17 novembre 2023

Temps de lecture : 9 min

Olivier Altmann (Altmann + Pacreau) : « Je suis un peu le Sylvain Tesson de la Drôme, sans l’écriture ».

Tout petit, Olivier Altmann rêvait d’être vétérinaire. Il est devenu publicitaire et maniaque obsessionnel. Nobody’s perfect… Le  cofondateur de l’agence ALTMANN+PACREAU répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr.

INfluencia : Votre coup de cœur en ce moment

Olivier Altmann : Je pourrais vous dire qu’il est pour un bouquin passionnant, que je suis en train de lire, qui s’appelle « Humus » de Gaspard Koenig. L’histoire de deux jeunes étudiants en agronomie qui veulent changer le monde, se passionnent pour les vers de terre et lancent une start-up de vermicompostage et qui vont mettre leurs idéaux à rude épreuve.

Mais mon vrai coup de cœur en ce moment est pour une série française qui vient d’arriver sur Canal réalisée par Xavier Giannoli : « D’argent et de sang », adaptée du livre de Fabrice Arfi. C’est l’histoire d’une arnaque à la taxe carbone qui a eu lieu en France et en Europe entre 2008 et 2009 et de l’association d’escrocs de Belleville avec un trader des beaux quartiers, traqués par un enquêteur obsessionnel. Les acteurs sont formidables : Vincent Lindon joue le rôle de l’enquêteur, Ramzi l’un des escrocs… C’est très bien réalisé, cela ressemble à un long métrage découpé en 12 épisodes.

On oublie trop le rire et l’autodérision, ce sont pourtant des moyens de vivre ensemble

IN.: : Votre coup de colère

O.A. : je suis rarement en colère. Mais je suis surtout blessé, meurtri, attristé de voir que le conflit au Moyen-Orient qui s’est remis sur le devant de la scène avec l’attaque du Hamas, génère autant de haine entre les gens qui font des raccourcis, ne comprennent pas forcément les tenants et aboutissants et se prononcent pour ou contre, soit Israël soit les Palestiniens. Alors qu’il y a des drames des deux côtés, et que des civils souffrent dans leur chair, quand ils voient leurs proches décédés, kidnappés ou bombardés. Je ne comprends pas qu’il soit possible d’arracher des affichettes des enfants kidnappés dont le message est tout simplement de les ramener. Et je trouve qu’il n’y a pas beaucoup d’occasions d’entendre les gens modérés.

Je ne sais pas si cela est dû au covid ou au contexte économique, mais on met trop les projecteurs sur les minorités ou les groupes intégristes – quel que soit leur bord évidemment – et pas assez sur ceux qui veulent le dialogue afin d’essayer de construire quelque chose en commun. Donc, je suis un peu inquiet pour l’avenir. C’est la même situation pour l’écologie – ce sujet concerne pourtant tout le monde – avec des positions de plus en plus radicales entre, d’un côté des extrémistes qui vont tout casser et, de l’autre, des agriculteurs qui n’en peuvent plus et vont donc réagir violemment.

Il se passe la même chose pour la culture, elle aussi kidnappée par des penseurs qui vont démonter des statues, renommer des personnages dans des romans, retirer des figurines de dessins animés… On oublie trop le rire et l’autodérision, ce sont pourtant des moyens de vivre ensemble et d’être capables d’avoir du recul sur soi-même.

Si Steve Jobs m’avait dit, « viens travailler avec moi », j’aurais eu juste envie de faire partie de l’équipe. Un type comme ça, on ne peut pas lui dire non !

IN.: : la personne qui vous a le plus marqué dans votre vie.

O.A. : Je suis très admiratif du courage des femmes qui se battent pour assumer leur féminité et leur liberté au péril de leur vie, par exemple en Afghanistan ou en Iran. Je me dis : « de quel droit les hommes s’arrogent-ils le droit de réduire des femmes à des objets, de décider de leur comportement et de leur façon de se vêtir ?». Il n’existe aucun pays dirigé par des femmes qui a soumis ou soumet les hommes de cette façon…

Plus professionnellement, il se trouve que quand j’étais chez BDDP au moment où l’agence rejoignait le réseau TBWA. Jean-Marie Dru, qui était l’un des grands Monsieurs de la pub à l’époque et qui était mon président, a invité un certain nombre de cadres à Santa Monica à un séminaire international avec des « key speakers », dont le célèbre architecte Frank Gehry. Et surtout Steve Jobs qui avait repris les commandes d’Apple, qu’il avait été contraint de quitter au cours des années 1980. L’agence TBWa \ Chiat Day venait de réaliser la campagne « Think Different »** Il est arrivé sur scène et nous étions tous comme des gamins, fascinés d’être dans la salle – car nous n’étions pas si nombreux – et d’avoir la chance unique de l’écouter, en admiration devant son charisme, sa simplicité et son discours. Parmi les nombreuses questions qui lui avaient été posées, l’une d’entre elles était : « maintenant que vous dirigez un groupe de plusieurs milliers de personnes, comment arrivez-vous à maintenir encore le cap de votre vision d’origine ? ». Il nous avait répondu qu’il leur parlait comme si c’était une bande de copains et que tout le monde était prêt à le suivre dans l’aventure sans trop savoir où elle allait. Je n’y connais rien en technologie. Mais je vous assure que s’il m’avait dit, « viens travailler avec moi », j’aurais eu juste envie de faire partie de l’équipe. Un type comme ça, on ne peut pas lui dire non !

Je me dis qu’il y a des individus hors normes, qui prennent les signes d’adversité comme autant de challenges et ont une capacité de résilience ou de conviction telle qu’ils vont s’en sortir. A leur place, on aurait craqué. Je pense qu’ils ont été forgés dès l’enfance par des évènement qui les ont structurés. Ils m’impressionnent vraiment.

INf. : si vous aviez suivi vos rêves d‘enfant .

O.A. : Quand j’étais gamin comme beaucoup de mômes, j’adorais les animaux et les documentaires animaliers. A l’époque, un célèbre vétérinaire qui s’appelait Michel Klein avait été l’un des premiers à écrire comment il allait soigner les animaux d’Afrique. Je me suis dit : « mais voilà la vie d’aventurier que je veux mener. Je vais prendre un 4×4, traverser l’Afrique avec deux chiens et aller soigner les animaux ». J’ai fait une prépa véto. Seulement, si je n’étais pas mauvais en sciences naturelles, je n’étais pas bon en maths. J’ai déchanté très très vite et, au bout de trois mois, j’ai vite compris que je ne serais jamais vétérinaire parce que le niveau était bien trop élevé, malgré le fait que j’étais passionné.

Donc adieu le métier de vétérinaire. J’avais une autre corde à mon arc : mon père m’emmenait voir des films américains, notamment à grand spectacle, et j’adorais le cinéma. J’ai d’abord fait un petit film en super 8 avec la caméra de ma mère qui était allée au Kenya et avait filmé les animaux. J’avais récupéré sa Beaulieu 4008 ZM. Puis, pour le lycée, j’avais réalisé un film contre le tabagisme qui montrait toutes les raisons pour lesquelles il ne fallait pas fumer. J’avais pris un crâne dans le cabinet de ma mère qui était dentiste et mis des cigarettes dans sa bouche  pour expliquer les effets négatifs. J’ai monté le film et l’ai présenté à ma professeure, qui a trouvé ce travail très bien. Je ne sais pas par quel réseau il est arrivé sur le bureau de Simone Veil, qui était ministre de la Santé. On m’a demandé de faire des copies pour le diffuser, j’ai bêtement refusé de dépenser la somme pour les faire et… ma carrière s’est arrêtée là. A 17 ans, j’ai ensuite commencé à écrire un scénario sur Errol Flynn dont la vie était un véritable roman. Mais au bout de quelques pages je me suis arrêté. Comme quoi je n’étais pas très tenace…

Finalement, mon métier n’est pas si loin de ce rêve. Je n’ai jamais vraiment eu le courage de passer derrière la caméra et de me retrouver à diriger une équipe, mais le fait d’être à côté du réalisateur et de suggérer des idées me convient bien. J’adore aussi discuter avec des réalisateurs qui viennent du long métrage, qui ont du talent et font un peu de publicité.

J’ai même acheté des pièges photographiques que je place à certains endroits près des cours d’eau

Quant à mon désir d’être vétérinaire et de travailler avec des animaux, il s’est matérialisé autrement. J’ai toujours eu le goût de la nature. Entre 16 et 25 ans, je m’échappais tous les weekends à la campagne chez un copain de mon père. Il y avait des forêts à perte de vue et j’apprenais à repérer les traces des animaux, leurs habitudes, leur comportement, je lisais des bouquins d’éthologie…. Aujourd’hui, dès que je me retrouve à la campagne le weekend, quand nous partons en randonnée, ma femme regarde les fleurs et les plantes et moi les insectes et les oiseaux. J’ai même acheté des pièges photographiques que je place à certains endroits près des cours d’eau. Quand  j’y retourne tous les 15 jours ou toutes les trois semaines, je relève mes pièges et je vois les chevreuils, les serfs, les sangliers, les blaireaux, les renards qui sont passés par là. Je monte cela en format court et j’embête toute la famille dans mon petit groupe WhatsApp : « venez voir ce que papa a filmé ». C’est hyper reposant et captivant d’observer les animaux et puis, comme je suis très curieux, dès que je vois un serpent, un insecte, un lézard que je ne connais pas, je vais sur internet et j’essaye de comprendre comment il s’appelle, quel est son habitat, son comportement… Je suis un peu le Sylvain Tesson de la Drôme, sans l’écriture.

IN.: votre plus grande réussite (en dehors de la famille)

O.A. : La réussite est un terme qui est moins dans l’époque, et qui fait plus partie des années 80/90. Je suis plutôt assez fier du nombre de gens que j’ai rencontrés, et qui, parce qu’ils étaient un peu plus jeunes que moi, ont pu goûter à ce métier, grandir et d’épanouir professionnellement. Je suis heureux de me dire que j’ai un peu renvoyé l’ascenseur.

J’aimais beaucoup Marie Catherine Dupuy, qui nous a quitté il y a quelque temps, c’ était un peu une maman pour les créatifs. Je trouve qu’elle a fait un boulot formidable en donnant envie et confiance à des tas de gamins comme moi, de croire en nous et de faire ce métier.

IN.: et votre plus grand échec dans la vie

O.A. : on a toujours un peu envie d’oublier les échecs et, en même temps, c’est eux qui vous forgent le plus le caractère. Mais honnêtement je ne pense pas avoir connu de vrais échecs. En revanche, j’aurais bien aimé aller plus haut en termes de reconnaissance professionnelle, quand je vois des agences comme Droga5 qui ont réussi au niveau mondial, ou des gens qui sont un peu hors normes comme Steve Job – toujours lui. Donc ce n’est pas tant un échec mais un regret peut-être : le fait de constater que je suis au maximum de ce que j’ai pu faire. Mais il y a un moment où il faut accepter qu’il y ait des individus qui peuvent être plus doués, plus brillants.

Nelson Mandela, a un jour prononcé cette phrase : « Je ne perds jamaissoit je gagnesoit japprends. ». Je suis tout à fait d’accord. Avec les années, on apprend à se blinder. Ce n’est pas forcément parce qu’on est le moins bon qu’on perd une compétition, ou parce qu’on est le meilleur qu’on gagne. C’est pareil dans le sport. Le XV de France a certes perdu face à l’Afrique du Sud, en quart de finale de la Coupe du monde 2023. Au lieu de se lamenter, les joueurs doivent se dire qu’ils ont fait vibrer le pays et ont réalisé un parcours extraordinaire. Quand on n’a rien à se reprocher et qu’on se dit qu’on a tout donné, même si on échoue, on a appris. Et puis la vie est faite de hauts et de bas. Ceux qui ne connaissent pas d’échecs ne sont pas armés pour avancer.

Si je n’étais pas devenu publicitaire, j’aurais peut-être pu devenir serial killer

IN.: Quelle est la manie qui énerve le plus vos proches ?

O.A. : Je ne suis que manies au pluriel, c’est à dire que je suis maniaque obsessionnel. J’ai besoin de tout contrôler et j’énerve mes proches en repassant sans cesse derrière eux pour refaire à ma façon ou pour ranger.

Chez Publicis par exemple, les créatifs prenaient un malin plaisir à bouger de quelques centimètres simplement, un objet sur mon bureau. Je pouvais revenir de vacances au bout de 15 jours et dire que quelqu’un était passé par là. Je suis un peu comme Annie Wilkes (jouée par Kathy Bates), l’héroïne du film Misery. Je n’aime pas le désordre et les objets doivent être le plus perpendiculaire et parallèle possible pour que je sois parfaitement décontracté. Gamin, il fallait toujours que mes chaussons soient parfaitement alignés à côté de mon lit, sinon je ne pouvais pas m’endormir.  Donc si je n’étais pas devenu publicitaire, j’aurais peut-être pu devenir serial killer (rires)

INf. : quel film emporteriez-vous sur une ile déserte ?

O.A. : sur une île déserte (ou le jour où je serai vraiment à la retraite), je pense que j’emporterais (j’emporterai ?) le film de toutes les vacances que j’ai passées avec mes enfants, depuis leur naissance jusqu’à leurs 14 ans, que j’ai filmées avec ma petite caméra. Je ne les ai pas revues depuis un bout de temps. Je pense que j’en ai pour un an à m’amuser à les monter, à mettre de la musique, à créer une sorte de pseudo scénario pour rendre ça un peu captivant.

 

 

 

 

 

 

 

 

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’A la recherche du temps perdu

** dans ce célèbre spot de 60 secondes figurent: Albert Einstein, Bob Dylan, Martin Luther King Jr, Richard Branson, John Lennon (avec Yoko Ono), Richard Buckminster Fuller, Thomas Edison, Muhammad Ali, Ted Turner, Maria Callas, le Mahatma Gandhi, Amelia Earhart, Alfred Hitchcock, Martha Graham, Jim Henson avec Kermit la grenouille, Frank Lloyd Wright et Pablo Picasso.

 

En résumé

L’actualité de Olivier Altmann

L’agence vient de sortir un spot pour la Fondation 30 Millions d’Amis « Love me tender » qui prend un peu à rebrousse-poil ce qui avait été fait avant, et qui est un film ultra positif sur l’amour entre les maîtres et les animaux.

Sur le plan personnel, Olivier Altmann s’est mis à la natation « parce qu’on fait un métier tellement stressant que nager et faire des longueurs nous met dans un autre élément ».

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