14 avril 2017

Temps de lecture : 7 min

« La pédagogie, quand c’est fait activement, c’est de la propagande »

Lancé sur Medium début 2017, Crowd est le média économiquement engagé de KissKissBankBank & Co. Son but ? Prendre de la hauteur pour servir la mission du financement participatif par la pédagogie. Crowd est un outil de propagande assumé. Nous en avons discuté avec le co-fondateur de la plate-forme de financement participatif.

Lancé sur Medium en janvier 2017, Crowd est le média économiquement engagé de KissKissBankBank & Co. Son but ? Prendre de la hauteur pour servir la mission du financement participatif par la pédagogie. Crowd est un outil de propagande assumé. Nous en avons discuté avec le co-fondateur de la plate-forme de financement participatif.

En novembre 2016, KissKissBankBank ouvrait sa Maison du crowdfunding. En pénétrant dans ce concept store pionnier, il suffit de s’arrêter quelques minutes sur les écrans pédagogiques pour comprendre le besoin de ce « média physique » comme le définit Vincent Ricordeau, co-fondateur du groupe de financement participatif, qui comprend désormais trois plateformes : KissKissBankBank, Hello Merci et Lendopolis. Mais si les chiffres donnés par ce leader européen sont impressionnants, huit ans après son lancement, l’impact global sur l’économie réelle française est encore minuscule. Parce que son développement est lié à la maturation de l’esprit public et d’une culture plus que d’un marché ? Sans doute.

 » Aujourd’hui nous avons 1 150 000 KissKissBankers à 1 000 personnes près mais seulement 5 % sont des « serials donateurs », donc c’est faible. Nous avons aussi 50 % de gens qui ne sont venus qu’une seule fois. C’est beaucoup. Nous avons généré presque 500 millions de chiffres d’affaires, créé 3000 structures et 1 euro investi ou donné sur la plateforme génère 2 euros dans l’économie réelle. C’est un poids réel mais il est tout petit. Nous nous rendons compte quand nous décortiquons les chiffres, que nous n’en sommes qu’au tout début « , nous explique Vincent Ricordeau, dans le fauteuil du hall d’entrée de la Maison, à Paris. C’est justement pour éduquer, convaincre et prendre de la hauteur en immergeant dans des univers que KissKissBankBank a ouvert son média, Crowd. Ce n’est pour l’instant qu’un blog mais l’objectif de ce levier pédagogique est ambitieux et lucide. Nous avons voulu le comprendre et mieux cerner les enjeux en discutant avec Vincent Ricordeau.

INfluencia : en plus d’être une plate-forme de financement participatif, KissKissBankBank est un support de curation et de découverte. Pourquoi avoir voulu franchir le pas et lancer un média qui s’assume comme tel ?

Vincent Ricordeau : ce média n’a pas le modèle économique d’un média lambda mais il propose de vrais articles sur des thématiques bien précises. Nous l’avons monté en partenariat avec Usbek&Rica. Pour l’instant c’est encore un blog qui s’appelle Crowd et il est hébergé sur Medium. Mais cela deviendra bientôt notre propre média. Notre volonté première a toujours été de transformer les gens en agents économiques proactifs au profit de l’économie réelle. Usbek&Rica défend cela historiquement également, c’est pour cela que nous nous sommes associés avec eux. Il nous paraissait le mieux placé pour fabriquer avec nous un contenu qui serve de levier pédagogique. L’idée de Crowd est de traiter de tous les univers de KissKiss, qui vont de l’écologie à l’humanitaire et l’art, en passant par le caritatif, la culture, l’entreprise, les énergies renouvelables, les franchises mais aussi les PME, les artisans et les commerçants. Nous avons ouvert la Maison du crowd funding en même temps que Crowd pour pouvoir donner notre avis sur les univers avec lesquels nous sommes en contact au quotidien. Nous avons ressenti le besoin d’avoir un média digital et un média physique, la Maison. Elle permet de faire des expos, des master class, de rendre un peu plus vivant ce qui se passe sur le web. Nous souhaitons traiter avec un peu de profondeur tous les aspects sociologiques, politiques, économiques, philosophiques, éthiques et moraux liés aux projets que nous défendons dans les univers présents sur KissKiss.

IN : quelle information ou quel message, voulez vous diffuser à la personne déjà sur KissKiss, à celle qui ne connaît pas la plate-forme et à celle qui en a entendu parler et veut essayer ? Ce sont des publics très différents.

V.C. : notre objectif est assez simple : convaincre que nous devons reprendre le pouvoir sur notre argent. Cela veut dire faire comprendre que nous sommes des agents économiques à part entière et proactifs si nous en avons l’envie. KissKissBankBank & Co constitue un levier simple pour faire les choses facilement. Chez nous, vous pouvez être philanthrope ou donateur sur KissKiss, le lundi, aider votre voisine à monter une crèche sur Hello Merci, le mardi et investir 200 € dans une PME, le mercredi. Quand vous faites cela vous reprenez le pouvoir sur votre argent, vous devenez un véritable agent économique proactif avec un impact réel dans l’économie. Telle est notre mission. Elle est très liée à notre environnement évidemment c’est-à-dire à nos plate-formes, et nous ne nous voulons pas être experts sur tous les sujets. Ce serait très prétentieux. Par contre, nous sommes en train de devenir les experts d’un sujet en particulier qui est la faculté que nous offrons pour devenir proactifs et responsables de la façon dont nous gérons notre argent.

IN : vous avez l’impression d’en être où sur la réceptivité de ce message auprès du grand public, en France?

V.C. : sur une échelle de 10 nous en sommes à 0,1. Ce n’est que le tout début.

IN : vous êtes dépendants d’une certaine maturation de l’esprit public plus que d’un marché. Est-ce que Crowd va justement l’accélérer ?

V.C. : je le pense. C’est pour cela qu’au-delà du contenu que nous donnons « en pâture » aux curieux et aux badauds sur KissKiss, nous avons voulu organiser notre mode de pensée et notre mission autour de la Maison du crowd funding et du média digital. Nous avons un rôle pédagogique à jouer. On peut s’indigner, pour reprendre Stéphane Hessel, mais s’indigner ne suffit pas. Il faut agir et en l’occurrence KissKiss représente un levier hyper simple pour le faire. Il n’y a pas besoin d’avoir fait « math sup », d’être riche ou d’avoir un gros réseau. Il suffit simplement de se dire que, quel que soit le montant d’argent disponible, cela peut être 20 € par mois, je décide de le placer dans l’économie réelle. Notre rôle avec Crowd, et c’est ce qui nous intéresse intellectuellement, c’est de prendre de la hauteur par rapport à un outil numérique de financement qui est potentiellement assez froid.

IN : en dehors d’être ce relais, avez vous l’impression que Crowd apporte quelque chose de neuf dans le paysage médiatique actuel ?

V.C. : nous n’avons pas la contrainte du média qui doit avoir un modèle économique fiable, et donc de choisir l’éditorial qui vend du papier. Pour nous, c’est un relais de communication, avant tout. Donc nous produisons un contenu qui va servir cette cause en étant à la fois très varié dans les univers mais avec toujours le même objectif. Du coup, ce contenu est limpide dans sa mission et ne ressemble à aucun autre média à proprement parler.

IN : dans ce cas, où est la frontière avec le brand content ?

V.C. : nous ne sommes pas dans le brand content, dans le sens où ce dernier c’est presque plus ce que vous lisez sur KissKissBankBank. Chaque projet y est un mini-brand content, qui s’auto brand et brand KissKiss. Avec Crowd nous sommes vraiment dans une logique de média pédagogique. C’est ce mot là qu’il faut garder, la pédagogie. En l’occurrence celle sur notre mission. Dans chacun de articles, il y a cet objectif : faire en sorte de plonger le lecteur dans un univers où il doit se rendre compte qu’il peut devenir un agent économique pro-actif, responsable, citoyen… Dans chaque article existe un « call to action » pour ramener le lecteur vers la plateforme de financement en disant en gros : « vas-y, maintenant peu importe le montant que tu as, si tu es d’accord avec cette philosophie, viens participer à cette économie réelle toi directement « .

IN: la rédaction de Crowd est-elle complètement chez Usbek&Rica ou intégrée chez KissKissBankBank ?

V.C. : nous avons embauché, ensemble, une journaliste, qui sort de l’Atelier (BNP Paribas) et qui connaît très bien la fintech et le monde de l’économie collaborative. Elle est rémunérée par les deux et n’écrit que pour nous. Elle produit 50% ou 60 % du contenu de Crowd, le reste est fait par nos content managers ici en interne. En moyenne, nous sortons environ seulement 5 articles par semaine mais nous comptons déjà entre 12 000 et 14 000 visiteurs uniques en deux mois. Cela prouve que notre communauté, celle qui tourne autour des réseaux sociaux et de nos plateformes, soit la partie la plus captive, a répondu présente assez vite. Crowd est vraiment un outil de propagande, au bon sens du terme. La pédagogie, quand c’est fait activement, c’est de la propagande. Là, nous avons un média qui volontairement prône ce débat d’idées mais en même temps apporte des solutions concrètes. C’est passionnant parce que cela nous fait prendre de la hauteur par rapport aux autres. Par exemple, nos camarades d’Ulule ont ouvert une boutique pour vendre des produits qui sortent de leur plate-forme. Je ne dis pas que ce n’est pas bien mais ils sont dans une logique et un prolongement pratiques. Nous, nous sommes dans une logique où nous prenons de la hauteur politiquement.

IN : estimez-vous prendre un risque ?

V.C. : non, c’est sans risque. Parce que, pour le coup, nous ne sommes pas dans la politique clivante mais dans la politique au sens propre du terme. Celle où le citoyen retrouve son rôle dans la Cité. Et puis, comme je l’ai dit, nous n’avons pas les contraintes d’un modèle économique classique.

IN : avez-vous le sentiment qu’en évitant justement ces contraintes économiques, vous retrouvez un peu du pouvoir d’influence lucide que peut avoir un média ?

V.C. : nous avons une liberté de ton et d’action complète puisque la vie du média, qui est minuscule pour l’instant, n’est pas liée au nombre de personnes qui vont l’acheter, ni au nombre d’annonceurs. J’ai déjà eu quelques appels de mes actionnaires parce que nous avons sorti un article assez violent sur Goldman Sachs et la R&D qu’ils sont en train de développer sur les fintech pour les phagocyter. Nous avons aussi sorti un article sur le roi Philippe le Bel, qui a tué son banquier. J’ai la Banque Postale au capital et ils m’ont passé un coup de fil. Mais attention, comme nous sommes dans la pédagogie, nous n’avons jamais fait de l’anti-banque primaire. Nous critiquons ouvertement la banque traditionnelle quand cela nous semble utile de le faire, mais on ne fait pas l’amalgame entre la finance et les banques au sens large. Notre ennemi n’est pas la finance. Notre ennemi, c’est ce que propose la finance.

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