20 mars 2024

Temps de lecture : 6 min

Perrier délaisse la folie pour la douce insouciance des terrasses…

Loin de la folie du monde, des réseaux  fébriles, et du climat qui claque, Perrier nous offre, pour sa première prestation mondiale, une campagne cool, spirituelle, chic, où il ne manque que la frimousse d’Audrey Hepburn… Une comédie délibérément romantique, avec pour unité de lieu, une terrasse, le théâtre de tous les possibles… La mode, l’amour, la dispute, l’espionnage, le plaisir… Pour en parler, David Raichman et Julien Bredontiot les Directeurs de création d’Ogilvy. En prime, la saga française la plus folle de l’histoire de la pub.

 

INfluencia: Alors évidemment, premier constat, Perrier n’est plus extraordinaire, ou fou…

David Raichman ou Julien Bredontiot : Oui nous quittons ce monde surréaliste, fou ou extraordinaire qui était celui de Perrier, par le passé pour ancrer la marque dans une vie réelle et idéalisée à la fois. Cette campagne est mondiale, c’est une première, donc nous avions pour mission d’en dessiner des contours bien Français, tout en imaginant un territoire unique à la fameuse bouteille. D’où, vous l’aurez compris, cette terrasse si spécifique à toutes les villes et villages français, qui devient une sorte de théâtre, de scène où tout peut arriver. Une rupture, une histoire d’amour, une discussion animée, un couple de précieuses qui parlent chiffon, une personne qui observe ou écoute ce qui se dit…

IN. : Parisienne ou française la terrasse ?

D. R. ou J. Br.:  La terrasse, en plein centre de Nîmes, a été rebaptisée terrasse de La Source, alors qu’elle s’appelait de la Bourse. Nous n’avons pas voulu rentrer dans le côté cliché de la Tour Eiffel. C’est une terrasse chic, vivante, et lorsqu’on dit moteur, tout se met en place comme dans une comédie musicale mais avec la voix de Guillaume Gallienne et la mélodie incontournable d’Un homme et une femme de Francis Lay.

IN. : Vous êtes au courant que cette mélodie a été utilisée par Chanel juste avant vous et plus de deux-cent fois auparavant?

D. R. ou J. Br.: Oui, mais on avait l’idée depuis très longtemps, pour nous c’était une obligation, pour ainsi dire. Nous avons hésité à en changer et puis on s’est dit que cela correspondait tellement à ce que nous voulions pour Perrier marque iconique, aussi française que le sont d’ailleurs cette musique, ce long métrage… Bref, nous ne sommes pas sur les planches à Deauville, nous sommes sur une terrasse française très parisienne parce qu’à l’étranger, la France, c’est Paris…

IN. :  Guillaume Gallienne c’est pour Guillaume, les garçons ou la table ?

D. R. ou J. Br.: Le personnage est décalé, sa voix reconnaissable entre toutes, sa théâtralité donne immédiatement envie de suivre les faits et gestes de ces personnes si particulières, et si nous à la fois.

IN. : Le hashtag « Vu en terrasse » clôt chaque spot… quelle est l’idée ?

D. R. ou J. Br.: comme vu à la TV… Pour tout vous dire, tout est très pensé dans cette première salve, qui va donner lieu comme vous pouvez l’imaginer à pas mal d’activations. Il peut se passer des choses extraordinaires en terrasse, c’est un lieu très fort et symbolique.

IN. Première campagne monde… qu’est-ce qui a changé pour l’eau…

D. R. ou J. Br.:  c’est un marché qui est en pleine mutation, qui a connu beaucoup de changements ces dernières années. Il y a aussi une volonté de rationnaliser. Et puis la vraie question, c’était la cohérence de communication pour Perrier. Nous construisons une plateforme de marque unique, centralisée, rationalisée pour aborder un marché qui ne ressemble en rien à celui des années 80-90 début 2000 où désormais il y a énormément de compétition.

IN. : Et l’effet bulles alors, on fait comment ?

D. R. ou J. Br.:  : Plus de bulles chez Perrier… Tous les acteurs la préemptent, nous on préfère prendre la terrasse d’assaut.

 

Alors, voilà : une belle terrasse, de jolies petites scènes parisiennes très joliment tournées par Thomas Lachambre et le tour est joué. Capitaliser avec esprit sur la France, l’élégance, la mode, assister à ce petit théâtre vivant

 

Spot 360 sur la terrasse de La Source…

Trois 20 secondes

 

La folle et extraordinaire saga de Perrier 

Par ici la saga d’une bien belle histoire. Celle qui, en son temps, fut ni plus ni moins l’eau officielle de la cour d’Angleterre.

C’est un gentleman, britannique au possible, St John Harmsworth, in love with le Sud de la France et frère des richissimes propriétaires du Daily Mail puis du Daily Mirror, qui lors d’un séjour sous le soleil exactement découvre la source Bouillens – dont l’exploitant thermaliste n’est autre que le docteur Louis Perrier – et décide de l’importer en Angleterre. D’eau médicinale, il en fait une eau de table sélecte, comme seuls les Anglais savent le faire. L’eau de Perrier devient chic, trendy, royale. Sera tour à tour eau officielle de la cour d’Angleterre, puis de la cour d’Espagne. Sera de toutes les fêtes, dans 150 pays.

L’ivresse et la chute

Disons-le tout net, l’histoire de Perrier est folle depuis sa naissance. La communication est priée d’en faire des tonnes, sans modération. Perrier détourne les œuvres d’artistes célèbres d’Arcimboldo à Roy Lichtenstein, crée des jeux de mots idiots qui deviennent, par la grâce de la marque, des coups de génie, comme « Ferrier c’est pou ! », détourne des dessins animés, Nif-Nif, Naf-Naf, Nouf-Nouf, qui s’écrient en chœur : « C’est fou ou-ou-ou-ou c’est fou !… »

La communication est priée d’en faire des tonnes, sans modération…

Las. La présence de benzène dans des bouteilles de Perrier détectée aux États-Unis en 1990 va éventer sacrément la très agitée eau à bulles née à Vergèze, dans le Gard, à 15 kilomètres de Nîmes. Des millions de bouteilles sont retirées du marché américain. Et voici notre héroïne festive et déchue sommée de s’exprimer pour la première fois avec… humilité. Une communication de crise orchestrée par Jacques Séguéla. Il s’agit pour l’eau de source de faire son mea culpa auprès des consommateurs. Souvenez-vous, la petite bouteille seule au centre de l’écran… qui pleure. Les larmes glissent le long du col. En voix off, le mari cocu console Aurélie (extrait de La Femme du boulanger, le classique de Pagnol, ndlr) et lui demande d’arrêter de pleurer, elle qui est si jolie. Celle-ci répond que c’est de bonheur qu’elle hoquette, parce qu’elle revient. En packshot apparaît « Nouvelle production ».

C’est ogilvy & Mather qui récupère alors le bébé empoisonné

Cette intervention de RSCG restera sans suite. C’est Ogilvy & Mather qui récupère cet apocalypse bébé auquel il va falloir redonner du peps, et de la crédibilité. Bernard Bureau, alors directeur de création de l’agence dirigée par Daniel Sicouri, s’empare de la problématique avec ses deux lieutenants, Franck Rey et Thierry Chiumino. Mais c’est finalement Christian Reuilly qui opère. « Bernard était occupé sur d’autres comptes, et alors que je faisais une série de photos pour American Express, dont Jean-Paul Goude incarnait l’un des “membres depuis 1789”, je lui ai parlé de ce projet qui me tombait dessus », raconte le directeur de création en charge de Vuitton à l’époque. « Je lui explique le contexte, la crise, la folie de Perrier plus vraiment d’actualité, et il me dit oui, emballé. » Le duo travaille ensemble sur le film tandis que le rédacteur Patrick Margot planche sur une nouvelle signature… « C’est pendant l’une de nos sessions de travail, au zoo de Vincennes, dans ce bestiaire situé à côté de chez Jean-Paul, que l’idée de la lionne germe. » Une fable inspirée aussi de La Belle et la Bête. Le cocktail « La Lionne assoiffée », « De l’eau, de l’air, la vie », I Put A Spell On You de Screamin’ Jay Hawkins impose la renaissance de la marque. Très vite, le spot remporte le Grand Prix Stratégies, une récompense au Club des DA… Cannes n’est pas loin. En juin 1991, sur la Croisette, la rumeur se répand autour d’un grand prix pour « La Lionne », mais en face il y a ce très beau film Heineken qui fait parler de lui. Le suspense dure. Au final, la mythique French bottle of water, la femme assoiffée et l’animal dompté sont couronnés. Ce sera la dernière fois que la France remporte le Grand Prix au Festival International du film publicitaire à Cannes, avant qu’il ne devienne festival international de la créativité.

Des chefs d’oeuvre publicitaires s’enchainent alors…

Ce premier chef d’œuvre inaugure une jolie série. Ridley Scott filmera le spot « Les planètes » au son de Get Up (I Feel Like Being A) Sex Machine de James Brown, puis ce sera le film « McEnroe », qui, sur un terrain de tennis poussiéreux et fantomatique boit l’eau d’une bouteille imaginaire. Neuf autres films, dont deux confiés à Publicis, créeront l’ébullition autour de l’effervescente Perrier ; autant de moments magiques dont on ne se lasse pas. Lors du tournoi de Roland Garros 2017, la trilogie « Lionne », « Planètes », « McEnroe » passait en boucle sur les écrans qui diffusaient les matchs. Pas pris une ride. Richard Girardot, le boss de Perrier devenu depuis président de Nestlé France, doit s’en souvenir encore comme de la belle époque. Celle où tout était possible en pub… pour les bulles de Perrier.

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