de propagande ? Appareil militant ou mercantile ? Spontanéité ou artifice ? Contre-culture ou conformisme ? Pollueur visuel ou outil d’utilité publique ? L’affiche continue à cultiver son ambivalence. 

5. La radio : première interface techno à s’imposer dans les foyers

Passé par les ondes radiophoniques, l’appel du 18 juin 1940 est une date clé dans l’histoire des médias en générale et de la radio en particulier. Une réponse du Général de Gaulle, parti organiser la résistance depuis Londres, au discours radiophonique de Pétain appelant, la veille, à cesser le combat.

Un appel qui sera suivi, de juillet 1940 en Août 1944 de l’émission quotidienne « Radio Londres », qui servira de relai pour la résistance intérieure française et de soutien au moral de la France occupée.

Les britanniques se souviennent, eux, du discours radiophonique du roi George VI quelques mois auparavant, qui avait déclaré l’entrée en guerre du Royaume-Uni contre l’Allemagne nazie. La technique de radiodiffusion repose sur une longue succession d’innovations technologiques parti du télégraphe au XIXe siècle pour accéder à la TSF au début du XXe.

Elle devra attendre les années 20 pour devenir grand public, avec les premières émissions radiodiffusées en Europe et aux États-Unis, qui feront entrer la culture musicale dans les salons. Elle devra donc attendre la guerre pour montrer son utilité à passer par-delà les frontières et les censures éventuelles.

La radio se révèle aussi être le premier média nécessitant une interface technologique. Un « poste de radio » qui s’impose, dans ces années-là, comme un meuble trônant dans foyers bourgeois, avant que la télévision et la miniaturisation des transistors ne vienne l’en chasser.

Elle pose les prémisses de la centralité des médias dans les foyers. La radio, média du direct par excellence, garde cette tradition de la truculence et de la libre parole. De la « guerre des mondes » d’Orson Welles en 1938 à radio Caroline dans les années 60, émettant loin du continent, la radio reste un bastion du non-conformisme. Un esprit repris aujourd’hui dans les podcasts qui, s’ils perdent la spontanéité du direct, gardent pour beaucoup de l’esprit frondeur et créatif. 

6. L’Alunissage d’Apollo 11 : la retransmission télé en mondovision

La nuit du 20 au 21 juillet 1969 marque un double exploit. Celui de la première (et pour le moment unique) mission spatiale à poser un pied sur la Lune et celui, tout aussi marquant, de sa retransmission télévisée en mondovision. La diffusion en direct ne constitue pas vraiment un exploit à cette époque où peu d’émissions étaient en différé, en raison notamment de la piètre qualité des moyens techniques d’enregistrement.

La diffusion simultanée dans plusieurs pays n’est pas non plus le fait le plus marquant, le mariage d’Elizabeth II en l’abbaye de Westminster ayant déjà, le 2 juin 1953, été diffusé en direct dans 5 pays européens.

La mission Apollo 11 constitue un tournant par son ampleur. Cette nuit-là, 600 millions de téléspectateurs, soit 20 % de la population mondiale, étaient réunis devant leurs postes de TV pour suivre en direct l’exploit qui allait marquer la conquête spatiale et faire basculer le monde des médias vers la consommation de masse, avec son quart d’heure de gloire et son temps de temps de cerveau disponible, sa course à l’audimat et sa ménagère de moins de 50 ans.

Le petit pas de Neil Armstrong propulsait ce soir-là la télévision vers la stratosphère. Celle d’une industrie du spectacle qu’on adore détester. Ce média, qui est en passe de fêter son centenaire en 2026, régnera en maître par sa capacité unique à réunir l’audience autour de lui et à concentrer, dans la même boite, l’information, le divertissement, la publicité, la culture et le débat politique. Indéniablement un petit pas pour l’homme, mais un bond de géant pour l’histoire des médias.

7. L’invention du lien hypertexte et du web révolutionne les médias et l’information

« Vague, but exciting ». Voilà comment toute l’histoire du web a commencé. Le 13 mars 1989, l’informaticien britannique Tim Berners Lee, alors jeune chercheur au CERN, pose sur le bureau de son supérieur Mike Sendall un document sobrement intitulé « Information Management: A Proposal ».

Il y détaille le principe d’un système d’information distribué qui permettrait de connecter entre eux les documents scientifiques publiés sur les bases de données du CERN en utilisant, pour cela, le réseau Internet mondial.

Avec l’ambition de faciliter la collaboration entre les chercheurs dans le monde entier. Le lien hypertexte venait d’être imaginé. Un principe qualifié donc de « stimulant », mais qui restait « vague ».

Berners Lee prendra donc le temps de creuser. Une année plus tard, le premier site voit le jour avec tous les principes structurants du WorldWideWeb : le navigateur, le protocole d’adressage (le HTTP) et le langage de programmation (l’HTML). L’aventure commence et constitue un premier jalon pour des médias numériques sur le point de tout chambouler.

Elle échappe rapidement au domaine universitaire pour gagner le grand public avec l’arrivée des fournisseurs d’accès, des navigateurs et des portails comme Yahoo! En 1994 puis des moteurs de recherche comme Google en 1998.

35 ans plus tard, le réseau compte près de 2 milliards de sites et 5 milliards d’utilisateurs actifs sans que l’on sache encore avec précision si le web reste un simple tuyau, un protocole, un média ou un « métamédia » les contenant tous.

Ce que l’on connaît, ce sont les empires qui se sont constitués sur ses fondations et ont définitivement transformé notre manière de consommer les médias et d’accéder à l’information. Plus personne n’utilise vraiment aujourd’hui le terme de WorlWideWeb, mais ce qu’il recouvre reste toujours aussi stimulant et vague. Péché de jeunesse. 

8. Youtube démocratise la production des contenus, fini le monopole des médias

Certaines révolutions débutent sans bruit. Celle de Youtube s’est faite en 19 secondes devant la cage des éléphants du zoo de San Diego. « Me at the zoo » est la toute première vidéo mise en ligne par les créateurs de ce qui est, depuis, devenue la première plateforme vidéo dans le monde.

Conçue par trois anciens employés travaillant chez PayPal, Youtube sera racheté 1,65 milliard par Google quelques mois plus tard. L’arrivée de la plateforme intervient dans un mouvement d’ensemble, à une période de convergence qui voit notamment l’arrivée de Myspace en 2003 et de Facebook en 2004.

Une époque qui annonce ce que l’éditeur et essayiste Tim O’Reailly popularise sous le terme « Web 2.0 », c’est-à-dire la capacité pour chacun de nous de devenir son propre média. Une rupture épistémologique pour le monde médiatique, habitué à une information purement descendante voire, parfois, un peu surplombante.

Les notions de blogueurs, journalisme citoyen, influenceurs, réseaux sociaux émergent dans ce monde désormais à double sens. Youtube constitue aussi le début de l’emprise de l’image et de la vidéo sur les réseaux.

Et comme si ce n’était pas assez, la plateforme annonce les principes de streaming et de délinéarisations des contenus. Une autre révolution qui allait bientôt chambouler les usages et les grilles de programmes TV bien installées.

S’en suivront les plateformes comme Vimeo, Dailymotion puis Netflix et ses avatars. Vingt ans après sa mise en ligne, « Me at the Zoo » cumule 341 millions de vues et réunit 4,7 millions d’abonnés. Et Youtube est devenu « la première chaîne de télévision en France » comme l’a affirmé récemment sa directrice générale Justine Ryst. 

9. ChatGPT : la production du contenu à la demande et à l’infini. Les médias désormais inutiles ?

Dans les cartons depuis les années 50 et le début de la cybernétique, l’IA générative a fait son irruption brutale dans le monde des médias en Novembre 2022, le jour du lancement dans le grand public de ChatGPT 3.5 et ses capacités à produire du contenu à la demande et à l’infini. Une bombe pour laquelle les commentateurs ont alterné entre sidération et enthousiasme.

Depuis, les versions se sont succédées, la concurrence s’est organisée et les capacités de création ont gagné les formats du son, de l’image et de la vidéo. Un raz-de-marée technologique. « What can I help with? » est la formule inscrite au-dessus de la cellule de saisie de chatGPT. Une petite porte vers un nouveau monde, un peu comme l’avait fait Google pour celui du Web, qui marque l’ambition résolument servicielle, anthropomorphique et globale de l’IA générative.

Une forme de « génie dans la lampe » susceptible de répondre à la moindre de nos requêtes. Dans le domaine des médias, l’IA générative constitue une nouvelle marche dont il est assez simple de percevoir les potentialités, mais pas encore bien les limites.

Derrière cette porte d’entrée en forme de trou de souris se profile une inversion complète du principe même de média, qui ne serait plus le fruit intermédiaire entre un émetteur et un récepteur, mais désormais celui d’une audience seule, désormais capable de forger sur une simple requête n’importe quel média contenant les infos qui l’intéresse dans la langue qu’elle souhaite au format qu’elle attend au moment où elle le veut.

Une tout autre philosophie qui signe l’aboutissement de l’individualisation de l’information en même temps que l’obsolescence annoncée des éditeurs. Nous sommes au début de l’histoire et il est trop tôt pour en dresser le bilan.

Mais les milliards investis montrent que la course médiatique est définitivement passée aux mains des acteurs de la tech. Reste à attendre qui sera le vainqueur. Peut-être est-il possible de poser la question à ChatGPT ?

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